Philippe de Villiers et la laïcité

lundi 12 mars 2007.
Source : Respublica
 

Dans un entretien au journal La Croix, Philippe de Villiers, candidat à la présidentielle, fait part de son interprétation toute personnelle de la laïcité à la française et évoque le problème du communautarisme. Cet entretien, à l’approche des présidentielles, mérite le détour.

Dans cet entretien, Philippe de Villiers déclare tout d’abord " La laïcité que je défends instaure une séparation du spirituel et du temporel " ce qui ne peut susciter que l’unanimité.

Philippe de Villiers, un des rares élus ouvertement pro-vie et proche de réseaux intégristes chrétiens, serait-il devenu, à la surprise générale, un fervent partisan de la laïcité qui sépare la religion et la politique ?

Si surprise il y avait, elle sera de courte de durée. Philippe de Villiers poursuit, dénaturant le principe même de laïcité qu’il revendiquait un instant plus tôt : " Ce qui ne signifie pas que les deux sphères doivent être étanches. Il serait absurde de réduire la religion à un espace privé sans influence sur la société. " se justifiant ainsi : " Ce serait nier le rôle de la doctrine sociale de l’Église qui, d’encycliques en encycliques, a porté un certain nombre de messages. Les parlementaires vont avoir à débattre bientôt de la bioéthique et du clonage. Il est important que sur ces questions, il y ait une parole publique de tous ceux qui ont une conception métapolitique de l’homme. " Donc, au nom des messages de l’Eglise, Philippe de Villiers pense que la société, à travers les récents débats qui l’animent, doit être influencée par des hommes portant une parole religieuse et morale. En un mot : l’intégrisme.

Mais rappelons un peu qui est le président du MPF : Philippe de Villiers est un militant pro-vie farouchement opposé à l’avortement même en cas de viol ou d’inceste. En octobre 2000, lors du projet de réforme de l’IVG, il a déclaré " notre législation ne reconnaît pas l’avortement comme un droit des femmes ".

Ses proches font partie d’associations provies particulièrement radicales (comme la trêve de Dieu) qui ont organisé des commandos anti-IVG dans les années 80-903. Philippe de Villiers n’a pas coupé les ponts avec des mouvements provies qu’il soutient moralement et financièrement sur le plan politique.

Si Philippe de Villiers est anti-féministe, il s’oppose également à toute autre modernisation de la société notamment en ce qui concerne la famille et le mariage. Lors de la réforme du divorce, son parti a dénoncé " un nouveau coup porté aux familles et à l’institution du mariage "

Philippe de Villiers est également farouchement opposé au PACS. Selon lui, le PACS détruirait les familles, ce serait un " retour à la barbarie "

En juin 2004, Philippe de Villiers proteste lorsque Jean Pierre Raffarin songe à présenter une loi contre l’injure homophobe : " une loi scélérate " selon lui qui visait à " intimider les gens qui , comme moi, veulent s’opposer à la destruction des institutions de notre pays. En les menaçant d’une peine de prison de 6 mois, il s’agit de faire taire les opposants au mariage homosexuel "

En confondant incitation à la haine des homosexuels (qui doit être sanctionnée par la loi au même titre que l’incitation à la haine raciste) et opposition au mariage homosexuel (qui doit faire l’objet d’un débat démocratique nécessaire), Philippe de Villiers rejoint les rangs du sinistre député UMP Christian Vanneste connu pour vanter, au nom des préceptes de l’ancien testament, " l’infériorité " des comportements homosexuels.

Lorsque Philippe de Villiers déclare " La place du christianisme doit être à la mesure de ce qu’il a fondé dans les principes de notre édifice juridique et éthique, qu’il s’agisse de notre conception de l’être humain ou de la famille. ", on ne peut que s’inquiéter. Car c’est bien au nom d’une vision intégriste du christianisme que Philippe de Villiers souhaite influencer la société.

Si l’euthanasie, le clonage, le mariage homosexuel sont des débats qui doivent bien sûrs rester ouverts à des points de vue contradictoires (sinon il n’y aurait plus de débat), que peuvent réellement y apporter des intégristes qui ne sont pas mus par le bon sens, le rationnel ou l’intérêt commun mais qui défendent en réalité des principes aussi moyenâgeux qu’intolérants pour tirer la société en arrière ?

