La victoire à la Pyrrhus des maîtres chanteurs de l’austérité

mardi 21 juillet 2015.
 

Avec une majorité de membres du comité central opposés à la ratification de l’accord, 
Syriza entre dans une dangereuse zone de turbulences. Les appels à préserver la cohésion 
du parti se font pressants, alors que des élections anticipées se profilent à l’automne.

Au son des détonations, manifestants et badauds ne tressautent même plus. Mercredi soir, alors que la Vouli, le Parlement grec, s’apprête à entériner, avec les voix de l’opposition, le sévère plan d’austérité que le premier ministre Alexis Tsipras qualifie luimême de catalogue de « réformes libérales » propres à entretenir la récession, le ballet des policiers antiémeute, sur la place Syntagma, entre flammes des cocktails Molotov et fumée des grenades lacrymogènes, rappelle les nuits athéniennes tendues de juin 2011, avant la signature du deuxième mémorandum. À quelques mètres de là, sur les bancs du Parlement, commence un rude débat, qui se conclura par l’adoption, à 229 voix contre 64 et 6 abstentions, du bien mal nommé « accord » de Bruxelles, signé par le gouvernement grec sous la menace d’une ruine planifiée de l’économie du pays. Le projet de loi, présenté en urgence aux députés, n’est entériné qu’avec l’appui de l’opposition. Les Grecs indépendants de Panos Kamménos soutiennent le texte mais dans les rangs de Syriza, 6 députés s’abstiennent et 32 votent contre. Parmi ces voix dissonantes, celle de la présidente de la Vouli, Zoé Konstantopoulou, qui s’élève contre un odieux chantage, tout en faisant l’éloge de Tsipras, celle du ministre de l’Énergie Panayotis Lafazanis, indigné par le « terrorisme » et le « colonialisme » des créanciers et celle de l’ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis, révolté par un protocole aux allures de « traité de Versailles ».

Tsipras, lui, exhorte les siens à voter oui, tout en évoquant un accord avec lequel il est en désaccord, et des mesures qui « ne profi teront pas à l’économie ». Même s’il jouit toujours du large soutien d’une opinion grecque, terrorisée par la perspective d’un e™ ondrement financier et d’une expulsion de la zone euro, il sait sa majorité parlementaire perdue, et prend des accents de chef de guerre qui vient de perdre une bataille cruciale. « Nous avons affronté, dans un combat inégal, de puissants pouvoirs fi nanciers, dit-il. Le peuple grec sait distinguer entre ceux qui perdent une bataille déséquilibrée et ceux qui rendent les armes. »

C’est que les menaces n’ont pas pris fi n au sortir du tragique sommet européen du 12 juillet. Instrument du coup d’État financier, la Banque centrale européenne a attendu le lendemain du vote à la Vouli pour desserrer le nœud coulant en relevant le plafond des liquidités d’urgence dont dépendent les banques grecques.

Alors que se profile une sérieuse crise politique, Tsipras ne pouvant gouverner sans Syriza, la Grèce, toujours sous pression, pourrait aller, à l’automne, à de nouvelles élections anticipées.

