La Grèce ne paiera pas

vendredi 5 juin 2015.
 

La question grecque entre dans une période cruciale en Europe. Le porte-parole du groupe parlementaire de Syriza a fait savoir que le gouvernement grec ne rembourserait pas les 300 millions d’euros que le pays doit au FMI le 5 juin.

En tous cas pas s’il n’y avait pas d’accord auparavant avec les autres pays de la zone euro, la Banque centrale européenne et le FMI lui-même. Chacun est désormais au pied du mur. Tsipras a fait la preuve de sa bonne volonté et à présent, les autres pays de la zone euros doivent choisir entre une banqueroute qui les percutera tous et un accord raisonnable, c’est-à-dire respectueux de la souveraineté des Grecs. Dans ce débat, un homme joue un rôle particulièrement odieux et pervers. Je parle du ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble. Depuis 2010, il a toujours été partisan de l’expulsion de la Grèce de la zone euro. Il n’en finit pas de multiplier les provocations irresponsables. Ce jeudi 21 mai, il a donné une interview bouffie d’arrogance et pleine de brutalité dans « Les Echos ». Il y suppute ouvertement sur un défaut de la Grèce, affirmant : « je réfléchirais longuement avant de répéter qu’il n’y aura pas de faillite de la Grèce  ».

Schäuble jette de l’huile sur le feu dans le but d’humilier les Grecs. Il foule ainsi aux pieds l’accord intervenu entre les gouvernements de la zone euro lors de l’eurogroupe le 20 février dernier. Cet accord ne faisait ainsi pas référence au « mémorandum » imposant les mesures d’austérité à la Grèce. C’était une victoire de Tsipras. Mais Schäuble se moque des décisions communes. Dans « Les Echos », il se permet d’affirmer « nous avons rappelé ensemble à la Grèce qu’elle devait remplir les conditions du mémorandum. Et nous en sommes toujours là ». Puisque Schäuble ne reconnaît même pas le dernier accord en date, on comprend qu’aucun accord durable entre la Grèce et les autres pays ne soit trouvé. Comment pourrait-il en être autrement avec tant de mauvaise foi et de mauvaise volonté de la part du ministre allemand ?

Il en va de même à propos de l’idée d’un référendum en Grèce. La rumeur de l’organisation d’un tel référendum a été relancée par Schäuble lui-même. C’était le 11 mai, en marge d’une réunion de l’Eurogroupe. Schäuble avait alors déclaré « si le gouvernement grec juge nécessaire un référendum sur la question de la dette, alors qu’il le fasse. Ce serait peut-être une bonne chose de laisser le peuple grec décider s’il est prêt à accepter ce qui est nécessaire ou s’il veut autre chose ». Evidemment, les médias Pavlov ont relayé le propos en commençant même à spéculer sur ce que donnerait ce vote. Mais pourtant, personne en Grèce n’a parlé d’un tel référendum ! Certes, la Grèce est quasiment sous protectorat allemand dans le cadre des inquisitions et contrôles de la Troïka. Mais Schäuble et ses passe-plats médiatiques feraient bien d’apprendre que la convocation d’un référendum est une compétence strictement nationale. Quel autre gouvernement que celui de Merkel se permettrait une telle intrusion dans la vie politique de ses voisins ?

Surtout, la sortie de Schäuble ne manque pas de sel quand on sait que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont empêché l’organisation d’un référendum au début de la crise grecque en novembre 2011 ! Ils ont même mis à la retraite d’office de ce néant ambulant de Papandréou, alors Premier ministre PS et a présent président de l’internationale socialiste. Aujourd’hui, le ministre allemand fait mine de le regretter. Son but est clair : déstabiliser le gouvernement Tsipras, en essayant de faire croire qu’il n’a pas de soutien populaire ou parlementaire pour gouverner. C’est évidemment faux. On voit bien au contraire comment le gouvernement grec tient bon sur ses « lignes rouges » que sont le refus du report de l’âge de la retraite ou de la facilitation des licenciements. D’ailleurs, dans « Les Echos », Schäuble n’évoque le référendum que pour mieux avancer une alternative plus cruelle : réduire le choix des Grecs à la sortie de l’euro ou la capitulation totale. Pour lui, en 2015 comme en 2011, la question ne pourrait être que « le peuple grec accepte-t-il le contenu du programme de réformes ou préfère-t-il sortir de la zone euro ? ».

