Crise financière chinoise, symbole des dérives du capitalisme

mardi 8 septembre 2015.
 

Chine 1ère puissance économique mondiale 2ème puissance politique et militaire

Le gouvernement chinois semble n’avoir rien appris de l’histoire du capitalisme. S’approchant peu à peu du stade de développement des pays occidentaux, il en répète certaines erreurs. La bourse de Shanghai a terminé lundi 24 août sur une chute de 8,49%, soit la plus forte baisse en plus de huit ans, alors qu’elle avait déjà perdu 11% la semaine précédente. Cette débâcle a entraîné celle des bourses en Asie, en Europe et aux Etats-Unis avant qu’elles se reprennent le lendemain.

Jusqu’à la crise de 2008, la croissance de la Chine était basée sur ses exportations. Depuis, le pouvoir chinois a amorcé un virage vers un modèle prioritairement tourné vers la consommation domestique, en comptant sur le pouvoir d’achat de sa classe moyenne en plein essor. Pour soutenir sa croissance, il a injecté massivement des liquidités, ce qui a conduit à des bulles spéculatives en particulier dans l’immobilier.

Par ailleurs, le gouvernement a autorisé les particuliers à emprunter pour investir en Bourse ce qui a alimenté ces bulles, qui ont atteint des niveaux complètement dé-corrélés de la situation économique réelle du pays : la bourse a augmenté de plus 150% en un an pour une croissance de 7% du PIB dans la même période. Rappelons que la crise de 1929 était due exactement à la même raison.

Une crise qui finira par impacter l’Europe

Si la crise chinoise se poursuit, elle s’étendra au monde entier. Pour le moment, la diminution de la consommation en Chine entraîne une chute des prix des matières premières. Cette chute est néfaste pour les pays qui en exportent là-bas, comme le Brésil, mais bénéficie aux pays importateurs comme la France. Pour le moment, l’impact est donc limité pour l’Europe, la Chine étant beaucoup plus dépendante des marchés européens et américains que l’inverse. Mais à terme, la crise chinoise déclenchera un effet en cascade sur les économies occidentales qui pâtiront à la fois de sa baisse de consommation domestique et de l’effet démultiplicateur de l’effondrement de sa bourse.

Les pouvoirs publics chinois sont aujourd’hui obligés d’intervenir de manière très importante pour réguler et remonter artificiellement les cours en opérant des rachats d’actions. Pour le moment cela permet de limiter la débâcle. Jusqu’à quand ?

Note complémentaire sur la crise chinoise (2015)

I. Les raisons de la crise chinoise

• Avec la crise de 2008, le modèle reposant prioritairement sur l’exportation a en partie pris fin. Il y a un ralentissement des exportations en relation avec celui de l’économie occidentale et dû aussi à l’augmentation des prix chinois en raison de celle des salaires : la part des exportations de biens et services est passée de 35,6 % du PIB en 2006 à 22,6 en 2014.

• A partir de 2008, le pouvoir chinois a annoncé un virage vers un modèle prioritairement tourné vers la consommation domestique, en comptant sur l’essor d’une classe moyenne de 200 à 300 millions de personnes dotées d’un réel pouvoir d’achat, mais aussi de l’ensemble d’une population active qui dépasse les 800 millions. Il a ainsi encouragé par l’injection de liquidités l’investissement immobilier qui représente 15% du PIB, ce qui a conduit à une bulle spéculative pour certaines zones qui se dégonfle depuis 2014 (baisse des prix, villes fantômes à la mode espagnole, faillite de promoteurs). Toutefois, la classe moyenne émergente ne joue aucun rôle politique autre que celui des couches moyennes de la bureaucratie. Elle est un mythe soigneusement cultivé qui nourrit une croissance immobilière spectaculaire et qui augmente la consommation intérieure, mais de façon insuffisante : 35% du PIB va à la consommation interne pour des investissements représentant 50% du PIB (2014).

• C’est ce virage qui connait aujourd’hui des difficultés, la consommation interne se développant moins rapidement que prévu, parce que les Chinois conservent un taux d’épargne parmi les plus élevés au monde faute de système de retraites et qui faute de pouvoir s’investir librement alimentent des bulles spéculatives directement ou via des produits non garantis par les banques.

