Quel rassemblement pour faire renaître l’espoir  ?

vendredi 27 mars 2015.
 

Scrutin après scrutin, une partie grandissante 
de l’électorat, particulièrement dans les quartiers populaires ou dans les rangs traditionnels des électeurs de gauche, 
se réfugie dans l’abstention. le débat Fort rejet de la politique gouvernementale 
et difficultés à construire une alternative populaire 
de gauche, de nombreuses forces à gauche ont commencé 
à se rassembler lors de ce scrutin. Un premier pas à consolider et à élargir à tous les champs politiques et sociaux  ?

À la veille du scrutin, toutes les enquêtes d’opinion révèlent le risque d’une abstention massive et soulignent qu’une partie importante de l’électorat de gauche s’apprête à bouder les urnes. Comment redonner espoir à ce peuple de gauche  ?

Alexis Corbière Le peuple est en colère. Il est trahi et méprisé. Hollande a été élu pour mener une politique, mais il en pratique une autre  ! Cela provoque rage et désespoir. Pour redonner espoir, proposons un nouvel horizon politique global rendu saisissable par des mesures concrètes. Ne nous plaçons pas qu’en résistance, même si c’est nécessaire, soyons positifs  ! Ce discours optimiste, redonnant goût du futur, doit s’accompagner d’une stratégie claire, cohérente d’une élection à l’autre. L’abstention dépasse systématiquement les 50 % à chaque élection, hormis la présidentielle. Beaucoup de citoyens n’ont plus envie de participer à des échéances qu’ils jugent sans enjeux. De plus, ils estiment que le meilleur moyen de sanctionner ce gouvernement est de pratiquer cette «  grève civique  ». Le problème est que, dans une Ve République, cela ne bloque pas le système à la différence de la grève dans le monde du travail. Pire, cela conforte encore plus son caractère autoritaire. Cette abstention populaire de masse démontre que ce n’est pas seulement par des réponses sociales et écologiques que nous serons écoutés, même si elles doivent être déclinées. Il faut poser la question du pouvoir, avec un autre système politique, où, par exemple, on prendrait en compte le vote blanc et l’abstention et où l’on fixerait des seuils minimaux de représentativité pour les élus afin d’éviter qu’ils ne représentent plus que 15 % à 20 % du corps électoral tel que c’est le cas souvent. Il faut aussi rompre avec l’irresponsabilité des élus. C’est le sens du droit de révocation à partir de la mi-mandat si un nombre significatif d’électeurs le demandent. Il faut assurer l’exemplarité des élus et interdire le cumul des mandats… Une Assemblée constituante, débouchant sur une VIe République, devrait débattre de tous ces droits nouveaux. Le peuple sent bien que ce n’est pas seulement de politique qu’il faut changer, mais aussi des règles du jeu démocratique. Nous l’avons dit en 2012 avec des slogans comme «  Prenez le pouvoir  » ou «  Place au peuple  »  !

Éliane Assassi Il faut d’abord s’interroger sur les raisons de cette abstention qui sont profondes et ne datent pas de quelques jours. Quand 55 % de nos concitoyens rejettent, après des semaines de débat public, le traité de Constitution européen en 2005 et que la droite balaie d’un revers de main cette expression démocratique  ; quand des milliers de retraités, de salariés, jeunes et moins jeunes descendent dans la rue pour refuser la réforme de retraite de Nicolas Sarkozy et que celle-ci est adoptée sans tenir compte de ce mécontentement  ; quand des engagements de campagne ne sont pas tenus au lendemain du 6 mai 2012 comme, notamment, celui de réviser le traité européen  ; quand des territoires sont redéfinis et des compétences d’échelons institutionnels modifiés sans que le peuple soit consulté, quand les enjeux des élections départementales de dimanche ont été inexistants durant des semaines… Tout cela crée évidemment de la défiance, voire un rejet de la politique et fait s’interroger nos concitoyens sur l’utilité de leur vote ou encore, cela alimente des dérives populistes.

Clémentine Autain Il faut prendre la mesure de la gravité de la situation pour comprendre que nous ne redonnerons pas espoir en continuant comme avant. Un signal de refondation est attendu. D’alternances en alternances depuis des décennies, le quotidien du grand nombre s’est détérioré, les crises multiples ne sont pas endiguées. L’espoir suscité par la victoire de François Hollande s’est vite fracassé sur l’autel de la règle d’or et du conformisme. La gauche est défaite. Nous devons aujourd’hui relever un double défi. Il nous faut rassembler dans un cadre inédit toutes celles et tous ceux qui, dans la société, au sein du mouvement social, du monde artistique et intellectuel critique, des mobilisations citoyennes, et dans les partis, au Front de gauche, à Europe Écologie-les Verts (EELV), parmi les frondeurs ou au Nouveau Parti anticapitaliste, veulent construire une gauche nouvelle. Nous devons dans le même temps sortir des vieilles routines afin de produire de la politique de façon plus collaborative, ludique et neuve pour susciter un intérêt, de l’envie là où le rejet de «  la classe politique  » s’est tristement installé.

Lors de ces élections départementales, le rassemblement dans de nombreux cantons est bien plus large que celui proposé jusque-là par le seul Front de gauche, cela préfigure-t-il d’une nouvelle dynamique populaire  ?