Alors que les Grecs accueillaient avec soulagement, ce jeudi, la bouffée d’air consentie par la BCE, après trois semaines d’état d’exception financier (les banques devraient ouvrir de nouveau leurs portes lundi), sur le terrain politique, l’incertitude régnait toujours, dans l’attente d’un remaniement annoncé. Étaient cités, entre autres, le ministre de l’Énergie Panayotis Lafazanis, qui affirmait la veille à la Vouli tenir sa démission à disposition de Tsipras, s’il le souhaitait, et Dimitris Stratoulis (Sécurité sociale). Tous deux sont, il faut le dire, en première ligne des privatisations et de la réforme des retraites exigées par les créanciers. Les ministres adjoints Nadia Valavani (Finances), Costas Issychos (Défense) et Nikos Chountis (Affaires européennes) avaient, eux, déjà officialisé leur départ du gouvernement. Élue par les députés, la présidente de la Vouli, Zoé Konstantopoulou, qui évoquait mercredi soir, dans un discours sans concession, «  un jour noir pour la démocratie  », semble, elle, déterminée à rester au perchoir. Au sein du cabinet Tsipras, on n’écartait plus, toutefois, la perspective d’élections anticipées à l’automne. «  Il est très possible que des élections aient lieu en septembre ou octobre, en fonction de l’évolution de la situation. Ce sera le résultat d’une évaluation globale de la situation, pas seulement par le gouvernement  », a expliqué le ministre de l’intérieur Nikos Voutsis à l’antenne de la radio Sto Kokkino, proche de Syriza. Des membres du gouvernement confiaient au même moment n’avoir appuyé l’accord de Bruxelles que pour conjurer la menace du chaos économique promis à Tsipras. «  Ce n’est pas tenable. Le premier ministre ne peut pas gouverner sans majorité, contre Syriza, avec le secours des voix de l’opposition. Le retour aux urnes, à court terme, est inévitable  », juge un ministre. Au sein du parti, la situation est tout aussi incertaine et «  les débats d’autant plus durs que tout semble instable  », déplore une députée qui a choisi l’abstention. Avec une majorité de membres du comité central opposés à la ratification de l’accord, Syriza entre en effet dans une dangereuse zone de turbulences et les appels à préserver la cohésion du parti dans cette tempête se font pressants. «  Toute la direction de Syriza s’accorde sur le fait que le gouvernement grec a dû faire face, ces derniers jours, à un coup d’État économique sans précédent. Cela laissera des traces et pèsera à jamais sur l’Europe et sa direction, explique Rania Svigkou, membre du secrétariat politique et porte-parole du parti. Cet accord est le résultat d’une capitulation obtenue par le chantage, dans un contexte où le mandat de négociation restait dans le cadre de la monnaie unique. Indépendamment des points de vue, nous partageons tous la même volonté de préserver l’unité de Syriza.  »

Tsipras, en effet, n’a pas perdu 
la confiance des Grecs

Devant les députés, Tsipras affichait lui, mercredi, la ferme intention de continuer le combat, malgré des marges de manœuvre étroites, pour ne pas dire réduites à néant par le retour de la troïka, et les abandons de souveraineté inédits imposés à Bruxelles. «  Nous n’avons pas perdu le soutien de la société. Nous ne permettrons pas qu’un gouvernement de gauche soit renversé. Nous ne ferons pas à nos opposants la faveur d’être une parenthèse  », a-t-il insisté, en promettant de s’attaquer à la corruption et aux intérêts enchevêtrés impliquant les oligarques grecs. Le paradoxe de cette situation, c’est que Tsipras, en effet, n’a pas perdu la confiance des Grecs, majoritairement attachés au principe d’un compromis permettant le maintien de la Grèce dans la zone euro et prêts à faire peser sur ses homologues et sur les créanciers la responsabilité d’un mauvais accord auquel personne ne croit, pas même l’opposition qui l’a ratifié. Toujours profondément discréditée, celle-ci ne peut, malgré l’appui grossier de Jean-Claude Juncker, prétendre incarner une alternative, six mois après la sévère sanction des urnes confirmée avec fracas par la cuisante défaite du «  oui  » au référendum. Tsipras joue-t-il encore la montre  ? Dans un entretien à l’ERT, mardi soir, il a admis que la défaite grecque n’écartait pas pour autant, avec certitude, le scénario du Grexit, que défend toujours l’impitoyable ministre allemand des Finances, 
Wolfgang Schäuble. «  J’ai cru que cette Europe pouvait être changée, que le droit pouvait primer sur les intérêts des banques. Nous étions seuls, face à tout le système financier mondial. La vérité, c’est que cet accord a été imposé de manière cruelle, a expliqué le premier ministre grec. Mais c’est pour eux une victoire à la Pyrrhus, qui finira par se retourner contre eux. Durant cinq mois, nous avons semé des graines de démocratie et de dignité, elles finiront par fleurir. Les fissures dans le mur de l’austérité sont là, il ne résistera pas.  »

Habermas dénonce le « châtiment » infligé aux Grecs. Dans le quotidien britannique The Guardian, le philosophe Jürgen Habermas, figure de l’École de Francfort, étrille la grande coalition allemande à l’attaque de la Grèce et du gouvernement Tsipras. «  Je crains que le gouvernement allemand, incluant sa branche sociale-démocrate, n’ait dilapidé en l’espace d’une nuit tout le capital politique qu’une Allemagne meilleure avait accumulé depuis un demi-siècle  », déplore le penseur, élève de Theodor Adorno et figure des révoltes étudiantes en Allemagne 
à la fin des années 1960. Et d’ajouter  : «  Forcer 
le gouvernement grec 
à donner son accord 
à un fonds de privatisation économiquement discutable et éminemment symbolique ne peut être compris que sous l’angle d’un châtiment décrété contre un gouvernement de gauche. »

Rosa Moussaoui, L’Humanité


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