Philippe de Villiers ardent défenseur de la République ? Dans l’entretien, Philippe de Villiers s’inquiète (et cela à juste raison) de la montée du communautarisme en France : " La République recule partout où le communautarisme avance : dans les quartiers, dans les hôpitaux où des médecins se font agresser, et même à l’école. "

S’inquiéter du recul de la République est légitime. Mais venant de Philippe de Villiers n’est-ce pas un peu fort de café ?

Philippe de Villiers soutient la thèse d’un génocide vendéen par la République. Il organise des cérémonies au Puy-du-Fou pour commémorer la " résistance " vendéenne face aux troupes de la Révolution française.

Les militants de la reconnaissance du génocide parlent de " fours crématoires, de tanneries de peaux humaines, d’exécutions massives de femmes et d’enfants pour purger le sol de la Vendée de la race maudite ", et mettent le génocide Vendéen au même plan que la Shoah. En résumé, Philippe de Villiers a plutôt tendance à voir la République comme l’ennemie à abattre. Comme quoi, dès qu’il s’agit de politique et de pouvoir, un virage à 180° est toujours possible.

Philippe de Villiers l’homme qui peut contrer le communautarisme ? Cédant aux amalgames, Philippe de Villiers confond islam et islamisme puisqu’il déclare " Vouloir organiser un islam de France, c’est encourager l’islamisme à travers l’UOIF " Il ajoute : " Le CFCM est devenu un État dans l’État qui cherche à peser sur la vie publique à partir de la foi des pays d’origine. Nous sommes là dans une dérive. " Si le CFCM cherche effectivement à peser sur la vie publique, Philippe de Villiers a-t-il oublié qu’il essaye de faire exactement la même chose, pas au nom de l’islam mais au nom de sa foi chrétienne ? Un Philippe de Villiers qui dénonce les dérives du CFCM mais qui voudrait que le christianisme influence la société ne sonne-t-il pas faux ? Pourquoi ce deux poids deux mesures ?

Concernant l’islam, Philippe de Villiers déclare également : " C’est à l’islam de s’adapter à la France, pas le contraire " Donc, si la laïcité doit s’adapter au christianisme, l’islam quant à lui doit s’adapter ! Il poursuit : " Cela suppose un effort personnel de chaque musulman pour amputer une partie - la partie politique - de sa religion. Le grand problème de l’islam, qu’on assimile à tort aux autres religions, c’est qu’il ne reconnaît pas la séparation du temporel et du spirituel. " Revendiquer l’aspect politique de l’islam est la définition même de l’islamisme. Par sa déclaration, non seulement Philippe de Villiers confond musulmans avec islamistes puisqu’il les incite à faire un " effort " les jugeant ainsi peu enclins à séparer d’eux mêmes le politique de l’islam mais, en plus, il demande aux musulmans de faire ce que lui n’est pas capable de faire en tant que chrétien. Faites ce que je dis pas ce que je fais ?

En réalité, Philippe de Villiers cède, par facilité, aux amalgames. Selon un sondage CSA-La Vie, 73% des musulmans de France sont " favorables à la séparation de l’Etat et des religions " (pour comparer avec le modèle anglo-saxon, 40% des musulmans souhaitent l’application de la charia en Angleterre)

Force est donc de constater que les musulmans français font la séparation du politique et de la religion. Et davantage qu’un Philippe de Villiers qui se pose en donneur de leçons. Ce sondage du CSA, qui a tout de même son importance, a-t-il échappé à Philippe de Villiers qui aspire pourtant à la présidence ? S’il ne faut bien sûr pas négliger la reconfessionnalisation d’une partie des musulmans suite au contexte de l’après 11 septembre, le nombre de fidèles d’une organisation intégriste comme l’UOIF (Frères musulmans) compte 20 000 à 40 000 fidèles sur 3 à 5 millions de français potentiellement musulmans. Les intégristes sont certes très activistes, dangereux, prosélytes mais restent néanmoins minoritaires.

