D’un monde de compétition à un monde de coopération (Nicolas Hulot)

samedi 20 juin 2015.
 

Pour le président de la Fondation pour la nature et l’homme, la crise climatique oblige à repenser 
les règles de vie communes, à passer d’un monde de compétition à un monde de coopération. 
L’envoyé spécial pour la protection de la planète de François Hollande garde intacte sa liberté de parole.

Le prochain grand rendez-vous international sur le climat se tient à Paris en décembre prochain. Beaucoup disent qu’il n’est déjà plus possible de contenir le réchauffement de la planète à 2 degrés. Est-on vraiment au pied du mur  ?

Nicolas Hulot. Personne ne pourra se réjouir si la COP21 est un échec. L’objectif de contenir le réchauffement à 2 degrés, qui est le seul raisonnable pour l’humanité, deviendra plus aléatoire sur le plan économique et beaucoup plus tragique sur le plan humain. Le phénomène que nous essayons de combattre se développe aujourd’hui plus vite que la traduction concrète de notre prise de conscience. L’enjeu a été trop longtemps reporté. Cela étant, la communauté internationale aura encore les moyens de trouver un rebond les mois suivants.

Trouver un accord entre 195 pays qui ne sont pas tous responsables de la même manière du réchauffement et en subissent différemment les conséquences, c’est possible  ?

Nicolas Hulot. L’exercice est utile mais il a ses limites. Il faudrait inventer un autre mode de concertation. Entre 70 % et 80 % des émissions de gaz à effet de serre sont le fait d’une quinzaine d’États qui siègent tous au G20. Or cette instance se réunit quinze jours avant la COP21 à Istanbul, en Turquie. Il me semble important de mettre la pression à ce niveau. Du fait de leur responsabilité écrasante dans le changement climatique, ces 15 pays pourraient prendre unilatéralement cinq à six mesures qui permettraient de déverrouiller le système.

Lesquelles  ?

Nicolas Hulot. L’arme incontournable pour moi consiste à fixer un prix au carbone qui doit aller crescendo. L’objectif, pour les investisseurs privés ou publics, est de trouver intérêt à investir dans les économies faiblement émettrices de CO2, et désavantage à soutenir l’énergie carbonée, charbon, pétrole ou gaz. Si les 15 pays les plus émetteurs s’y engagent, un levier fantastique se met en place. La commande publique a déjà la puissance de feu pour engager la conversion. Elle représente entre 15 % et 20 % de la consommation mondiale, seuil très proche de ce que l’on appelle la norme industrielle à partir de laquelle les coûts baissent pour tout le monde. En inscrivant dans son cahier des charges un approvisionnement bas carbone, elle crée les standards. Après, si quelqu’un veut par exemple acheter une voiture ou un appareil électroménager respectueux de l’environnement, il ne sera pas plus cher.

Les énergies renouvelables sont-elles suffisamment développées pour que toute la commande publique s’y approvisionne  ?

Nicolas Hulot. Le virage est pris. Aujourd’hui dans le monde, on installe autant d’énergies renouvelables que de capacités conventionnelles. Ce sont 270 milliards investis rien qu’en 2014, autant dans les pays développés que dans les pays en développement. De plus, en politique, on sait prendre des décisions progressives, étaler le chantier sur dix ou quinze ans. L’Europe a un rôle fondamental à jouer pour mettre en place l’incitation fiscale à la transition énergétique. Il s’agit de l’outil le plus structurant. Le reste, c’est du bla-bla.

Tous les pays du monde ne possèdent pas les mêmes capacités d’investissement…

Nicolas Hulot. Résoudre les inégalités de développement est une question très importante. Et là encore, le moyen existe de s’y attaquer en mettant sur pied une taxe sur les transactions financières digne de ce nom. La recette, qui pourrait s’élever au moins à une dizaine de milliards d’euros avec une taxe ambitieuse, doit être dédiée à l’adaptation au changement climatique et à l’aide au développement pour les pays les plus vulnérables. Voilà une décision qui changerait les relations internationales. Il n’est plus possible qu’une partie du monde s’affranchisse de la solidarité. Les inégalités n’ont jamais été aussi criantes, que ce soit entre les pays ou entre les classes sociales. Dans un monde où tout est connecté, cela se voit, et ajoute un élément explosif aux tensions sociales  : l’humiliation. On ne peut pas échapper aux contraintes sociales et environnementales ,sinon elles nous exploseront à la figure.

