"Les partis ne correspondent plus aux enjeux et aux enthousiasmes de demain" (Pouria Amirshahi)

dimanche 21 juin 2015.
 

Pourquoi ils sont dépassés. Comment ils tuent le débat. Comment rendre la démocratie aux citoyens. Dans son numéro en kiosques ce vendredi, "Marianne" se penche sur la dépouille des partis politiques. Le député socialiste Pouria Amirshahi, frondeur de la première heure, fait le même constat : il considère que "tous les partis sont devenus anachroniques ou anhistoriques". Il lance donc un appel aux "bonnes volontés" pour engager "un mouvement national citoyen". Utopique ? Opportuniste ? Chacun trouvera à redire. Lui n’en a que faire : il veut "parier sur les nouvelles générations et sur les transgressions politiques intelligentes".

Marianne : Dans une tribune publiée dans les colonnes du Journal du dimanche, vous appelez les élus et militants de gauche à « engager dès maintenant un mouvement national citoyen ». Pourquoi avoir décidé de lancer une telle initiative ?

Pouria Amirshahi : il ne s’agit pas que de la gauche, l’enjeu est bien plus profond. Si nous voulons renouer avec l’optimisme et une pensée positive qui permet de penser la France d’après, solidaire, moderne et généreuse, il faut absolument briser le plafond de verre des institutions qui étouffe la vie démocratique. Et comprendre que les partis politiques, bien qu’ils soient nécessaires à notre démocratie, sont fatigués et usés et que d’autres bonnes pratiques existent partout. Plutôt que de demander aux uns et aux autres de choisir son camp et ses guerres, pourquoi ne pas appeler militants et citoyens à se rassembler autour des idées les plus concrètes et les plus intelligentes pour permettre d’améliorer le bien commun. Nous devons approfondir notre démocratie qui est épuisée, s’engager véritablement dans l’écologie, dans un développement soutenable, durable, et cesser cette confiscation des pouvoirs et des richesses.

Il faut inventer quelque chose de nouveau. Nous devons rentrer dans le temps du rassemblement de toutes les bonnes volontés. Pour peser sur les choix qui nous paraissent utiles et réalisables. Et pour préparer la France d’après. C’est maintenant que cela se fait. Nous n’obligeons personne à quitter sa famille. Que chacun reste fidèle à ce qu’il est, que l’on soit socialiste, communiste, vert et même au-delà. Toutes les énergies de la société, ingénieurs, artistes, ouvriers, entrepreneurs, jeunesse mobilisée, tous ceux qui ne sont affiliés à aucun parti. Prenons toutes ces bonnes volontés et essayons d’engager un mouvement commun.

Votre démarche procède-t-elle d’un constat que les vieilles machines partisanes sont devenues des structures inadaptées à intéresser, à intégrer les contestations citoyennes et les traduire politiquement ?

Tout à fait. Chaque parti est fier de son histoire et de ce qu’il représente. C’est bien sûr légitime. Mais tous les partis sont devenus anachroniques ou anhistoriques. Ils ne correspondent plus ni dans leurs objectifs, ni dans leurs solutions, ni dans leur fonctionnement, aux enjeux et aux enthousiasmes de demain.

Et la France, particulièrement, voit ses partis à l’image de ses institutions et de son économie : ils sont épuisés, en panne. Comme est en panne notre imaginaire. La déconstruction chez nous est permanente. Nous passons notre temps à dire que ça ne va pas, que c’est de la faute de l’autre. Nous sommes en panne à cause de postures, de la théâtralité et de la superficialité de la vie politique alors que notre pays est rempli d’intelligences. C’est pour cela qu’il faut bouleverser le champ politique. Non pas par un parti de plus. « Mouvement commun », ce n’est pas le nom de baptême d’un nouveau parti, c’est une idée, une démarche. Il est temps de tenter quelque chose qui n’a pas encore été fait, en y mettant toute la part de sincérité et d’éthique de conviction sans laquelle rien n’est possible. Nous nous donnons le semestre pour formaliser les choses après avoir lu ce que les gens écrivent, avoir parlé avec celles et ceux qui, quel que soit leur parti, y compris ceux qui n’en ont pas, sont prêts à construire quelque chose de neuf.

