L’industrie et l’écologie sont complémentaires

mercredi 20 mai 2015.
 

Entretien avec Alain Obadia (PCF), membre du Conseil économique social et environnemental

Quelle est votre analyse de la gestion du dossier Alcatel-­Lucent par le gouvernement  ?

Alain Obadia Lorsque le gouvernement français laisse disparaître un potentiel industriel tel qu’Alcatel dans un secteur tout à fait déterminant, celui des technologies de la communication  ; quand cette situation intervient après Alstom et ArcelorMittal, nous ne pouvons plus nous contenter d’écouter de beaux discours sur la nécessité du redressement productif. C’est pour cela que nous avons interpellé dès novembre le gouvernement pour qu’il convoque dans les plus brefs délais la tenue d’une conférence nationale de l’industrie afin de prendre des mesures concrètes pour mettre en œuvre une autre pensée industrielle. Cela est désormais indispensable.

Le gouvernement se défend, estimant que la mondialisation et la concurrence étrangère imposent la création de géants afin de conserver les emplois et maintenir les investissements face à la concurrence étrangère…

Alain Obadia C’est une réflexion qui ne tient pas compte de ce que sont une entreprise et sa fonction dans la société. Cela revient à raisonner comme si l’entreprise est l’actionnaire. Or, l’entreprise est un collectif humain qui doit répondre à des besoins. D’ailleurs, juridiquement, l’entreprise n’existe pas en tant que telle, seules existent des sociétés de capitaux sans lien avec les salariés et les territoires. Ces manœuvres capitalistiques, boursières laissent de côté la fonction collective de l’entreprise à la fois pour la société et les territoires.

Lors de la convention sur l’industrie du PCF, vous avez beaucoup insisté sur le nouveau tournant technologique auquel est confrontée l’industrie, avec la numérisation des échanges et des données qui pourrait être facteur de progrès économique mais surtout social. Comment  ?

Alain Obadia Nous sommes dans une phase d’accélération formidable des mutations technologiques, de travail et des rapports entre production, consommation et problématique écologique. Toutes ces transformations, ces progrès sont l’objet d’un véritable combat de classe dans la société et dans l’entreprise. Rien n’est gagné ou perdu. Par exemple, la mutation technologique est entrée dans une phase nouvelle avec la robotisation à grande échelle. Est-ce un progrès ou une menace  ? C’est une menace si nous restons dans les conditions actuelles où le travail est considéré comme un coût. Avec pour résultat des suppressions d’emplois pour augmenter le taux de profit de l’entreprise. À l’inverse, avec la maîtrise sociale de cette technologie, les tâches pénibles pourraient être supprimées, tout en entraînant une montée en qualification des salariés et ainsi développer la créativité. Mais encore faut-il s’appuyer sur la proposition du Parti communiste d’une sécurisation de l’emploi et de la formation. Le mécanisme est le suivant  : lorsque les emplois sont supprimés, les salariés ne passent pas par la case chômage. Ils sont directement mis dans un cycle de formation où ils sont rémunérés, comme c’était le cas auparavant, pour déboucher sur de nouveaux emplois, plus qualifiés et mieux rémunérés.

Les enjeux environnementaux ont tenu une grande place tout au long des travaux…

Alain Obadia L’industrie et l’écologie ne sont pas deux approches qui s’opposent, elles sont complémentaires. Nous ne pouvons plus vivre comme si les matières premières sont abondantes à l’infini, ni continuer à produire en masse pour jeter en masse en créant des pollutions ingérables. Ou encore organiser la conception des produits pour qu’ils ne servent que dans une durée courte afin d’être obligé de les remplacer. Tout cela est devenu insupportable. En partant de cette réalité, il est nécessaire d’avoir une approche via la prise en compte du cycle de vie du produit. Ainsi, il faut imaginer des produits qui dès leur conception soient économes en énergie et en matières premières et durent le plus longtemps possible. Ils doivent également pouvoir être réparables et modifiables afin d’accueillir des adaptations technologiques sans qu’on puisse en changer. Mais cette approche doit aussi se préoccuper de la fin de vie du produit, en considérant que les matériaux doivent être recyclés pour réaliser des économies de matières premières afin que l’activité productive réduise son incidence sur les écosystèmes.

En quoi le développement des services publics est-il nécessaire au développement industriel  ?

Alain Obadia Les services publics ont un rôle de satisfaction des besoins de la société mais ils sont aussi un débouché fantastique pour l’industrie. Quand on développe les transports, on développe la filière ferroviaire… Quand on modernise les services énergétiques, il faut produire des turbines, du matériel qui est un élément de dynamisation de l’industrie. Mais les services publics sont aussi une fonction support au développement productif du pays. Une main-d’oeuvre formée correctement est essentielle pour la production, tout comme le réseau d’infrastructure. Avec les politiques d’austérité, le gouvernement met à mal ce potentiel et notre capacité à répondre au besoin de développement de la France.

Pour parvenir à ce renouveau industriel, vous proposez de remettre au goût du jour une planification. De quel type  ?

Alain Obadia Face à la financiarisation de l’industrie, il faut une véritable rupture qui nécessite une véritable réflexion. Nous vivons une période de transformation profonde de notre société. Dans l’industrie automobile, par exemple, le passage à l’électrique nécessite des batteries mais aussi des modifications importantes sur les véhicules. Les batteries sont aujourd’hui produites en Asie, n’avons-nous pas des entreprises en France qui pourraient investir et produire ces batteries  ? La réponse est oui mais cette question ne doit pas être laissée à la seule appréciation financière des groupes automobile ou d’équipementiers. Tout cela doit être discuté dans le cadre d’une planification rénovée par un processus démocratique ambitieux.

Entretien réalisé par Clotilde Mathieu, L’Humanité


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