La dette grecque est totalement insoutenable (Michel Husson)

mardi 30 juin 2015.
 

Alors que tout indique qu’on s’achemine vers la rupture entre la Grèce et ses créanciers, Michel Husson, membre du Comité pour la vérité sur la dette grecque, résume ici les principales conclusions du rapport préliminaire qui vient d’être rendu public par Zoé Konstantopolou, la présidente du Parlement grec.

Attac France

La Commission pour la vérité sur la dette grecque vient de rendre public son rapport préliminaire. Cette commission, mise en place début avril par la présidente du Parlement grec, Zéo Konstantopoulou a fait travailler ensemble une trentaine d’experts grecs et étrangers qui ont croisé leurs compétences et leurs expériences pour rédiger en un temps record cet état des lieux. L’objectif était principalement de faire la lumière sur la dynamique de la dette grecque et sur les effets sociaux des conditions d’austérité imposées par les créanciers.

S’il fallait résumer les messages de ce rapport, on pourrait en extraire cette formule : « La dignité du peuple grec vaut mieux qu’une dette illégale, illégitime, odieuse et insoutenable ». Ce résultat, certes prévisible, est étayé au fil des chapitres qui mobilisent l’information disponible et des grilles d’interprétation économiques et juridiques rigoureuses.

Voici leurs principaux résultats :

1. Avant la crise, la croissance de la dette ne provient pas de dépenses publiques excessives. Elle s’explique pour l’essentiel par des taux d’intérêt prohibitifs, des dépenses d’armement injustifiées et entachées de nombreuses fraudes, des sorties illicites de capitaux, et par la recapitalisation par l’État des banques privées.

2. Les plans de 2010 et 2012 a dette grecque ont surtout servi au sauvetage des banques. Mais ils ont aussi imposé la mise en place de mesures d’austérité qui ont plongé le pays dans la récession économique : entre 2007 et 2014, la dette publique grecque a explosé tandis que le PIB se contractait de 25 %. Cette gestion de la dette a conduit à la régression sociale et engendré de graves violations des droits humains. Le rapport insiste beaucoup sur cette articulation entre mesures économiques et effets sociaux. A titre d’exemple, le premier programme d’ajustement plafonnait le budget de la santé à 6 % du PIB, et le suivant demandait une baisse de 8 % des dépenses hospitalières. Et cette logique est encore à l’œuvre aujourd’hui, quand la Troïka s’obstine à exiger une nouvelle baisse des retraites.

3. Les « programmes d’aide » ont été bâtis sur des hypothèses erronées et ont engendré une dette insoutenable. Les performances économiques se sont dégradées, la compétitivité n’a pas été restaurée et le ratio dette sur PIB a fortement augmenté. Ce bilan désastreux était prévisible mais, et c’est important de le souligner, les scénarios actuels de la Troïka reposent toujours sur les mêmes hypothèses irréalistes. Leur mise en œuvre nuirait gravement à la future croissance du pays et compromettrait sa capacité à s’engager sur la voie d’un développement économique socialement juste et écologiquement viable.

4. La dette grecque est en grande partie illégale, illégitime et même odieuse. Les dettes réclamées aujourd’hui à la Grèce sont illégales, parce qu’elles ont été contractées en violation de la constitution grecque et la législation européenne. Elles peuvent également être considérées comme illégitimes, dans le sens où elles n’ont pas profité à la majorité de la population, mais à une minorité de créanciers privés, en particulier les grandes banques grecques et étrangères. Enfin, elles peuvent être qualifiées d’odieuses en ce sens que les prêteurs ne pouvaient ignorer que les conditionnalités qu’ils ont attachées à leurs prêts impliquaient obligatoirement la violation de droits humains fondamentaux.

5. Le droit de tout État de répudier ses dettes illégales, odieuses et illégitimes est reconnu en droit international. Dans le cas grec, un acte unilatéral pourrait invoquer de nombreux arguments : primauté des droits humains, clauses abusives violant la souveraineté de l’État grec, mauvaise foi manifeste des créanciers. Tout Etat est aussi juridiquement fondé à invoquer l’état de nécessité : il peut alors s’affranchir de l’exécution d’une obligation internationale telle que le respect d’un contrat de prêt. Enfin, les États disposent du droit de se déclarer unilatéralement insolvables.

Que faire du rapport ?

La commission elle-même « espère que le rapport sera un outil utile pour ceux qui veulent sortir de la logique destructrice de l’austérité et défendre ce qui est aujourd’hui menacé : les droits humains, la démocratie, la dignité des peuples, et l’avenir des générations à venir ».

La publication du rapport intervient à un moment où le bras de fer entre la Troïka et le gouvernement grec a atteint un degré élevé de tension et d’incertitude. Personne n’est aujourd’hui capable de dire si un accord est envisageable à brève échéance ou si l’on va vers une rupture durable des négociations. De ce point de vue, le rapport fournit des arguments très forts en faveur d’un moratoire qui permettrait de s’extraire du chantage des « institutions ». Quelle que soit l’issue à court terme du bras de fer, ce premier rapport constitue une contribution désormais incontournable à un débat d’orientation qui risque de connaître de nombreux rebondissements.

Le travail continue. Les conclusions de ce rapport préliminaire peuvent encore être affinées sur de nombreux points - par exemple sur les commandes militaires - grâce au travail d’enquête engagé et à l’exploitation systématique des documents des administrations grecques qui deviennent peu à peu disponibles, malgré certaines résistances. Enfin, et ce n’est pas rien, l’écho donné à la démarche de la Commission permettra sans aucun doute de susciter des exercices d’audit dans d’autres pays.

Michel Husson, économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac et de la Commission pour la vérité sur la dette grecque


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