Pensez-vous qu’il soit vraiment possible de monter cette entreprise tout en restant au Parti socialiste ? « Gauche avenir », le club de Marie-Noëlle Lienemann, a bien réussi à faire se rencontrer les responsables des divers partis de gauche, mais le « nouveau pacte majoritaire » tant recherché n’a pas vu le jour…

Certes, mais le lien à gauche a été maintenu par ce genre de rencontres. Mais je ne veux pas faire un club de plus ! Je parle d’un mouvement national et citoyen, c’est tout à fait différent ! Il ne s’agit pas de réunir une fois par mois quelques responsables politiques et faire le lien entre les partis de la gauche. Je participe à ça depuis des années à travers mon parcours militant et je continuerai à le faire d’ailleurs. Mais, là, il s’agit de constituer un mouvement national et sans avoir à me renier. Et personne ne demande à ceux qui veulent venir de le faire non plus. Ce qui est intéressant, c’est la démarche, le contenu et d’une certaine manière le réenchantement du rêve français (dont d’ailleurs François Hollande avait parlé en 2012). Est-ce possible ? Cela n’a jamais été vraiment tenté et c’est tout l’enjeu et le défi de la nouveauté. Pour compléter votre question, Victor Hugo disait : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Eh bien cette façon de faire sera déterminante. Cette nouveauté dans la manière de faire chacun a pu le voir lors de la réunion que j’avais organisée à la Bellevilloise (durant ce rendez-vous, chose rare, ce sont des politiques qui ont écouté des citoyens, ndlr). Ça l’a aussi été dans la construction collective de ce que les médias ont appelé le mouvement des « frondeurs ». Et dans le perpétuel dialogue que j’ai entretenu avec les autres acteurs de la gauche en dehors de mon parti parce que je suis un homme libre. Dans la poursuite du dialogue, par exemple, avec les acteurs de la société civile, à l’image des Fralib, comme avec les acteurs des quartiers en mouvement, des acteurs économiques ou de ceux qui pouvaient me faire des retours sur des expériences à l’étranger.

J’ai cette intime conviction qu’il faut renouer avec cette idée du possible. Mais pour ça, il nous faut changer les codes. Nous n’avons pas de temps à perdre avec les guerres internes, ni au PS, ni au sein de la gauche. Nous devons consacrer notre temps à construire le monde de demain, à faire connaître les bonnes idées qui bientôt pourront germer. Car il faut bien comprendre que, dans cette période de l’histoire — qui peut basculer dans le pire comme dans le meilleur —, il nous faut partir à la reconquête des souverainetés citoyennes qui ont été confisquées dans tous les domaines.

Mais ne pensez-vous pas que ce « pied dedans, pied dehors » risque de vous pénaliser, soit en étant suspecté de contribuer indirectement à garder le PS dans le jeu ou plus simplement, en faisant fuir ces « bonnes volontés » qui seraient en désaccord profond avec les positions du PS ?

Mais tout le monde a un pied dedans et un pied dehors. Les écologistes par exemple, qui prennent part à des discussions avec nous. Le Front de gauche a, lui aussi, un pied dedans, un pied dehors lorsqu’il participe à des majorités avec le PS dans les collectivités locales, et heureusement que c’est le cas !

Sauf que les autres partis n’ont pas un président de la République issu de leur rang et qui, depuis son élection, met en place une politique qui divise profondément la gauche…

Je conteste les orientations économiques principales du président de la République. Je continuerai à voter les bonnes lois en les améliorant et je continuerai à m’opposer à celles que je considère mauvaises ou néfastes et à en proposer de nouvelles.

