Obscène germanolâtrie

dimanche 12 avril 2015.
 

Certes, Chypre a déjà pu être étranglée à main nue par la BCE (Banque Centrale Européenne) aux applaudissements de tous les importants dont Pierre Moscovici alors ministre de Hollande ! Mais cette fois ci, l’Allemagne s’est beaucoup avancée sur la ligne de front. Le débat feutré qui avançait souterrainement affleure dorénavant à la surface. Arnaud Le Parmentier pour « Le Monde » a écrit déjà deux éditoriaux très fouillés et parfois angoissés sur le thème. A présent voici l’indépassable Bernard Henri Levy qui entre en scène dans une chronique à la gloire de madame Merkel. D’abord une couche d’amalgame à propos de la « germanophobie » en Europe : « Sans parler de la France où, de l’extrême droite (Mme Le Pen mettant en garde la chancelière contre les "souffrances" qu’elle impose aux peuples d’Europe) à l’extrême gauche (M. Mélenchon tonnant contre sa politique "austéritaire" et lui demandant de "la fermer"), c’est à qui ira le plus loin dans la dénonciation populiste du nouvel et haïssable "empire allemand". » Puis vient le temps de la réplique. On connait Bernard Henri Levy et on devine que cette séquence sera légère… « Alors, écrit-il, le problème de cette germanophobie ce n’est pas seulement qu’elle est stupide. Ce n’est pas qu’elle est un symptôme de plus de la décomposition, sous nos yeux, du beau projet européen. C’est qu’elle est, contrairement à ce que nous racontent les apprentis sorciers qui la nourrissent, le signe, non de leur opposition, mais de leur adhésion, pour ne pas dire de leur contribution au vrai fascisme qui vient. ». La suite de son vomi est prévisible.

Devinez ? Oui devinez. La germanophobie c’est une forme d’antisémitisme ! Il fallait oser. L’ambiance est ainsi créée. Quiconque se risque à une critique de l’Allemagne a droit au déferlement : « vous voulez la guerre » (Manuel Valls à Jean Christophe Cambadélis) « Quand Mélenchon parle des Allemands c’est du racisme. » (Cohn Bendit) et ainsi de suite. En 2011, quand Montebourg s’était risqué à critiquer l’Allemagne, la giclée avait été du même niveau de violence aveuglée. Cohn Bendit avait postillonné sa rage : « Montebourg sombre dans le nationalisme au clairon qui ne sert qu’à raviver des sentiments qu’on croyait définitivement derrière nous. C’est du mauvais cocorico. Il fait du Front national à gauche ». Pour « Libération », Jean Quatremer à Bruxelles, sentinelle vigilante du vaudou européiste accusait Montebourg d’avoir « clairement dépassé la ligne rouge de l’ignominie » et de « cracher sa haine à coup de clichés nationalistes qui montrent que la réconciliation franco-allemande, qui date de 1950, n’a toujours pas réussi à pénétrer certains intellects ».

L’obscénité de la germanolâtrie, pourtant, ne pose de problème à aucun de ces grands esprits. L’idée d’un bilan lucide et d’une vision plus réaliste de l’hégémonisme allemand, la compréhension du rôle de son gouvernement dans l’imposition à toute l’Europe de sa doctrine de l’"ordolibéralisme" et de son prétendu modèle économique ne les effleure pas. En fait elle leur convient. Leur adulation pour l’Allemagne est une autre manière de mépriser la France. Ainsi quand Cohn Bendit crache que « dire que la France est un grand pays, ce n’est pas la vérité ». D’ailleurs, aucun de ces chien de garde ne sort aboyer quand un footballeur comme Emmanuel Petit, ancien international français de football dénonce en 2014 la France comme « hypocrite et lâche » et les Français comme « un peuple arrogant, suffisant, menteur et hypocrite ». Le dévot se laisse aller ensuite à rêver à haute voix : « Parfois, je me dis qu’en ayant été envahis par les Allemands, on serait mieux dirigés aujourd’hui ». Beark ! Heureusement que le monde du football compte assez de patriotes vigilants et qu’ils ont su mettre les points sur les « i ». Petit précisa donc, croyant bien faire : « l’Allemagne que j’aime c’est celle d’aujourd’hui, bien meilleure que nous politiquement, économiquement et sportivement ». Mais cette mise au point change-t-elle quelque chose quant au fond du propos ?

Ces temps derniers on lit des apologies étranges de Bismarck sous le prétexte du centenaire de sa mort. Dans les élites de droite outre Rhin, la figure du commandant en chef de l’invasion de la France en 1870 est considéré comme compatible avec une adulation raisonnable de la volonté de puissance. Qu’il ait fait couronner le Kaiser au château de Versailles pour célébrer la victoire de l’absolutisme sur la France issue de la grande Révolution ne parait pas un symbole répugnant aux psalmistes de sa gloire retrouvée. Mais pourquoi des Français devraient-ils s’en réjouir et ne pas comprendre le message qui leur est adressé de cette façon ? Parce que certains parmi eux, commentateurs, essayistes, éditorialistes, demandent que l’Allemagne « assume » au plan politique et diplomatique sa puissance. Pour n’en citer qu’un, Alain Minc, dans son livre « vive l’Allemagne ». Aujourd’hui comme autrefois la domination d’une forme de capitalisme passe par des rapports de force qui s’incarnent dans des politiques nationales et des États qui en sont les agents pour des raisons d’intérêt national. Le dire, ce n’est pas nier que « le problème ce n’est pas l’Allemagne c’est le capitalisme ». C’est donner une figure concrète et réelle à ce que l’on dénonce.


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