Jeremy Corbyn élu sur une franche orientation anti-austéritaire à la tête du Parti travailliste britannique

mercredi 6 janvier 2016.
 

- D) Message combatif de Corbyn pour le 1er janvier 2016

- C) Le Parti de Gauche salue la victoire de Jeremy Corbyn qui vient d’être élu à la tête du Labour dès le premier tour avec 59,5% des voix..

- B) Avec Jeremy Corbyn, les travaillistes britanniques roulent à gauche (Libération)

- A) Corbyn... avec Podemos, Syrisa et Die Linke (L’Humanité)

D) Message combatif de Corbyn pour le 1er janvier 2016

"Je voudrais souhaiter à tous une Bonne Année.

"Je salue l’état d’esprit de la période de Noël : des familles se réunissent et nous pensons aux autres, en aidant des voisins, aider les sans-abri, aidant les victimes des inondations dans de nombreuses parties du pays.

" C’est cet esprit de communauté et de solidarité que nous devons mettre dans le cœur de notre politique et dans la façon dont notre pays est dirigé.

« J’ai été élu chef du Parti travailliste en Septembre sur un mandat pour le changement.

" Au cours de ces trois derniers mois, nous avons contesté ce gouvernement - et les vaincus du parti travailliste...

"Nous aurons à les contester l’année prochaine encore plus - sur leurs coupes dommageables dans les services publics, et leur manque d’investissement dans notre économie et notre peuple.

"Mais nous allons également offrir une réelle alternative : une politique qui donne aux gens leur mot à dire dans les décisions qui les concernent, et une économie fondée sur l’investissement à long terme, au lieu de l’austérité autodestructrice.

" Nous voulons construire une réforme de l’économie du 21 e siècle.

" 2016 sera le début d’un voyage pour élire un gouvernement travailliste en 2020 : un gouvernement qui offrira une société plus juste, plus prospère dont nous pouvons tous profiter - une société qui fonctionne pour tous, pas seulement quelques-uns ».

C) Le Parti de Gauche salue la victoire de Jeremy Corbyn qui vient d’être élu à la tête du Labour dès le premier tour avec 59,5% des voix..

Jeremy Corbyn a créé la surprise avec une apparition fracassante dans les sondages il y a quelques semaines. Beaucoup d’observateurs pensaient alors qu’il ne parviendrait pas à réunir les 35 nominations au sein du Labour requises pour chaque candidat-e.

Sa victoire est un sérieux revers pour les libéraux du Labour. Elle permet aux travaillistes britanniques de reprendre un peu des couleurs perdues dans vingt années de "troisième voie" blairiste. Voilà un nouveau signal significatif de la déroute de la sociale-démocratie. Après la Grèce et l’Espagne, les citoyens sont de plus en plus conscients de la dérive libérale et austéritaire de ces partis et se tournent de plus en plus vers celles et ceux qui incarnent la résistance à l’austérité.

Or Jeremy Corbyn n’a jamais varié sur ses positions, contrairement à son parti. Militant de gauche chevronné et constant défenseur des causes anti-guerre, de défense des droits palestiniens et contre l’austérité, Jeremy Corbyn a été de tous nos combats, comme à la manifestation à Londres le 26 juin dernier ou lors du rassemblement en solidarité avec le peuple grec le 30 juin aux côtés de Ken Loach.

Et c’est sans doute cette constance dans l’engagement qui lui vaut le soutien des réseaux syndicaux et associatifs. Tout comme l’ascension de Syriza s’était inscrite dans une dynamique populaire et citoyenne, Jeremy Corbyn a lui aussi reçu l’appui d’Unite, le plus grand syndicat britannique.

Cette victoire est un pied de nez aux éditocrates. Elle s’est imposée malgré les attaques virulentes des libéraux et des médias qui les relayent comme The Economist qui a utilisé pour parler de Jeremy Corbyn un ton méprisant, insistant sur sa barbe et ses chemises mal repassées, le traitant de "note de bas de page devenue gros titre", caricaturant son programme jusqu’à asséner des contre-vérités. D’ores et déjà épaulé par un adjoint aguerri dans la bataille contre les rédactions de Rupert Murdoch, Jeremy Corbyn saura faire entendre une autre musique que celle de l’idéologie extrémiste libérale.

