Culture : Pascale Ferran, le cri et le grain de sable (Jack Ralite)

mardi 13 mars 2007.
 

Le soir des Césars un événement d’importance s’est produit : Pascale Ferran, cineaste de grand talent, qui ne travaille pas dans l’éphémère, a été saluée par 5 Césars pour son dernier film « Lady Chatterley ». Dans ses remerciements à la vaste assemblée artistique réunie, elle a dit avec des mots de résistance et de courage deux grandes blessures du cinéma français.

La première concerne son financement via les télévisions qui tend à normaliser la production et touche avant tout les films de "l’entre-deux", qui ont fait et continuent de faire l’histoire du cinéma français. Entre les grosses productions commerciales devenues envahissantes et les premiers films parqués dans un enclos, ils ont de plus en plus de mal à se faire une place au niveau de la production comme de la diffusion.

La deuxième intéresse les artistes et les techniciens à qui, à l’initiative du MEDEF, un coup très dur et très grave a été porté avec la remise en cause du statut des intermittents où là aussi on constate que ceux qui gagnent beaucoup voient leur couverture sociale augmenter et ceux qui gagnent moins la voit diminuée voire supprimée.

Dans les deux cas est attaquée, avec malheureusement un certain succès, une des valeurs clefs du fond de soutien à l’industrie cinématographique et à celui de l’intermittence : la péréquation et sa conséquence humaine et artistique la mutualisation. Autrement dit, la solidarité entre créateurs et regardeurs d’images se respectant les uns les autres.

Cette analyse de Pascale Ferran se vérifie dans tous les secteurs de la culture et des arts de notre pays.

Dans le secteur du livre. Jusqu’ici il y avait trois types de littératures éditées : les best-sellers, les œuvres qui ont fait et font l’histoire de la littérature française, et les livres rares que proposent des petits éditeurs. La numérisation de la distribution, dans un secteur culturel largement financiarisé, attaque directement « les livres du milieu », qui ont un temps d’exposition de plus en plus court et partent de plus en plus vite au pilon. Là aussi la mutualisation est très gravement atteinte. Le train de la diffusion de la littérature est tiré par une locomotive de tgv tandis qu’il voit le nombre de ses wagons diminuer si l’on tient compte de la rotation ultra-rapide des titres.

Dans le secteur du patrimoine, la solidarité pour l’achat des œuvres des musées est, cassée avec l’autonomisation des grands musées nationaux, comme le Louvre. Cette dislocation de la mutualisation existe aussi pour les monuments historiques les plus fréquentés qui sont autonomisés (Chambord) ou vendus au collectivités (Le haut Koenigsburg). Les petits musées qui bénéficiaient du succès des grands sont mis en danger. Le financement des rénovations des monuments historiques est maintenant justifié par des critères de fréquentation au détriment des « diagnostics sanitaires ». L’archéologie a violemment subit les conséquences de cette politique avec la remise en cause de la loi de 2001 qui mutualisait ce secteur.

Dans le secteur de la musique, en plein bouleversement, sous les coups mêlés de la financiarisation et de la numérisation, ce qui ressemblait à de la mutualisation est attaqué, tout comme dans le spectacle vivant évalué souvent à travers l’audience qu’il atteint.

Bref, aucun secteur n’échappe à ce qui n’est pas une mutation mais une violence des grandes affaires accompagnée d’un renoncement politique gouvernemental qui, avec la loi organique de programmation de la loi de finance, a un outil, son outil, pour opérer globalement dans ce sens, imposant une pratique budgétaire vectorisée par des indicateurs économiques et financiers conduisant à ce que la seule variable d’ajustement soit l’art et les artistes comme le salarié dans les entreprises.

Ainsi, le triptyque « créateur / médiation / public » est malmené, désarticulé dans ses composantes et dans sa mêlée. Le cœur du métier de la création est atteint alors qu’il a des moyens insuffisants. La passerelle perd de ses arches et le destinataire, surtout quand il est des milieux populaires, est mutilé, voire nié. La route est prise vers un diptyque « produit / client » avec un catalogue de « la Redoute » entre eux, caractéristique du nouvel esprit des lois, la concurrence libre et non faussée et son aboutissement que Vivendi a publicisé en décembre dans les journaux : « le divertissement est un besoin vital, comme boire, manger, dormir ».

C’est dans ce contexte qu’a été produit un rapport redoutable sur l’économie de l’immatériel remis significativement, en décembre dernier, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie par Maurice Levy président du directoire de Publicis, et Jean-Pierre Jouyet, chef de l’inspection générale des finances, rapport préparé par une commission regroupant 7 inspecteurs des finances, 9 industriels, 5 spécialistes des technologies, 2 universitaires et un artiste !

Il préconise d’étudier, entre autres, les modalités « d’amortissement du capital humain » et de « mettre les actifs immatériels publics au service de l’économie ». Elaboré en deux ans, sans aucune transparence, il dévoile un projet d’absorption contrôlante de la culture, de l’art, de la pensée, de l’imaginaire par les grandes affaires et constitue une manière « moderne » de menotter la création qui s’y trouve chosifiée.

Face à ces assauts théoricistes, le cri de Pascale Ferran, relayé aux « victoires de la musique classique » par la cantatrice Nathalie Dessay, prend tout son sens et implique des décisions pratiques que je concentrerai dans plusieurs obligations :

* Appliquer, à toutes les disciplines en tenant compte de leur spécificité le principe du fond de soutien qui a sauvé, durant 50 ans, le cinéma français et qui repose sur une régulation exigeante de la financiarisation et l’exigence incontournable de la mutualisation. Le fonds de soutien au cinéma ; qu’a abondé enfin une taxe sur les Fournisseurs d’accès à Internet mais qui attend encore une taxation de l’ensemble des opérateurs doit déplacer le curseur entre l’aide automatique et les aides sélectives en faveur de ces dernières.

