Derrière le refus de l’Allemagne d’accorder un allègement de la dette de la Grèce

dimanche 2 août 2015.
 

Par Yanis Varoufakis

La question posée est la suivante : Pourquoi le ministre allemand des Finances, le Dr. Wolfgang Schäuble, résiste-t-il à une restructuration de la dette raisonnable, légère, mutuellement avantageuse ?

Le drame financier de la Grèce a dominé les gros titres pendant cinq ans pour une raison : le refus obstiné de nos créanciers d’alléger la dette. Pourquoi, en dépit du sens commun, de l’avis du FMI et des pratiques quotidiennes des banquiers face aux débiteurs en difficulté, résistent-ils à une restructuration de la dette ? La réponse ne peut être trouvée dans l’économie parce qu’elle réside au fond du labyrinthe politique de l’Europe.

En 2010, l’État grec est devenu insolvable. Deux options compatibles avec la poursuite de l’appartenance à la zone euro s’offraient : l’une sensée, que tout banquier digne de ce nom recommanderait – la restructuration de la dette et la réforme de l’économie ; et l’option toxique – l’octroi de nouveaux prêts à une entité en faillite en prétendant qu’elle est encore solvable.

L’Europe officielle a choisi la deuxième option, mettre le renflouement des banques françaises et allemandes exposées à la dette publique grecque au-dessus de la viabilité socio-économique de la Grèce. Une restructuration de la dette aurait impliqué pour les banques des pertes sur leurs parts de dette grecque. Désireux d’éviter d’avouer aux parlements que les contribuables devraient encore payer pour les banques par de nouveaux prêts non viables, les responsables de l’UE ont présenté l’insolvabilité de l’État grec comme un problème de liquidité et justifié le « plan de sauvetage » comme étant une affaire de « solidarité » avec les Grecs.

Pour mettre en place le transfert cynique des pertes privées irrécupérables sur le dos des contribuables en le présentant comme un exercice d’« amour exigeant » un plan d’austérité a été imposé à la Grèce, dont, en retour, le revenu national– qui devait permettre de rembourser les nouvelles dettes et les anciennes – a baissé de plus d’un quart. Il suffit des connaissances mathématiques d’un enfant de huit ans pour savoir que ce processus ne pouvait pas bien finir.

Une fois achevée cette opération sordide, l’Europe avait automatiquement une raison supplémentaire de refuser de discuter de la restructuration de la dette : ce serait maintenant puiser dans les poches des citoyens européens ! Des doses croissantes d’austérité ont été administrées alors que la dette grossissait, obligeant les créanciers à accorder plus de prêts en échange d’encore plus d’austérité.

Notre gouvernement a été élu sur le mandat de mettre fin à ce cercle vicieux ; d’exiger la restructuration de la dette et la fin de l’austérité paralysante. Les négociations ont abouti à une impasse très médiatisée pour une raison simple : nos créanciers continuent à exclure toute restructuration tangible de la dette tout en insistant que notre dette impossible à rembourser doit être remboursée de façon « paramétrique » par les Grecs les plus fragiles, leurs enfants et leurs petits-enfants.

Au cours de ma première semaine en tant que ministre des finances, j’ai reçu la visite de Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro), qui m’a mis face à un choix difficile : accepter « la logique » du plan de sauvetage et déposer une demande de restructuration de la dette ou ce sera le « crash » de l’accord de prêt - la conséquence non-dite étant la condamnation des banques grecques.

Cinq mois de négociations se sont succédé dans des conditions d’asphyxie monétaire et une panique bancaire induite supervisée et administrée par la Banque centrale européenne. C’était inéluctable : à moins que nous ne capitulions, nous serions bientôt confrontés à des contrôles de capitaux, à l’arrêt presque total des distributeurs de billets, à une fermeture prolongée des banques et, finalement, au Grexit.

La menace de Grexit a eu une histoire en dents de scie. En 2010, elle a installé chez les financiers une sacrée peur que leurs banques ne soient pleines de la dette grecque. Même en 2012, lorsque le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, a estimé que les coûts d’un Grexit étaient un « investissement » un moyen intéressant pour discipliner France et les autres pays, la perspective a continué à effrayer presque tout le monde.