Schäuble est un autocrate. Son arrogance est sans limite. Il va même jusqu’à inventer une nouvelle institution européenne : lui-même, « le ministre des Finances allemand » ! Tel quel ! Lisez ! C’est à propos du débat sur un éventuel troisième programme pour la Grèce dans les mois qui viennent : « c’est tout à fait légitime d’avoir une opinion et de l’exprimer. Mais il y a beaucoup de parties prenantes : les trois institutions (BCE, FMI, Commission européenne), le gouvernement grec et même le ministre des Finances allemand – de par la Constitution – ont des responsabilités spécifiques, par exemple au sein du Conseil des gouverneurs du Mécanisme européen de stabilité (MES) ». Vous avez bien lu. L’arrogant Schäuble ne dit pas « les ministres européens dont le ministre allemand », seulement « le ministre allemand ». Et les autres ? Ils comptent pour du beurre dans l’Europe allemande que dénonce avec nous pour une fois Cohn-Bendit !

Schäuble déroule une vision de l’Europe emprise de brutalité et d’inégalité tout au long de cette interview. Pour être plus perfide et masquer la domination allemande, il le fait en parlant de la France. Et il finit par un rappel à l’ordre contre notre pays. Voyez : « les ministres des Finances de l’Union européenne ont accepté à l’unanimité les propositions de la Commission (NDLR : sur le budget de la France). Bien sûr, je connais l´inquiétude des petits États membres à propos d´une application des règles différente selon la taille des pays-membres. Certains sont même encore traumatisés des méthodes employées par Gerhard Schröder et Jacques Chirac. Nous sommes tout à fait résolus à ne pas répéter une telle impression auprès de nos amis et partenaires en Europe. Mais naturellement, il faut tenir compte du fait qu’une décision dans un grand pays a une répercussion économique réelle plus importante que dans un pays-membre plus petit. Il est donc normal que la Commission européenne applique les règles avec intelligence. Bien sûr, si on veut garder et renforcer la confiance de la population dans l’Union européenne, il faut respecter ses engagements et éviter de signer des accords avec l’intention de ne pas les respecter ».

J’invite tous ceux qui pensent « qu’une autre Europe est possible » à bien lire l’interview de Wolfgang Schäuble. Ils verront ainsi quel danger pour l’Europe est le gouvernement allemand actuel et son ministre des Finances. Surtout, dans les quelques lignes ci-dessus, Schäuble reconnaît un fait décisif. C’est qu’on ne fait pas l’Europe sans la France. En cela, il me donne raison. Et il reconnaît aussi à demi-mot que seule la France a les moyens politiques et économiques de s’opposer à l’ordolibéralisme arrogant du gouvernement allemand. Il ne s’agit pas pour notre pays de faire le bonheur des autres à leur place. Mais de prendre en charge l’intérêt général des peuples européens au nom de nos principes universels pour les aider à se libérer par eux-mêmes. Voilà la différence entre la veulerie euro-béate et mon patriotisme internationaliste.

De ce point de vue, les commentaires de Schäuble sur les Français actuellement au pouvoir en Europe sont une humiliation de plus pour notre pays. Schaüble distribue les bons points à Pierre Moscovici et Michel Sapin pour avoir bien aboyé dans le même sens que lui contre le gouvernement grec. Il remercie le commissaire Moscovici : « Pierre Moscovici a averti la Grèce de façon très ferme qu’il faut un changement substantiel, et nous sommes sur la même ligne ». Quant au ministre Sapin, voici ce qu’en dit son homologue : « pour citer mon ami et collègue Michel Sapin, la décision souveraine et démocratique du peuple grec nous place devant une situation très différente de celle de 2012. La Grèce souveraine a voté en faveur d’un changement de politique. Les autres collègues de la zone euro, y compris Michel Sapin, ont attiré l’attention sur le fait que le peuple grec n’est pas le seul souverain et que les peuples d’autres États membres de la zone euro le sont aussi ». Je mets au défi Schäuble et Sapin de nous dire quand la Grèce à chercher à porter atteinte à la souveraineté de la France ou de l’Allemagne ? Jamais ! Dans l’autre sens, on ne peut pas en dire autant. Le dire serait faire du nationalisme ?


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