Les observateurs attentifs auront noté, eux, que les meetings de Jeremy Corbyn débordaient de monde, des jeunes notamment. Il est la preuve qu’il existe une forte attente sur les questions de redistribution des richesses, de services publics, de justice sociale, de renationalisation de certains secteurs comme les chemins de fer qui sont une catastrophe depuis leur privatisation, mais aussi sur la sortie de l’Otan et de l’emprise des États-Unis. Des thèmes qui ne sont pas neufs, beaucoup étaient par exemple dans une des motions historiques du Labour en 1918, supprimée par… Tony Blair ! Des thèmes traditionnels de la gauche socialiste, que les partis dits "socialistes" ont depuis largement abandonnés et qui reviennent face à la faillite du système actuel. Des thèmes et valeurs que Jeremy Corbyn a su incarner.

Contrairement aux socio-libéraux, Jeremy Corbyn s’assume et se revendique socialiste. Symptôme d’un mal-être, d’une attente de davantage de justice sociale, son élection nous rappelle aussi que la nouveauté ne tient pas à la jeunesse du candidat mais au renouveau des valeurs fondamentales de la gauche, celles d’égalité, de solidarité, de partage.

Nous adressons tout notre soutien et nos souhaits de succès à Jeremy Corbyn.

Corinne Morel Darleux, Secrétaire nationale au développement de l’écosocialisme à l’international et Sylvain Savier, militant du PG à Londres

B) Avec Jeremy Corbyn, les travaillistes britanniques roulent à gauche

Ce vieux briscard de 66 ans a été élu haut la main à la tête du Labour. Mais sa ligne politique, proche de Podemos ou Syriza, est très éloignée de celle qui dominait depuis vingt ans et Tony Blair.

C’est un tournant, un raz-de-marée, une claque cinglante. Pour certains, c’est aussi un dangereux retour en arrière, la fin pour le Labour de toute perspective proche de revenir un jour au pouvoir.

Le pacifiste Jeremy Corbyn, 66 ans, vieux briscard du old-Labour, de celui d’avant-Tony Blair, d’avant le recentrage accéléré du parti, vient de remporter haut la main, et au premier tour, l’élection pour la direction du parti travailliste britannique.

Avec 59,5 % des voix, il supplante justement son lointain prédécesseur Tony Blair qui avait pris la tête du parti en 1994 avec 57 % des voix. Trois ans plus tard, en 1997, ce dernier entamait une série de trois victoires consécutives aux élections générales, un record absolu pour le parti travailliste britannique.

Rien ne dit aujourd’hui que Jeremy Corbyn pourra égaler ce record, ni même être élu ne serait-ce qu’une fois au poste de Premier ministre au 10, Downing Street. En fait, la plupart des observateurs estiment cette probabilité proche du zéro absolu.

Sauf que les mêmes observateurs estimaient aussi en juin dernier que Jeremy Corbyn n’avait absolument aucune chance de remporter la course au leadership du Labour. Lui-même s’était présenté à la dernière minute, personnellement très réticent mais poussé par ses partisans pour représenter la caution de la « vraie gauche » dans la campagne. Symbole d’un renouveau à 66 ans

Mais voilà, moins de quatre mois plus tard, Jeremy Corbyn s’est attiré les faveurs de toutes les branches du corps électoral du Labour. Paradoxalement, en dépit de son âge et de ses trente-deux ans de carrière sur les bancs du parlement, il est celui qui semble désormais porteur d’une touche de renouveau, de fraîcheur dans la politique britannique.

Les syndicats ont, sans surprise, massivement voté pour lui, les militants également. Mais le soutien le plus massif est venu des sympathisants, de ceux qui, en payant simplement 3 livres sterling au Labour, pouvaient participer au vote. Et ces sympathisants sont, dans leur grande majorité, des jeunes qui n’ont pas le souvenir de la gauche des années 1970 et 1980, et pour qui Tony Blair est uniquement synonyme de guerre inutile en Irak et d’argent trop facilement et mal gagné.

Avec 59,5 % des voix, Jeremy Corbyn a réuni trois fois plus de suffrages que son premier dauphin, Andy Burnham, à peine crédité de 19 % des suffrages. Yvette Cooper obtient 17 % et Liz Kendall seulement 4,5 %. Tous trois sont des quadragénaires, élevés dans le bain du New Labour. Deux d’entre eux, Burnham et Cooper, ont même été ministres de Gordon Brown. Le message des électeurs ne saurait être plus clair : bye bye New Labour. Et Tony Blair, qui a cet été, à trois reprises, appelé à ne pas voter pour Corbyn et a même qualifié ses sympathisants « d’abrutis en besoin d’une greffe de cerveau », est renvoyé aux oubliettes.

