Guerrero (Mexique) Multinationale canadienne, drogue et police mafieuse

samedi 9 mai 2015.
 

Dans l’État du Guerrero, dans l’ouest du Mexique, les kidnappings et les assassinats 
se sont multipliés ces derniers mois autour des mines d’or canadiennes. C’est dans ce corridor où le narcotrafic pullule que 43 étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa ont été tués.

À une heure d’Iguala, la route qui mène au village minier de Nuevo Balsas enlace un paysage morne de montagnes brûlées par le soleil ardent de l’État de Guerrero. Le chauffeur du pick-up avale une franche rasade de tequila. «  C’est pour éloigner la peur  », dit-il alors que nous entrons dans la municipalité de Cocula, où selon la version des autorités des sicaires du cartel des Guerreros unidos opérant au sein de la police ont enlevé quarante-trois étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa en septembre 2014 puis les ont brûlés dans une décharge publique. Les panneaux de signalisation sont criblés de balles, signes de la guerre qui fait rage entre cartels dans cette région minée par le trafic de drogue et la violence. À l’horizon se détache le sommet scalpé de la montagne.

« Ici, c’est la mine de Media Luna, l’une des plus grandes mines d’or du pays, peut-être la plus riche », raconte Simon, un habitant de Cocula. En effet, cette exploitation en construction de l’entreprise canadienne Torex Gold, qui s’étend sur 630 hectares, est l’une des plus prometteuses de l’industrie minière mexicaine. La multinationale y a investi 800 millions de dollars, et a déjà accumulé 290 000 tonnes de minerais depuis le début des travaux en 2013. «  Il y a beaucoup de drogue dans ces montagnes  : cristal, héroïne, marijuana. Ceux de la mine doivent payer chaque mois leur cote aux cartels.  » Guerrero est devenu en peu de temps l’une des plus importantes zones de production d’héroïne d’Amérique latine. Mais les activités de la délinquance organisée dans cet État ne se limitent pas au trafic de drogue  : l’extorsion et les enlèvements contre rançon sont le quotidien des habitants depuis l’installation de la mine. Simon et son beau-frère, au volant du véhicule, sont venus demander de l’aide aux habitants de Nuevo Balsas pour former une «  police communautaire  » à Cocula. «  Nous avons besoin de nous unir pour protéger les gens sur la route de Cocula qui mène à Nuevo Balsas, poursuit-il. Ce ne sera pas sans conséquences, mais nous devons le faire, car on ne peut plus vivre dans la peur.  » Le 6 février, à un kilomètre de la mine sur la route de Cocula, treize personnes ont été enlevées par un commando armé. Les ravisseurs ont relâché l’une d’elles afin qu’elle transmette le message suivant  : «  La Burra, chef du cartel de la Familia michoacan, est de retour.  » Plusieurs dizaines d’hommes de Nuevo Balsas et des villages voisins ont alors pris les armes et ont écumé à pied les collines pour leur porter secours, parvenant ainsi à libérer dix des victimes au cours d’un affrontement qui a fait plusieurs blessés. Deux autres ont pu rentrer chez eux après que leurs familles ont payé la rançon demandée par les ravisseurs. Au pied de la mine, Nuevo Balsas est un petit village de pêcheurs installé au bord du fleuve et entouré de campements de travailleurs venus d’autres régions. Chapeau vissé sur la tête et fusil de calibre 12 à la main, Marcos, le commandant de la «  police communautaire  », est posté à l’entrée, près de la petite chapelle toujours fleurie de la vierge de Guadalupe. «  La mine est une bonne chose car elle apporte de l’argent, concède-t-il. Mais elle entraîne aussi beaucoup de problèmes. Pendant des mois, les sicaires entraient dans le village et nous ne pouvions rien dire. Ils enlevaient des gens, les battaient puis les ramenaient. Puis ceux de la Familia michoacan ont commencé à kidnapper et tuer des personnes. Si une jeune fille leur plaisait ils la séquestraient. Si tu avais un fils de douze ou treize ans ils l’obligeaient à travailler avec eux.  » Puis il sort de sa poche deux photos écornées montrant un homme d’une quarantaine d’années qui pose fièrement, les cheveux lissés en arrière, la moustache taillée de près. Sur l’autre, il apparaît dans une fête, déguisé en femme. «  C’est la Burra (l’ânesse), le chef du cartel de la Familia michoacan.  » Marcos raconte que les parents du caïd sont de simples éleveurs. Il a grandi dans ces collines. Aujourd’hui, il enlève les gens de sa propre communauté. «  Pourquoi les autorités ne l’arrêtent-ils pas  ?  » interroge-t-il. Selon le commandant Marcos, depuis l’installation de la mine il y a un an et demi, près de quarante personnes ont été séquestrées à Nuevo Balsas. Son propre neveu, un prêtre, a été kidnappé et torturé avec un tison. «  La police communautaire s’est soulevée parce que nous ne voulons pas que nos enfants continuent de souffrir. Si nous ne le faisons pas, qui le fera  ? Nous savons que nous sommes illégaux, mais que faire  ?  » demande-t-il. Sur la route passent des cortèges de policiers lourdement armés ainsi qu’une brigade spéciale de la police fédérale au service de la mine. «  C’est l’IPAI, précise Marcos, les gérants de la mine les paient pour leur propre sécurité.  » Gabriella Sanchez, la vice-présidente des relations avec les investisseurs de Torex, confirme que «  les services de sécurité privés des compagnies n’ont pas l’autorisation de porter des armes lourdes, seuls les auxiliaires de police en ont le droit. Du coup, les compagnies louent les services de la police auxiliaire afin qu’elle entraîne des services de sécurité privés  ». L’entreprise a nié que des employés de Torex se trouvaient parmi les personnes enlevées près de la mine, avant de revenir sur sa déclaration. Pour Gabriella Sanchez, les événements ne sont pas étroitement liés à l’existence de la mine  : «  La sécurité est un problème dans tout le Mexique, nous le savons et nos investisseurs le savent. La compagnie a sa propre sécurité, qui n’est autorisée qu’à nous protéger, nous et nos équipements, elle n’est pas autorisée à protéger les communautés  », précise-t-elle.