• Le pouvoir chinois a tenté de sauvegarder le pouvoir d’achat de la classe moyenne par temps de plus faible croissance en laissant grimper pendant plus d’un an la Bourse de Shanghai – essentiellement composée des titres d’entreprises contrôlées par l’Etat – de manière inconsidérée. 90 millions de petits épargnants ont ouvert des comptes boursiers,( ils représentent 80% des intervenants), ils étaient attirés par les profits record jusqu’à la récente catastrophe des krachs à répétition à Shanghai, qui ont ruiné les derniers entrants, ceux qui avaient acheté les actions à des prix déjà élevés, mais pas les plus anciens (effondrement de la Bourse de Shanghai en juin et juillet 2015 : -25% après stabilisation). Pour stopper l’effondrement boursier, le gouvernement a fait ce qu’il n’a jamais cessé de faire : intervenir, en empêchant les « gros » de vendre, et en injectant des milliards de yuans. Exactement comme les pays occidentaux.

• La Chine est aujourd’hui à une étape de son développement, un cap difficile à franchir avec :

o une démographie en berne (malgré l’assouplissement de sa politique de l’enfant unique) qui la rend vieille avant d’être riche,

o des ressources naturelles limitées,

o L’évolution en qualification et exigence des salariés se traduit par une augmentation continue du « coût » de la main d’œuvre chinoise compensée par une sous-traitance accrue dans les pays voisins. Une étude de Natixis de 2012 donnait de 5 à 7 ans pour que l’avantage chinois d’une main d’œuvre à bon marché par rapport à l’Occident disparaisse.

o un investissement productif de moins en moins rentable et un détournement des capitaux vers les activités spéculatives. Le contenu "chinois" des produits techniques dépasse tout de même aujourd’hui largement celui de tous les autres pays, y compris ceux du Japon et des USA... sauf dans les armements et le spatial de pointe. La Chine depuis 2012 est le premier demandeur de dépôt de brevets, plus de 560 000 sur 2 500 000 au niveau mondial.

• La dévaluation interne par le « coût du travail » crée par l’ordo libéralisme européen a bloqué l’activité dans l’UE qui a dû imiter les USA dans son QE (quantitative easing : rachat d’actifs par la banque centrale) pour espérer relancer les économies européennes, vers toujours plus d’exportations vers les pays émergents, puisqu’il faut trouver sans cesse de « nouveaux débouchés » qu’on ne trouve plus au sein de l’UE en régression sinon en déflation. Mais ces pays ne peuvent lutter en gardant eux-mêmes une parité de change fixe. Que le plus important des pays émergents décroche de son lien au dollar à partir du moment où celui-ci se ré évalue brutalement face à l’euro, monnaie du premier acteur économique mondial, est au fond normal.

• L’évolution du modèle chinois s’accompagne comme en Occident de bulles spéculatives, d’une baisse de rentabilité de l’investissement productif, d’une concurrence accrue avec l’Occident sur les biens à haute valeur ajoutée. Dans ce contexte, une parité fixe est intenable, la Chine doit pouvoir s’ajuster par la monnaie, comme tout le reste des économies développées, dans le système mondial actuel en tout cas.

• La Chine a été longtemps vue comme un débouché « joker » des productions occidentales de sorte à occulter la question de la limite obligatoire de la croissance dans un monde fini. La réalité du système néo-libéral conduit la Chine au niveau atteint maintenant à se confronter aux mêmes contradictions du capitalisme que l’Occident. L’Europe a ses traités et sa stupide monnaie unique, la Chine a la rigidité de son système politique incompatible avec le libéralisme économique.

II. La monnaie chinoise au cœur de la crise de son modèle économique

Une monnaie qui s’oriente vers un système de changes flottants

• Renminbi en interne et Yuan pour les échanges extérieurs, au moins historiquement.

• Le Yuan était lié au dollar US par un taux de référence fixe : taux auquel la Banque Populaire de Chine (BPC) rachète les dollars des exportateurs chinois. Petit à petit, le système s’est assoupli, compte tenu qu’il y a des échanges sur le marché libre des changes (FOREX), mais encore assez faibles : le Yuan vient en cinquième rang des monnaies échangées.