Le sujet est en débat dans le cadre de la COP21 autour de l’enjeu du Fonds vert que les pays riches doivent abonder pour aider les États plus en difficulté à se développer. Est-ce un des nœuds de la négociation  ?

Nicolas Hulot. Il s’agit d’un sujet crucial. Les pays vulnérables subiront les effets des changements climatiques même si le réchauffement est contenu à 2 degrés. Ils sont déjà dans l’obligation d’adapter leur économie, de se développer en sautant l’étape des énergies fossiles. Il faut les y aider et rétablir la confiance avec eux avant la COP21. À Copenhague, les pays développés se sont engagés à mobiliser, à partir de 2020, 100 milliards de dollars par an d’investissements publics et privés. Le Fonds vert est un des leviers pour concrétiser cette ambition, mais pas le seul. Or, d’où vient l’argent que les États ont promis  : de fonds existants, de prêts, de dons, de structures publiques, privées  ? Pour le moment, tout le monde entretient l’ambiguïté de façon volontaire. Mais les pays du Sud savent bien que les nations riches n’ont pas les milliards qu’ils promettent dans leur budget. On en revient donc à la question des sources de financement innovantes. Les pays développés doivent démontrer la crédibilité de leurs promesses en mettant sur la table les outils de financement qu’ils comptent développer. Il y a plusieurs options à combiner, parmi lesquelles la taxe sur les transactions financières ou bien l’utilisation des droits de tirage spéciaux du FMI. Par ailleurs, on ne peut pas continuer d’accepter qu’un certain nombre de multinationales échappe à l’impôt sur les bénéfices en toute légalité mais en toute immoralité grâce à l’optimisation fiscale. Autre absurdité, la somme totale accordée aux énergies fossiles représente 650 milliards de dollars par an. Cet argent alimente la crise climatique. Or, le coût des catastrophes environnementales a été évalué à 450 milliards de dollars. 1 100 milliards de dollars sont donc perdus. Si le G20 en avait la volonté, une partie de ces sommes pourrait quand même être facilement rationalisée.

Les instances internationales qui gouvernent le monde, FMI, OMC, Banque mondiale… sont plutôt dans des optiques de libéralisation. Ne sont-elles pas devenues un handicap à la transition nécessaire  ?

Nicolas Hulot. On ne peut pas abandonner le sort de l’humanité à l’OMC. Je prêche pour l’instant dans le désert mais il faut mettre à l’ordre du jour la création d’une organisation mondiale de l’environnement dont le rôle serait de prendre en charge à l’échelle mondiale les biens communs, de piloter la gestion des ressources menacées comme l’eau, les terres arables, la pêche ou encore, des matières premières qui deviennent des métaux rares et dont les économies ont besoin, cuivre ou plomb, terres rares, etc.

Ce que vous proposez renverse la logique qui mène le monde actuel…

Nicolas Hulot. De gré ou de force, si nous ne passons pas d’un monde de compétition à un monde de coopération, nous irons tous dans le mur. Cela n’est pas une question de morale, c’est physique. Un modèle basé sur une croissance exponentielle dans un vivier de ressources finies ne peut pas tenir. Il va s’effondrer sur lui-même. Des tensions sont déjà à l’œuvre car nous touchons aux limites de nos ressources naturelles. On se fait la guerre depuis cinquante ans à cause du pétrole, du gaz, du charbon. Qu’en sera-t-il quand des ressources plus vitales comme les terres arables, le poisson ou des métaux essentiels à l’industrie basculeront dans le manque  ? Si on ne pilote pas tout cela, il n’y a pas de paix possible. La pénurie est un facteur de tensions, de guerre. Et nous tendons à la pénurie. Il faut donc réfléchir à des règles communes. On me dit que c’est compliqué. Mais cela n’a pas été compliqué de mettre en place l’OMC  ? Là nous sommes dans une période de crise majeure.