Le commandant Marcos insiste  : «  Pourquoi tant de policiers et l’armée  ? Pourquoi tant de morts  ?  » «  L’argent devrait revenir à la sécurité des mineurs. Ce sont des millions de pesos  », peste Raphael, son second. Les gens vivent dans la peur en raison du racket

Trente kilomètres plus au sud, entre les villages de Mezcala et Carrizalillo, les mines de Los Filos et Bermejal sont presque centenaires. La violence y a débuté lorsque l’entreprise canadienne Goldcorp s’est installée, comme Torex Gold, à la faveur des accords de libre-échange nord-américains (Alena – voir encadré). Dans ce territoire de culture mezcala – du nom de la civilisation précolombienne qui occupait ces montagnes –, les fouilles archéologiques, les champs de maïs et les agaves (cactus avec lequel on réalise le traditionnel mezcal) ont laissé place à un gigantesque cratère d’où s’élève en permanence un nuage de poussière. Goldcorp, première compagnie minière des Amériques et deuxième au niveau mondial, exploite les mines depuis 2007, après une phase d’exploration de douze ans, selon la technique dite «  à ciel ouvert  » qui utilise de grandes quantités d’eau et de cyanure. «  Avant, la mine s’appelait Carmen  », se souvient une grand-mère de Mezcala. «  Mon père y travaillait comme gardien, raconte-t-elle. Mes enfants y travaillent. Avant l’arrivée de l’entreprise, la vie était très tranquille, il n’y avait pas de problème.  » Sa fille renchérit  : «  On allait se promener le long de la rivière avec les enfants, il y avait des bals, maintenant plus personne ne sort le soir.  » «  Depuis trois nuits, ajoute-t-elle, des échanges de coups de feu éclatent dans la ville.  » Elle ne dort plus. «  La mine nous rapporte, concède-t-elle. Mais nous payons un prix élevé, très élevé  : celui de notre tranquillité.  » Début mars, quatre travailleurs de la mine ont été kidnappés à la sortie de la mine. Dix jours plus tard, trois d’entre eux ont été retrouvés dans une fosse clandestine. Les corps présentaient des traces de torture. Ici, les gens vivent dans la peur en raison des extorsions, des fusillades, des enlèvements. En 2014, les investissements directs étrangers pour les exploitations dans l’État de Guerrero ont atteint 274 millions de dollars. Dans le même temps, 8 686 kg d’or et 32 632 kg d’argent ont été extraits dans la «  ceinture d’or  » du Guerrero en 2014. Goldcorp prévoit d’extraire dans les vingt prochaines années plus de 200 tonnes d’or, avec à la clé un chiffre d’affaires de près de 7 milliards de dollars sur la durée totale d’exploitation. Sur ce site, les coûts de production d’or sont parmi les plus bas au monde. Des liens entre la police et le cartel mafieu