* Considérer comme un atout décisif le travail artistique et d’auteurs d’où l’obligation de résoudre, avec esprit de justice et dignité, le problème de l’intermittence, le problème de l’emploi culturel et le problème des droits d’auteurs. C’est indispensable comme l’est le devoir de remise en cause de la précarisation des salariés qui sont des êtres de savoir et, n’en déplaise au MEDEF, de pensée.

* Revisiter le principe de la décentralisation pour qu’il ne soit plus une occasion pour l’Etat de se soustraire à ses responsabilités culturelles que refondra une loi d’orientation pour la culture préparée par des Etats généraux décentralisés convoqués pour l’automne auxquels artistes, équipes artistiques et auteurs auront la très large part mêlés à des élus, des dirigeants d’institutions culturelles et d’entreprises, d’experts universitaires et d’experts du quotidien tels les publics, les amateurs, les salariés.

* La généralisation de fonds de soutien associant nécessairement le privé, mettant ainsi à jour une responsabilité publique valable pour le secteur public comme pour le secteur privé ne diminue pas l’intervention de l’Etat. Celle-ci doit, via un ministère de la culture réinstauré grand ministère, augmenter sa participation financière jusqu’à 1 % du PIB. C’est possible en rejetant énergiquement la récente idée de demander à l’Europe d’interdire « tout déficit d’Etat », idée qui est un déficit d’humanité, d’espérance, d’émancipation et de civilisation.

Ces objectifs ne peuvent ignorer des pans entiers de la réalité comme la télévision et le numérique.

La première, publique et privée, ne peut plus continuer, par de là la publicité à publiciser la majorité des sujets qu’elle aborde. Un changement radical est à opérer.

Avec le second, la question du pouvoir en culture est reposée de manière forte. C’est un devoir politique de l’aborder sans angélisme ou frilosité et de civiliser ces novations, de réguler leurs usages de manière juste, dans l’intérêt général, afin que ne soient pas encore confortés les puissants au détriment des plus faibles de nos concitoyens. La récente loi sur « la numérisation et la télévision du futur » n’a pas pris les rails de la démocratie. Plutôt que d’être une loi de régulation, c’est une loi de régularisation du pouvoir des puissants : cadeau d’une chaîne gratuite aux trois opérateurs historiques privés (TF1, Canal +, M6), cadeau du marché de la haute définition aux industries de l’électronique grand public et aux installateurs, cadeau d’un accès automatique au futur réseau de la télévision mobile personnelle aux nouveaux entrants de la TNT, cadeau du marché de la télévision mobile personnelle aux trois grand opérateurs de télécommunication. Là aussi, un tournant radical est à opérer.

Sur ces questions, on nous dira qu’il n’y a rien à faire, que ce sont des « logiques internationales », que nous ne pouvons nous laisser « dépasser » par les évolutions mondiales.

Or, nous avons à dire à l’international. Par exemple en Europe avec la directive Télévision sans frontières qui prévoit une augmentation irrecevable de la publicité. Encore en Europe, en ne boudant pas la nécessité d’une politique européenne de la culture.

Mais nous avons aussi à dire au plan national : n’est-ce-pas les politiques nationales de soutien à l’art qui font qu’il y a de la création en France.

Par ailleurs, il y a une duplicité française en matière de régulation du marché de la culture.

A l’international la France est le chantre de la diversité, comme lors de la récente convention de l’Unesco. Au national, c’est une autre histoire et la loi dont je viens de parler illustre des décisions défavorisant la diversité.

A partir du cri de Pascale Ferran, relayée par Nathalie Dessay, déjà exprimé par Didier Besace, le 12 février, au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers archi-comble et qui est à l’ordre du jour du Forum Permanent pour l’Education Artistique du 15 mars prochain, se dessinent les prémisses d’un nouvel horizon pour la culture et les arts qui a besoin d’un carburant collectif et individuel que je condenserai par trois phrases de Jean-Pierre Vernant :

« Le vrai courage c’est au-dedans de soi de ne pas céder, de pas plier, de ne pas renoncer. Etre le grain de sable que les plus lourds engins écrasant tout sur leur passage ne réussissent pas à briser »

« Demeurer enclos dans son identité c’est se perdre et cesser d’être, on se connaît, on se construit pas le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rives du même et de l’autre, l’homme est un pont. »

« Pas d’homme sans outillage, mais pas d’homme non plus à coté des outils et techniques sans langage. »

Et qu’on ne me dise pas que tout ça est bien beau mais ne concerne que peu de monde, n’intéresse pas le « populaire ».

Je vis une expérience à Aubervilliers où régulièrement le Collège de France vient tenir des conférences sur les connaissances et la pensée. Jean-Pierre Vernant y fit sa dernière apparition publique et son cri de « vive l’odyssée ! » fut applaudi debout par 400 personnes de banlieue. Avant lui, André Miquel était venu parler des « Mille et une nuits ». Même public, même intérêt qu’exprime cette albertivillarienne d’origine algérienne interrogée à la fin de la conférence : « moi je ne suis jamais venue au théâtre. C’est pas pour moi. Mais quand j’ai appris que ces messieurs du Collège de France venaient nous rencontrer chez nous, c’est donc qu’ils nous respectaient. Alors je suis venue leur rendre la politesse avec mes 3 enfants. » Elle ajouta après un silence : « et j’ai tout compris ».

Jack Ralite,

Sénateur, animateur des Etats Généraux de la culture


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