• La BPC fixe aujourd’hui un taux de référence selon ses raisons propres avec une marge de fluctuation de plus ou moins 2%. La BPC intervient directement sur le FOREX pour maintenir ce taux.

• Ce qui vient de changer, c’est que la BPC a demandé à ses banques de fixer ce taux de référence en fonction des cours réels de fin de journée du marché libre, tout en gardant la marge de fluctuation. Il s’agit donc moins d’une dévaluation, décidée par une banque centrale dans un système de change fixe, que le résultat mécanique de la prise en compte du marché. C’est un pas important vers le système général de change flottant, souhaité par le FMI notamment.

Historique du cours du Yuan

• De août 2005 à août 2008, le yuan s’est régulièrement réévalué par rapport au dollar, ce que souhaitaient les USA :+ 15,7 % au final. Il est ensuite resté stable jusqu’en août 2010, date à laquelle il a repris son appréciation jusqu’en janvier 2014 : + 25,3% au final par rapport à août 2005.

• La BPC a alors dévalué plusieurs fois de sorte qu’au 10 août 2015 le cours était revenu à + 23% par rapport à août 2005, c’est-à-dire à la parité d’avril 2013. Elle aurait vendu sur la période 1 000 Mds de $ pour éviter ces dévaluations.

• Le 11 août, la BPC a mis en œuvre son nouveau mode de fixation de son taux de référence, qui est stabilisée au 19 août à – 2,8 % par rapport au 10 août, ce qui ramène brutalement la parité au niveau de décembre 2011, soit au final une réévaluation par rapport à 2005 de 21%, qui semble donc être la parité déterminée par le marché des changes.

• D’aucuns, dont le FMI, estiment que le yuan a été surévalué depuis mai dernier du fait de la hausse du dollar. Standards et Poor’s ainsi que le Président de la Réserve fédérale de New York estiment la mesure justifiée.

Enjeux sur la monnaie

• La Chine souhaite que sa monnaie soit une monnaie de réserve, c’est-à-dire qu’elle puisse rejoindre le dollar, la livre sterling, le yen et l’euro pour élaborer la valeur (exprimée en US $) des DTS (Droits de Tirage Spéciaux) qui s’apparentent à un droit alloué à chaque pays membre du FMI de recevoir des fonds du FMI dans la devise qu’il souhaite, pourvu qu’elle soit échangeable librement, dont il a besoin pour soutenir sa monnaie sur le marché des changes. Tout pays peut utiliser comme il l’entend ses DTS pour obtenir à due concurrence des devises, pas forcément celles du panier.

• Le panier, dont la composition et la pondération sont revues tous les cinq ans, doit refléter la part respective de ses devises dans les échanges et la valeur du DTS est calculée quotidiennement en fonction des cours respectifs de ces devises. La dernière révision date de fin 2010 et la prochaine aura lieu fin 2015, mais bien que personne ne pense que le Yuan sera totalement libre à cette date, l’introduction du yuan dans le panier est à l’ordre du jour.

• Quel intérêt pour la Chine de participer à ce panier, alors que les DTS ne représentent que 2% des réserves de change mondiales ? Ce sera simplement la consécration que le Yuan est devenu une monnaie comme les autres dont l’utilisation dans les échanges commerciaux devra refléter la part des échanges économiques, ce qui conduira à renforcer ( par la demande de yuan des agents économiques) et à stabiliser le Yuan.

La dépréciation du Yuan

• La BPC avance progressivement vers la libéralisation totale du yuan, (ce qui conduit dans les faits à ne plus distinguer yuan et renminbi qui est la dénomination officielle de la devise chinoise) sachant qu’elle a laissé lentement le yuan se ré évaluer depuis 2005, progressivement pour ne pas casser sa dynamique exportatrice. Mais elle a besoin de la souplesse sur les changes pour gérer les fluctuations économiques internes et externes. Il semble, au travers des analyses, que c’est davantage cette motivation qui joue plutôt qu’une tentative de dévaluation compétitive qui serait rendue nécessaire par le ralentissement de la croissance chinoise, bien réelle toutefois.