"Il faut parier sur les nouvelles générations et sur les transgressions politiques intelligentes"

C’est mon rôle en tant que parlementaire. Au sein du Parti socialiste, je suis pour le débat démocratique mais nous n’avons pas de temps à perdre à quitter, scissionner ou à exiger je ne sais quoi. Nous voulons faire autre chose et consacrer notre énergie à inventer un mouvement neuf. Qu’est-ce que va donner ce mouvement ? Comment va-t-il s’incarner ou affronter les échéances électorales ? Je comprends ces interrogations ; nous verrons bien. Mais si l’on commence par ça, rien ne se passera jamais parce que nous serons écrasés de nouveau par le poids mort des institutions, le narcissisme de la présidentielle et par les logiques de pouvoir… Cette démarche est une invitation à construire un mouvement. Personne n’a la vérité absolue. Cela reposera sur les bonnes volontés sincères.

Quel est votre regard sur le congrès du PS qui vient de se tenir à Poitiers ?

Soit Jean-Christophe Cambadélis, qui est maintenant le Premier secrétaire légitime, défend les inflexions qui sont dans son texte et il y aura une reprise d’un dialogue fécond et de confiance. Soit finalement les options contraires qu’il a mis dans cette même motion — dont tous les membres du gouvernement, rappelons-le, sont signataires — l’emportent et alors ce congrès aura été un congrès pour rien et Jean-Christophe Cambadélis aura raté l’occasion de faire bouger les lignes dans les quinze mois qui s’ouvrent devant nous. Faire bouger les lignes non par des mots, non par des postures de théâtre, des contorsions ou des formules, mais par le simple fait d’assumer que le Parti socialiste procède de ses électeurs et pas du gouvernement. Il a une première occasion de mettre en œuvre les engagements pris à l’occasion de ce congrès : la loi Macron est de retour cette semaine à l’Assemblée nationale...

Podemos, pour se construire, s’est appuyé sur le mouvement des « Indignados ». Syriza, en Grèce, sur la contestation des mesures demandées par l’ex-Troïka. En France, les conditions nécessaires à l’émergence d’un mouvement semblable vous semblent-elles vraiment réunies ?

Le défi, vous avez raison, est immense, car même notre mouvement social semble n’avoir plus de ressort. Mais, quand les ressorts sont cassés, on les répare ou on les change ! Il faut parier sur les nouvelles générations et sur les transgressions politiques intelligentes. Alors oui, en France, nous sommes dans une sorte de tunnel et le temps de la reconquête culturelle par les idées progressistes ne se fera pas dès demain. Mais il faut quand même faire ce pari. C’est celui de l’enthousiasme et de la sincérité. Ce sont deux vertus très contagieuses...

Il existe déjà un mouvement similaire à ce que vous semblez vouloir construire. C’est celui du M6R de Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi ne pas avoir décidé tout simplement de l’investir ?

Il n’y a pas de mauvaise expérience et celle qui consiste à se focaliser sur la grande réforme institutionnelle proposée par Jean-Luc Mélenchon et que je propose d’ailleurs aussi avec lui depuis plus de vingt ans — car, je le rappelle, nous l’avions écrite ensemble au PS cette VIe République — est légitime, comme d’autres grandes causes. Mais je pense qu’elle ne constitue pas la focale principale. Elle est déterminante, mais la question démocratique va bien au-delà de la question des institutions. Mais il n’y a aucune barrière infranchissable entre nous tous et notre approche permet aussi d’inclure ce combat. C’est la mise en mouvement d’une société bloquée qui nous intéresse. Nous voulons proposer une autre méthode, un autre chemin. Il faut parler de la France et avec les Français : quelle part voulons-nous prendre à la construction du monde qui nous entoure, qui semble faire peur chaque jour mais qui est pourtant plein de promesses ? Qui participe à cette construction ? C’est en répondant à ces questions que nous écrirons collectivement, lettre après lettre, un nouveau récit pour la France, porteur d’un nouveau modèle de développement.


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