Par Sonia Delesalle-Stolper, Correspondante de Libération à Londres

A) Corbyn... avec Podemos, Syrisa et Die Linke

Grande-Bretagne : insurrection anti-austéritaire dans le Parti travailliste

Après avoir grandement influencé une bonne partie de la gauche sociale-démocrate européenne, de José Luis Zapatero à Georges Papandréou, en passant par Manuel Valls, Matteo Renzi et Gerhard Schröder, le Parti travailliste britannique qui, sous la coupe de Tony Blair et de son idéologue Anthony Giddens, a inventé le concept de «  troisième voie  » pour maquiller son ralliement complet au néolibéralisme, est-il en train de tourner la page sous l’impulsion de Jeremy Corbyn  ? Derrière le réveil de la gauche traditionnellement liée au mouvement syndical, mais aussi aux vastes protestations pacifistes, et incarnée de façon constante par le député londonien qui va jusqu’à réclamer que Tony Blair finisse devant la Cour pénale internationale de La Haye pour ses «  crimes de guerre  » commis en Irak, en 2003, une lame de fond déferle sur le Royaume-Uni et elle est, dans ses formes, comme dans ses idéaux, largement nouvelle.

Au cœur de la campagne interne dans laquelle il revendique toujours l’usage du «  nous  » plutôt que du «  je  », Jeremy 
Corbyn redessine les contours d’un parti bien différent de celui qui a fait école, pour le pire, ces dernières décennies dans toute la social-démocratie européenne. Avec l’explosion des «  sympathisants enregistrés  » (lire aussi l’Humanité du 11 août)
– le nombre d’électeurs s’élève à 600 000, contre 200 000 lors des derniers scrutins internes du Parti travailliste –, il défend une conception du Parti travailliste «  plus activiste  », «  plus liée aux luttes sociales et aux aspirations des communautés locales  ». Frondeur dans l’âme, le député, que les caciques blairistes accusent de ne pas avoir respecté «  des centaines de fois  » les consignes du Labour au Parlement, joue résolument cette carte. «  Protection sociale, soins médicaux et dentaires, droit à un logement décent, vote des femmes, salaire minimum… Toutes ces avancées sociales décisives ne sont pas sorties de l’intelligence prodigieuse de mes collègues et de nos prédécesseurs à la Chambre des communes, elles ont été conquises par le peuple, qui s’est levé, qui a réclamé et qui a manifesté  !  »

Interrogé par l’Humanité, en marge de son meeting, à Cardiff, mardi dernier, sur les alliances qu’il pourrait nouer à l’échelle européenne dans sa lutte contre l’austérité, Jeremy Corbyn qui s’était prononcé pour le «  oxi  » («  non  ») au référendum grec et qui fustige aujourd’hui la brutalité des institutions européennes contre Athènes, s’écrie d’abord, sans malice aucune  : «  J’adore la Fête de l’Humanité, vous savez  ?  » Avant de reprendre  : «  Évidemment, nous sommes liés à des partis, comme le PSOE, en Espagne, le PS, en France, le SPD, en Allemagne… Derrière ces liens historiques, il y a quand même un problème  : de nombreux partis sociaux-démocrates dans toute l’Europe, qui appliquent l’austérité sous des formes diverses, ont perdu énormément de leur soutien populaire. Et d’autres partis qui rassemblent à gauche sur des bases différentes, Podemos, en Espagne, Syriza, en Grèce, ou Die Linke, en Allemagne, ont le vent en poupe. Ma conviction, c’est que, si nous ne convainquons pas qu’on peut élever le niveau de vie pour tous en taxant les plus riches, que nos étudiants pourraient ne pas être endettés à vie, que la crise du logement ne durera pas éternellement, nous continuerons d’être durement questionnés, et de plus en plus vigoureusement, par les gens qui devraient nous soutenir. Si nous n’arrivons pas à capter ce désir de sortir de l’austérité, nous allons tuer beaucoup d’espoirs.  »

B) Avec Jeremy Corbyn, la gauche retrouve sa raison d’être

C’est une vague qui déferle sur le pays. À chaque meeting du candidat anti-austéritaire pour les élections au Labour, ses partisans se bousculent. Services publics, protection sociale et arrêt des coupes budgétaires  : le menu est très éloigné du blairisme triomphant jusque-là.