• La baisse du yuan sur le FOREX ne fait que refléter celle de toutes les autres monnaies face au dollar, largement provoquée par le Quantitative Easing (QE) européen. Tous les observateurs s’accordent à penser que les marchés ont sur-réagi à l’annonce, certes tout à fait inattendue et d’une forte ampleur, de cette évolution. Début 2015, à titre de comparaison, l’euro s’est bien déprécié face au dollar de 3,7% en un mois, après une chute de 18% en 10 mois (suite au QE européen).

III. Quelles conséquences pour l’Europe ?

• Des économistes se réjouissent que la baisse continue du prix du pétrole – 60% en un an- (avec une augmentation de l’offre iranienne et du gaz de schiste américain), la baisse de l’euro, dont les effets ne se font pas encore sentir économiquement, le peu d’effet de la crise grecque, la mauvaise santé des pays émergents, ne pouvaient que favoriser l’attractivité des marchés action européens… qui devraient donc repartir à la hausse.

• Il a suffi que le ralentissement de l’économie chinoise soit confirmé pour que l’ensemble des matières premières voient leur cours baisser par anticipation. Par exemple, la Chine consomme 50% de l’acier produit et une simple baisse de sa consommation, sans que la Chine réduise sa production, suffit à créer une offre excessive et donc une baisse des prix. Les commentateurs parlent de « matières premières en solde », en se réjouissant de l’avantage ainsi apporté aux économies avancées au lieu de s’alarmer du nouveau déséquilibre imposé aux pays émergents ou du tiers-monde.

• La France profite de cette baisse du prix de ses importations de matières premières, alors que les pays très exportateurs de matières premières en pâtissent : Australie, la Venezuela ou le Brésil par exemple.

• Pour le moment l’impact est donc limité pour l’Europe. La Chine est beaucoup plus dépendante des marchés européens et américains que l’inverse. Les exportations vers la Chine représentent moins de 1 % du PIB européen, 0,7 % du PIB de la France (l’Allemagne fait exception, avec un ratio de 2,4 %). Et de toute manière malgré ce ralentissement le PIB Chinois augmente toujours beaucoup plus que la croissance des pays européens (7 % de croissance). Dans un premier temps, les régions les plus affectées par un atterrissage brutal de la Chine sont les régions qui sont soit géographiquement proches de la Chine et fortement intégrées avec celle-ci, soit qui constituent de grands exportateurs de matières premières. En Europe c’est surtout l’Allemagne qui peut être rapidement impactée à cause de ses exportations automobiles et ses machines outils dont le prix risque de chuter.

• Le risque sur le moyen terme est un effet en cascade : des difficultés au Brésil notamment, qui contamineront les Etats-Unis, puis l’Europe. Le Japon et le Brésil sont déjà en récession. Une chute de l’activité mondiale est à craindre et entraîner les grandes puissances dans une guerre des monnaies pour la compenser.

ANNEXES :

Quelques données de base sur la Chine :

Source Euro stat : chiffres sur 2012, établis en août 2014, prochaine révision : décembre 2015.

• Part des exportations mondiales : 14,7% contre 11,1 % pour les USA et 15,5 % pour les 28 pays de l’UE (évidemment sans compter les échanges au sein de l’UE).

• Part des importations mondiales : 12,6% contre 16,2 % pour les USA et 16 % pour les 28 pays de l’UE (même remarque).

• Ordre de grandeur pour les produits manufacturés 2013 : 2 200 Mds de $ exportés , 2 000 Mds $ importés.

• Le contenu "chinois" des produits techniques dépasse largement celui de tous les autres pays, y compris ceux du Japon et des USA... sauf dans les armements et le spatial de pointe. La Chine depuis 2012 est le premier demandeur de dépôt de brevets, plus de 560 000 sur 2 500 000 au niveau mondial.

• Réserves de change : 3 000 Mds $.

Sources : Yves Thiébaut (com’éco), Guillaume Etiévant (com’éco) ,Christian Berthier (com’éco), Extraits de l’article de Pierre Haski, du 13 août 2015, de l’interview en septembre 2014 de Mylène Gaulard, maître de conférences à la faculté d’économie de Grenoble et auteur du livre « Karl Marx à Pékin », interview de Françoise Lemoine, conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) et spécialiste de l’économie chinoise + documents de la banque de France

Commission économie du PG


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