On pense le changement comme une contrainte. Peut-il être une opportunité  ?

Nicolas Hulot. Il sera une contrainte si on laisse le phénomène nous échapper. Mais si on considère qu’il nous oblige collectivement à une vision de l’humanité, alors il peut contribuer à réenchanter le monde. Il faut réussir à inverser le regard, à nous poser à nouveau une question fondamentale  : quel est le sens du progrès  ? Cette crise relie toute la famille humaine dans une communauté de destins. Elle devrait nous pousser à réorienter nos investissements, notre économie, notre recherche, dans la seule direction d’un épanouissement partagé du genre humain. Elle est un moment dont on devrait se réjouir. Einstein disait que «  notre époque se caractérise par la profusion de moyens et la confusion des intentions  ». Il va falloir repréciser nos intentions. Nous sommes à un moment où elles doivent devenir cohérentes avec les actions. L’Europe, par exemple, fait figure de bon élève sur les trajectoires de réduction de gaz à effet de serre. Mais en même temps, elle négocie avec les États-Unis un traité transatlantique qui va dans le sens d’une histoire aveugle aux paramètres environnementaux. Le Tafta continue d’alimenter la notion de libre-échange alors qu’il faut passer à celle de juste échange, opter pour des critères sociaux et environnementaux. Mon rôle est de le dire sinon on est dans la mystification. Si les 195 chefs d’État et le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, sont convaincus que l’humanité est en péril, alors ils ne peuvent pas s’accommoder de ce type de traité qui amplifie les causes du problème.

La question sociale vous paraît-elle constituer une priorité de la réussite de la transition écologique  ?

Nicolas Hulot. On dit souvent, à tort, que l’enjeu écologique est une préoccupation de riches. Il représente un devoir de riches, nations ou individus, qui polluent plus que les pauvres. Les plus démunis, eux, sont les premiers à subir les conséquences. L’enjeu est éminemment social car les bouleversements à l’œuvre ajoutent de l’injustice à l’injustice, de la misère à la misère, de la souffrance à la souffrance. Nos acquis sociaux, tout ce qui a de l’importance à nos yeux, tout ce pour quoi on s’est battu sera en péril si la pauvreté et les dérèglements climatiques se combinent. Nos économies, nos démocraties n’y résisteront pas.

On parle beaucoup d’une inévitable relocalisation des activités, agricoles, industrielles, etc. Comment est-ce possible dans une économie mondialisée  ?

Nicolas Hulot. Une partie de nos économies va inévitablement se relocaliser. Ce mouvement doit être anticipé, accompagné, piloté par la puissance publique. On est à l’heure des choix. Je porte depuis longtemps l’idée de croissance et décroissance sélectives. Certaines productions spécifiques ne sont pas relocalisables. Pour d’autres, cela tombe sous le sens. N’est-il pas ridicule de nourrir notre bétail avec des tourteaux de soja qui viennent du Brésil alors que des légumineuses poussent sur notre territoire  ? La production énergétique doit aussi être relocalisée. Imaginons que tous les États puissent produire leurs énergies, dans leur territoire, à partir de sources gratuites  : le vent, l’eau, la mer, le soleil… on rétablit l’équité. Plutôt que de regarder le potentiel des énergies renouvelables avec dédain, il vaudrait mieux s’y intéresser.

Quel rôle peuvent jouer les citoyens, les mouvements sociaux dans ce vaste chantier  ?

Nicolas Hulot. Ils peuvent donner le pouvoir aux solutions, dire aux négociateurs que leur mandat consiste à changer le monde. Mais, pour y parvenir, le mouvement citoyen ne peut pas se limiter aux altermondialistes et aux écolos de la première heure. Il faut rassembler au-delà des initiés.

Entretien réalisé par Paule Masson, L’Humanité


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