Les véhicules de la mine, qui traversent sans discontinuer le village pour y déverser personnels et outils, arborent un emblème sur lequel on peut lire  : «  penser, agir, aimer  » ainsi que «  Goldcorp  : suffisamment sûr pour nos familles  ». Le discours du directeur des affaires pour Goldcorp Amérique latine, Mike Harvey, est cependant moins confiant. «  Nous ne pouvons que veiller sur la mine. Nous encourageons les autorités mexicaines à fournir davantage de sécurité dans les communautés qui entourent nos opérations  », déclare-t-il. Aux dires d’un chauffeur de la mine, la police ne vient que rarement à Mezcala et les fédéraux de la mine se bornent à n’y faire un tour qu’en cas de problème. La nuit du 27 mars, un groupe d’hommes armés est entré dans le village voisin de Carrizalillo et a tué trois femmes, dont une âgée de quatre-vingts ans. Selon des habitants, ces meurtres sont un avertissement envoyé à la communauté par le cartel de Los Rojos alors que Goldcorp doit payer, en avril, le droit d’exploitation des 1 400 hectares des terres de la communauté. Le 7 avril, un membre des propriétaires des terres allouées à la mine (ejidatarios) a été enlevé. Depuis, plusieurs dizaines de personnes ont fui ce petit village d’à peine mille habitants, abandonnant leurs maisons et leurs biens. Dans leur déclaration, les habitants dénoncent que les mineurs doivent verser 40 000 pesos et les ejidatarios 100 000 pesos. La mine doit, elle, débourser un million de pesos aux cartels bien que l’entreprise démente formellement tout racket. «  Nous devons payer, tout le monde doit payer, affirme un membre du commissariat aux biens communaux sous couvert d’anonymat. Les groupes délinquants demandent un impôt chaque année. Les cartels appellent cela une “coopération” mais il s’agit d’extorsion. Tout le monde sait cela, les travailleurs, les représentants, le gouvernement de Guerrero.  » Son propre frère a disparu depuis plus d’un an. «  Il y a un niveau de violence dévastateur. Cela remonte à la création de la mine. Cela s’est accentué il y a un an et demi, depuis que deux cartels, les Rojos et les Guerreros unidos, se disputent le territoire  », précise-t-il.

Le 30 mars, le chef de la police de Carrizalillo et les représentants des villages d’Amatitlan et Tenantla ont écrit une lettre ouverte au président du Mexique, Enrique Pena Nieto, pour exposer le désarroi dans lequel se trouvent les habitants vivant aux alentours des mines. Ils ont dénoncé les liens de la police avec le cartel des Guerreros unidos, et ont demandé l’autorisation de créer une police communautaire pour se protéger des groupes criminels, à l’image de Nuevo Balsas et du commandant Marcos. Quand on lui demande si les armes sont la solution aux problèmes du Mexique, ce dernier se contente de répondre  : «  Qu’ils attrapent les leaders, le gouvernement sait de qui je parle. Quand nous les aurons arrêtés, je dirai  : “Messieurs, voici mes armes, faites votre travail et je ferai le mien. Mais tant que le gouvernement ne fait rien, nous resterons là.”  »

Benjamin Fernandez, L’Humanité

Terre. La libéralisation du sol mexicain a débuté il y a vingt ans. En 1992, la nouvelle loi agraire promulguée par le président Carlos Salinas de Gortari a modifié l’article 27 de la Constitution garantissant la propriété collective des ejidos – les terres communales issues de l’expropriation des latifundios (grandes propriétés terriennes) décidée par le président Venustiano Carranza en 1920 et redistribuées aux paysans sans terre par le président Lazaro Cardenas. La nouvelle loi autorise la division et la vente des ejidos, c’est-à-dire la privatisation des parcelles communautaires, ouvrant le marché aux entreprises privées mexicaines et étrangères dans le cadre de l’Alliance de libre-échange nord-américaine (Alena) pour l’exploitation des terres communautaires et des minerais des sous-sols.

Les mines dans le viseur des cartels. L’entreprise minière canadienne McEwen, installée dans le nord du Mexique, a reconnu devoir obtenir l’autorisation du cartel de la drogue de Sinaloa pour mener 
à bien ses opérations d’extraction.


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