Quand Syriza a conquis le pouvoir en janvier dernier, et comme pour étayer notre affirmation selon laquelle les « sauvetages » n’avaient rien à voir avec un sauvetage de la Grèce (et tout à voir avec une arène d’escrime d’Europe du nord), une large majorité au sein de l’Eurogroupe - sous la tutelle de Schäuble - a adopté le Grexit comme résultat favori ou arme de choix contre notre gouvernement.

Les Grecs, à juste titre, ont frémi à l’idée de quitter l’union monétaire.

Quitter une monnaie commune c’est comme couper un lien, comme en Grande-Bretagne en 1992, quand Norman Lamont chantait sous la douche le matin où la livre sterling a quitté le mécanisme de change européen (MCE). Hélas, la Grèce n’a pas une monnaie dont on peut couper le lien avec l’euro.

Elle a l’euro - une monnaie étrangère entièrement administrée par un créancier hostile à la restructuration de la dette insoutenable de notre nation.

Pour en sortir, il faudrait créer une nouvelle monnaie à partir de zéro. Dans l’Irak occupé, l’introduction d’une nouvelle monnaie papier a demandé près d’un an, environ 20 Boeing 747, la mobilisation de la puissance de l’armée américaine, trois entreprises d’impression et des centaines de camions. En l’absence d’un tel soutien, un Grexit reviendrait à annoncer une forte dévaluation plus de 18 mois à l’avance : une recette pour liquider tout le stock de capital grec et de le transférer à l’étranger par tous les moyens possibles.

Avec le Grexit renforçant la panique bancaire provoquée par la BCE, nos tentatives pour mettre la restructuration de la dette sur la table de négociation tombaient dans l’oreille d’un sourd. Maintes et maintes fois on nous a répété que cette question viendrait dans un avenir indéterminé après « la réussite du programme » - un stupéfiant Catch-22 étant donné que le « programme » ne pourrait jamais réussir sans restructuration de la dette.

Ce week-end est le point culminant des pourparlers dans la mesure où Euclide Tsakalotos, mon successeur, s’efforce, à nouveau, de mettre les boeufs devant la charrue - de convaincre un Eurogroupe hostile que restructurer la dette est une condition préalable pour réussir la réforme de la Grèce, pas une récompense ex-post pour ça. Pourquoi est-ce si difficile à faire admettre ? J’y vois trois raisons.

La première est que l’inertie institutionnelle est difficile à vaincre. Une seconde, qu’une dette insoutenable donne aux créanciers un immense pouvoir sur les débiteurs - et le pouvoir, comme nous le savons, corrompt même les meilleurs. Mais il y en a une troisième qui me semble plus pertinente et plus intéressante.

L’euro est un hybride d’un régime de changes fixes, comme l’ERM des années 1980, ou le standard de l’or en 1930, et une monnaie d’État. Le premier, pour tenir ensemble, repose sur la peur de l’expulsion, alors que la monnaie d’État implique des mécanismes de recyclage des excédents entre les Etats membres (par exemple, un budget fédéral, des obligations communes). La zone euro se situe entre les deux– c’est plus qu’un régime de taux de change et moins qu’un état.

Et voilà le hic. Après la crise de 2008/9, l’Europe ne savait pas comment réagir. Pour renforcer la discipline fallait-il préparer le terrain pour au moins une expulsion (c’est-à-dire le Grexit) ? Ou passer à une fédération ? Jusqu’à présent, elle n’a fait ni l’un ni l’autre, son angoisse existentialiste grandissant toujours. Schäuble est convaincu que, dans l’état actuel des choses, il a besoin d’un Grexit pour assainir l’air d’une façon ou d’une autre. Brutalement, une dette publique grecque définitivement insoutenable, sans laquelle le risque de Grexit s’estomperait, a acquis une nouvelle utilité pour Schäuble.

Qu’est-ce que j’entends par là ? Basée sur des mois de négociation, ma conviction est que le ministre allemand des Finances veut pousser la Grèce hors de la monnaie unique pour semer la panique chez les Français et leur faire accepter son modèle disciplinaire de zone euro.


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