Ebbw Vale et Cardiff (pays de Galles), envoyé spécial. Quatre blocs de roche sur une petite butte, entre Tredegar et Ebbw Vale, dans le sud du pays de Galles. Bienvenue au mémorial de Nye-Bevan (1897-1960), qui fut ministre et député travailliste de la circonscription, architecte du National Health Service (NHS), le système public de soins gratuits mis en place dans l’immédiat après-guerre au Royaume-Uni. Du haut du monticule, qu’elle est verte la vallée : quelques éoliennes ont remplacé les chevalets des mines. Qu’il est tranquille, ce coin du pays : le chômage y crève tous les plafonds, la « zone industrielle », de l’autre côté de la nationale, roupille ferme et, un peu plus bas, sur un rondpoint, voici le fast-food, l’établissement public le plus fréquenté de la zone. Dans les bourgs des alentours, de gigantesques presses de laminage, avec le mot « United » (« Unis ») inscrit dessus, supportent les derniers lambeaux de la mémoire ouvrière.

Au cœur du pays de Galles, mardi dernier, c’est un monde perdu, assassiné dans les années Thatcher, puis enterré par le blairisme triomphant que Jeremy Corbyn, député depuis 1983 d’Islington Nord, dans la banlieue londonienne, et figure de l’aile gauche du Parti travailliste, visite. Et maintenant que ce continent englouti resurgit, comme par miracle, à l’occasion de sa campagne pour la désignation à la tête du Labour, des milliers de personnes dans tout le pays viennent l’occuper avec lui. «  Nous allons continuer de faire flotter le drapeau rouge ici.  » Devant les rocs, une foule de trois à quatre cents personnes reprend le refrain de l’hymne du Parti travailliste, honni par Tony Blair qui refusait d’en apprendre les paroles et joyeusement entonné ici par le Côr Cochon Caerdydd, la «  chorale rouge de Cardiff  ». Ou encore No Going Back («  Nous ne retournerons pas en arrière  »), une entêtante ritournelle féministe après la sauvage répression des grèves des mineurs au milieu des années 1980. Il y a un sidérurgiste rescapé, avec son polo Tata Steel, qui raconte à ses amis  : «  Moi, ça fait dix ans au moins que j’ai quitté le Labour et la politique. Plus question pour moi d’en entendre parler. Je répondais aux appels du syndicat, mais, au-delà, il ne fallait plus m’emmerder avec ça  !  » Même Geoff Waggett, le pasteur qui officie à Ebbw Vale, est présent  : «  Je ne suis pas membre du Parti travailliste, mais si Jeremy gagne l’élection, je crois que je vais adhérer, confesse-t-il. C’est quand même bien de revenir au véritable socialisme  !  »

«  Mais enfin, pourquoi existe-t-on comme parti  ?  » Sous la stèle rappelant que Nye Bevan s’adressait à cet endroit même «  au peuple de sa circonscription et au monde entier  », Jeremy Corbyn s’inscrit dans les pas des pères fondateurs du Labour «  braves, courageux et optimistes  ». «  Je n’ai aucune honte à me dire socialiste, je n’ai aucune honte à être lié au mouvement syndical  », lance-t-il sous un tonnerre d’applaudissements. Pour le candidat à la tête du Labour, largement en tête dans tous les sondages internes pour l’élection qui se terminera le 10 septembre, l’hommage appuyé à Nye Bevan sert, évidemment, à affronter les enjeux du présent. «  Dans des temps particulièrement difficiles, Nye a voulu un service de santé national, gratuit pour tout le monde, car il ne faisait pas confiance aux conservateurs locaux pour appliquer cette politique de justice sociale, rappelle-t-il. Il ne faisait pas confiance non plus aux assurances privées, qui privatisent les profits et socialisent les pertes. Aujourd’hui, on a ces discussions absurdes dans les hôpitaux pour déterminer la spécialité qui permettra de faire le plus de bénéfices. Ce n’est pas tolérable comme projet de société.  »

Au cœur de l’élan pour Corbyn, 
il y a la lutte contre l’austérité

«  Ce type sort tout droit de Jurassic Park  », raillent avec dégoût ses détracteurs dans les élites du Labour, effrayés par l’ampleur de la «  Corbynmania  » – selon l’expression narquoise des médias dominants – mais totalement aveugles sur le sens du phénomène. «  Que les blairistes continuent de bavasser sur Jeremy, à chaque fois qu’ils en rajoutent une couche, ça nous ramène plus de militants  », encourage Steve Belcher, syndicaliste Unison à Cardiff, la puissante fédération du secteur public britannique (1,3 million de membres) qui, comme tous les syndicats, appuie officiellement sa candidature. Membre du Parlement gallois, Mick Antoniw n’en revient pas, lui  : «  Je suis membre du Labour depuis trente-cinq ans environ et c’est bien la première fois depuis des décennies qu’on fait de la politique dans ce parti.  » Pour Chris, étudiant en musicologie et jeune membre du Côr Cochon Caerdydd, «  on nous dit que tout ça, c’est le vieux monde, que c’est dépassé, mais dans ma génération nous n’avons jamais rien vu d’autre que les soi-disant modernes dans les partis sociaux-démocrates et ce sont précisément ceux qui, avec les conservateurs, nous conduisent à l’austérité, cette politique qui asphyxie les peuples sur toute la planète. Alors moi, je suis bien content de voir Jeremy apparaître dans le paysage et dénoncer ces mesures suicidaires  !  »

