« La BCE a déstabilisé l’économie pour soumettre la Grèce aux exigences des créanciers »

mercredi 22 juillet 2015.
 

Maître de conférences à l’université de Liège, porte-parole du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), Éric Toussaint est le coordinateur scientifique de la Commission pour la vérité sur la dette grecque.

Avons-nous assisté ces dernières semaines, à Athènes, à un coup d’État financier, comme l’affirment de nombreux observateurs, en Grèce et à l’étranger  ?

Éric Toussaint Oui et non. Ce qui était décisif ici tenait à des décisions politiques, prises par des instances politiques complices, bien sûr, des intérêts financiers. Ce n’est pas un coup d’État mené directement par la finance, mais par les institutions, la Commission européenne, les chefs d’État et de gouvernement des pays de la zone euro. L’Allemagne n’est pas seule impliquée. Il est clair que l’Espagnol Mariano Rajoy ou le Portugais Pedro Passos Coelho, sans parler des gouvernements finlandais ou letton, dévoués aux politiques néolibérales, tenaient à démontrer à leurs peuples respectifs que l’option présentée aux Grecs et aux peuples d’Europe par Syriza ne pouvait pas fonctionner. Il s’agit donc bien de décisions d’abord politiques. Il est clair que les grandes banques privées, les multinationales voulaient aussi obtenir la démonstration qu’il est impossible de tourner le dos à l’austérité. Mais il faut rappeler que les principaux créanciers de la Grèce sont aujourd’hui des créanciers publics. Les banques ne sont plus aux premières loges, elles l’étaient jusqu’en 2012, avant de se défaire des créances qu’elles détenaient. La restructuration de la dette en 2012 leur a permis de s’en tirer à bon compte. Aujourd’hui, la Commission européenne, la Banque centrale européenne et les États de la zone euro veulent absolument, en dépit de l’échec des politiques économiques imposées à la Grèce, que le pays reste sur les rails du néolibéralisme. Le FMI aussi, bien entendu, qui est aussi une instance politique.

Alexis Tsipras espérait, en contrepartie de sa capitulation sur les politiques d’austérité, obtenir des engagements sur un allégement de la dette. Les créanciers, eux, concèdent tout juste l’ouverture en 2015 d’une discussion sur un éventuel réaménagement de la dette à partir de 2022. Pourquoi cette intransigeance, alors que le FMI lui-même juge désormais la dette insoutenable  ?

Éric Toussaint À mon avis, il pourrait y avoir une restructuration de la dette avant 2022. Les créanciers disent «  pas avant 2022  » parce qu’ils savent que ce plan ne va pas fonctionner, que le paiement de la dette sera insoutenable. Ils la restructureront, cette dette. Mais en conditionnant cette restructuration à la poursuite de réformes néolibérales. La dette est un moyen de chantage, un instrument de domination. Fondamentalement, dans le cas grec, ce n’est pas tellement la rentabilité qui compte pour les créanciers, même si elle existe. Ce qui les motive, c’est de démontrer à leurs propres peuples et à ceux des autres pays périphériques qu’il n’est pas question de dévier du modèle. 
Pour Hollande, pouvoir dire  : «  Regardez, même Tsipras, même la gauche radicale ne peut sortir du carcan  !  », c’est a posteriori et dans le débat français la justification de sa propre abdication, en 2012, sur la promesse de renégocier le traité européen sur la stabilité budgétaire.

Devant la violence de l’offensive des créanciers, Tsipras avait-il d’autres choix  ? L’alternative se résumait-elle à la sortie de l’euro  ?

Éric Toussaint Non, je ne le crois pas. Le choix n’est pas entre le Grexit et le maintien dans la zone euro assorti d’un nouveau plan d’austérité, en continuant à payer la dette. Il était possible de rester dans la zone euro en désobéissant aux créanciers par l’invocation du droit. Des violations de droits humains sont en jeu, ici. Il fallait suspendre le paiement de la dette  ; prendre le contrôle de la Banque de Grèce dont le gouverneur, nommé par Antonis Samaras, joue contre les intérêts du pays et peut-être, aussi, lancer une monnaie électronique complémentaire qui aurait pu aider à faire face à l’assèchement organisé des liquidités, tout en restant dans la zone euro.

La BCE, instrument du coup d’État, inonde les marchés financiers de liquidités, dopant la machine à spéculer. Peut-on mettre la création monétaire au service de l’économie réelle, des besoins sociaux, du développement humain  ?

Éric Toussaint Bien sûr  ! Mario Draghi n’est pas «  indépendant  ». Il est l’interface entre les grandes banques privées et les gouvernements de la zone euro. La BCE a déstabilisé l’économie grecque de façon délibérée, pour soumettre la Grèce à ses exigences et à celle des autres créanciers.

Éric Toussaint, Universitaire 
et porte-parole du CADTM

Entretien réalisé par 
Rosa Moussaoui, L’Humanité


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