Il ne faut donc pas se tromper de cible sinon c’est aller droit dans le mur. Confondre le danger islamiste avec l’ensemble des musulmans est une erreur stratégique dans la mesure où cela favorisera la montée de la haine anti- musulmane et radicalisera les musulmans qui ne sont pas intégristes à l’origine mais qui ne s’en sentiront pas moins agressés par de tels amalgames.

En réalité, Philippe de Villiers compte recueillir les voix de ceux qui ont peur. Et pour se faire, il confond musulmans, islamistes et Arabes. C’est ce qui ressort clairement de la lecture de son livre " Les mosquées de Roissy " : Voici ce qu’en écrit Nicole Leibowitz : " Si le livre du patron du MPF dénonce des choses justes - la montée des communautarismes en France, la frilosité des institutions face aux dérives fondamentalistes, l’infiltration en particulier au sein des entreprises et de l’école d’une islamisation galopante... - il le fait avec tant de rejet des Arabes en général qu’il met tous dans le même panier islamique "

Philippe de Villiers propose aujourd’hui d’interdire le port du voile dans tout l’espace publique puisqu’il déclare dans l’entretien : " Le voile devrait être interdit dans tous les espaces publics. Ce n’est pas simplement un colifichet, cela n’a rien à voir avec la croix ou la kippa. C’est un instrument de soumission de la femme et d’insoumission aux lois de la République. Et une arme pour certains groupes politico-religieux dans la pénétration de notre territoire. "

Aujourd’hui prompt à interdire le voile dans tout l’espace publique, il faut rappeler qu’hier Philippe de Villiers votait contre la loi interdisant le port des signes religieux à l’école, loi qui a pourtant permis de préserver la neutralité de l’école face à l’offensive islamiste qui voulait y introduire le voile pour tester la résistance de la République.

Philippe de Villiers n’est-il pas un peu jeune pour les trous de mémoire ? Il faut croire qu’en 2004 la présidentielle n’avait pas encore commencé ... C’est sans nul doute l’explication la plus rationnelle.

On pourrait ironiser davantage mais essayons plutôt de réfléchir à une interdiction du voile dans tout l’espace publique. Tout d’abord, quelles sont les raisons qui font qu’aujourd’hui de jeunes musulmanes portent le foulard islamique alors que, très souvent, elles sont issues d’une génération dont les mères ne le portent quasiment plus ?

Certaines femmes portent le voile pour afficher clairement leur appartenance à l’islam politique liberticide et sexiste. C’est un fait indéniable. Ces " soldates du fascisme vert " comme les appelle Fadela Amara, doivent être combattues sans relâche. Les concernant, le voile est effectivement " une insoumission aux lois de la République " et " une arme dans la pénétration de notre territoire "

D’autres femmes portent le voile à cause du poids des traditions patriarcales ou encore " pour avoir la paix " comme elles le disent notamment à cause des pressions qu’elles subissent de la part de certains garçons des quartiers. Dans ce cas là, oui, le voile est " un instrument de soumission de la femme "

Dans ces deux cas de figure, il pourrait apparaître comme pleinement justifié le fait d’interdire le port du voile pour faire barrage à la fois à l’islam politique et au sexisme.

Cependant, des jeunes femmes musulmanes portent le voile pour réaffirmer une identité qu’elles jugent bafouée par les discriminations ethniques. Ces femmes, qui portent le voile librement et sans revendications liées à l’islam politique, doivent être respectées dans leur choix.

Si la loi du 15 mars 2004 était évidemment indispensable pour préserver l’école de toute pression religieuse extérieure, qu’aurait pour conséquence le fait d’étendre cette loi à tout l’espace publique si ce n’est de crisper davantage les identités ? Philippe de Villiers est-il vraiment l’homme de la situation ?

La meilleure façon de lutter efficacement contre le communautarisme et les islamistes qui se servent des discriminations pour diffuser leur poison dans la société française n’est-elle pas de redonner tout son sens aux principes républicains " Liberté, Egalité, Fraternité " et cela à l’ensemble de nos concitoyens quelque soit leur origine ?

Trop d’inexactitudes et de caricatures devraient disqualifier Philippe de Villiers en tant que candidat à la présidence de la France.

Caroline Brancher


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