Au cœur de l’élan populaire pour Corbyn, il y a la lutte contre l’austérité, très mobilisatrice dans la jeunesse, en particulier. Un mouvement qui, avec les attaques du gouvernement conservateur de David Cameron, encore accrues après sa victoire électorale aux élections législatives du 7 mai dernier, réunit des pans de plus en plus importants de la société britannique. À Ebbw Vale comme, plus tard dans la soirée, à Cardiff, lors d’un meeting rassemblant plus de 1 000 partisans – du jamais-vu depuis les grandes grèves de 1984 –, Jeremy Corbyn dénonce de manière cinglante, et avec les accents entendus jusque-là dans les pays du sud de l’Europe, les grossiers mensonges néolibéraux sur les dettes publiques. «  L’austérité, en vérité, c’est une question bien plus politique qu’économique, souligne-t-il. Dans tous les États où elle est appliquée, on voit des attaques contre les droits sociaux et syndicaux, contre la protection sociale. On doit regarder la société telle qu’elle est et refuser de reprendre à notre compte le grand récit conservateur sur le monde  : non, les pauvres et les classes moyennes ne sont en aucun cas responsables de la crise bancaire, et non, ils n’ont pas à payer les pots cassés.  » Dans chacun de ses discours, le favori de cet autre Labour possible ne manque pas de souligner les ambiguïtés de son propre parti sur l’austérité. «  Lors des dernières élections, je me suis battu comme tout le monde pour faire élire un gouvernement Labour… Mais le problème, c’est que, dans cette campagne, nous avons proposé une autre forme de l’austérité, une austérité plus légère, mais une austérité toujours  : coupes budgétaires dans les dépenses des collectivités locales, suppressions d’emplois dans tout le secteur public, processus où tout est conditionné à l’excédent budgétaire dégagé à partir duquel on examine quelles politiques on peut encore mener… Tout ça ne marche pas, il faut vraiment voir les choses différemment…  »

C’est le même espoir qui, au fil des meetings, se lève dans la gauche

Rompant résolument avec le «  pur individualisme  » du New Labour, Jeremy Corbyn confie à l’Humanité qu’il y a, à ses yeux, un «  énorme réservoir de gens  » dans la société «  favorables à ce qu’on mette la collectivité en avant  ». Arrêt des coupes budgétaires dans les services sociaux et les collectivités locales  ; propriété collective des moyens de production  ; contrôle public des services comme l’éducation, les hôpitaux, les chemins de fer, les postes et télécommunications, l’énergie, le logement  ; lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales des riches et des multinationales  ; accueil des réfugiés, etc. Depuis son entrée en campagne il y a six semaines, le vainqueur en puissance a imposé tous ces thèmes dans les débats. «  On peut installer une banque nationale d’investissement, poursuit-il. Cette banque nationale d’investissement serait là pour financer les besoins pour les infrastructures, le logement, l’éducation, etc. C’est un processus qui permettra d’élever aussi notre niveau de compétences, avec des emplois hautement qualifiés. On a imprimé de l’argent pour garder les banques à flot, vous savez, et cet argent a disparu dans les poches de quelques-uns. Pourquoi ne pas injecter des liquidités non pas dans les profits des banques et les bonus des banquiers, mais dans des actifs tangibles dont tout le monde dans le pays peut profiter  ?  »

De Leeds à Glasgow en passant par Londres, Liverpool et Cardiff, c’est le même espoir qui, au fil des meetings de Jeremy Corbyn, se lève dans la gauche britannique. Rien n’était écrit il y a quelques semaines encore. Mais, désormais, avec l’afflux massif dans chacun de ses rendez-vous, sa victoire se profile nettement. «  C’est juste la première page d’un nouveau chapitre  », promet le candidat anti-austéritaire. «  Nous ne retournerons pas en arrière, il n’y a plus aucune limite maintenant  », chante le chœur rouge de Cardiff en écho, sourires aux lèvres.

Thomas Lemahieu, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message