Clémentine Autain Il le faut. Mais ce n’est qu’un tout premier pas, qui amorce une recomposition du paysage politique. Les Chantiers d’espoir, dont le premier rendez-vous national se déroulera largement dans le pays le 11 avril prochain, visent à participer de la refondation d’un projet commun, fédérateur. Nous devons nous y investir avec force. Ce qu’il faut éviter, c’est la recherche d’un énième Meccano électoral, d’un simple accord de sommet entre appareils. Ce que nous devons rechercher, c’est une dynamique populaire, qui passe par une grande ouverture sur la société de nos espaces politiques. Ce n’est pas simple car la situation sociale de notre pays n’est ni celle de la Grèce – et l’on ne s’en plaindra pas –, ni celle de l’Espagne, qui a connu le mouvement des Indignés. Nous, nous menons une course de vitesse avec le Front national, qui a transformé la désespérance en ressentiment. En partant de l’existant, fait de sidération à gauche et d’atonie sociale, nous devons travailler à fédérer les énergies disponibles, les expériences sociales alternatives, les artistes et les penseurs critiques encore à distance de la vie politique instituée, et bien sûr les partis et courants qui ont exprimé chacun à leur façon, à gauche, leur rejet des choix gouvernementaux. En un mot  : nous devons taper du poing sur la table et bâtir un cadre de travail inédit à même de refonder une gauche tranchante, vivante et utile, au service de l’émancipation humaine.

Éliane Assassi Ce qui se passe est intéressant à bien des égards. Des rassemblements élargis au Front de gauche se sont construits. Des femmes et des hommes de gauche dans leur diversité ont un socle commun  : celui d’être opposés aux politiques d’austérité mises en œuvre par le gouvernement, celui du rejet de la droite et de l’extrême droite et celui de porter des propositions alternatives pour mettre en œuvre des politiques publiques de solidarité. Les élections départementales tracent ainsi des projets dont le fil rouge est celui de l’intérêt général, bien loin des calculs politiciens mais tournés vers la réponse aux besoins des populations en matière d’action sociale, d’éducation, de prévention, d’environnement, de développement économique… Ce scrutin des départementales est très important et j’invite toutes celles et tous ceux qui se retrouvent dans les propositions de nos candidats et qui veulent fracasser le mur du silence savamment organisé par nos gouvernants et par la droite à se mobiliser. Ce silence est l’aveu de leurs échecs, tout comme l’est l’utilisation comme épouvantail du Front national (FN). En fait, ils ne mesurent pas combien ils offrent à ce dernier une place plus grande que celle qui est réellement la sienne dans l’espace public. Or, si des millions d’électrices et d’électeurs rejettent la politique gouvernementale, si des millions ne souhaitent pas le retour de la droite et ne veulent surtout pas du FN, ils sont aussi des millions à espérer la mise en œuvre d’une véritable politique de gauche qui réponde à leurs attentes et à leurs espoirs.

Alexis Corbière Le rassemblement est toujours préférable à la division. Ceux qui pensaient être un aiguillon du Parti socialiste (PS) voient que cela ne marche pas. Je suis heureux que des alliances nouvelles soient forgées, notamment avec EELV, dans beaucoup de départements. Le Front de gauche a toujours eu vocation à s’élargir, à se dépasser. C’est urgent. Mais, une simple addition de sigles ne produit pas mécaniquement une dynamique populaire. C’est pourquoi certains d’entre nous s’investissent dans un mouvement de type nouveau comme le Mouvement pour la 6e République (M6R). L’heure est à une grande bataille idéologique pour faire reculer les idées réactionnaires qui gangrènent la société. Le PS au pouvoir a méthodiquement délégitimé des principes de gauche. Il laisse entendre qu’il y a trop de dépenses sociales, que les plus riches payent trop d’impôts, que les droits sociaux sont des freins à l’emploi, que l’écologie est une punition, que nos concitoyens musulmans ont un problème avec la République, que les règles libérales de l’Union européenne sont des dogmes non discutables, etc. Sans la bataille des idées, que l’extrême droite mène avec patience depuis plus de trente ans, nous n’avancerons pas.

Pour consolider cette dynamique, faut-il alors inventer un rassemblement politique alternatif nouveau  ?

Alexis Corbière J’y suis favorable. Mais, pas de gadget de circonstance  ! Soyons cohérents dans la durée. Ne retombons pas dans le zigzag électoral avec des stratégies qui changent d’une élection à l’autre. Il est important que ce que nous bâtissons soit exigeant sur le contenu social et écologique, en rupture claire avec l’ordre économique actuel et la politique de l’Union européenne autant qu’avec les institutions de la Ve République, impliquant des citoyens qui ne sont pas nécessairement dans des partis actuellement. Appuyons-nous sur les alternatives concrètes existantes et à inventer démontrant qu’une autre politique est possible. C’est par l’action tournée vers le peuple que nous construirons ce rassemblement.

Clémentine Autain C’est un impératif. Après l’échec des expériences de type soviétique, nous voyons bien l’impasse de la voie dite social-démocrate en Europe. L’heure est à l’union de toutes celles et ceux qui n’ont pas renoncé à changer la vie. Ensemble, nous avons à définir une nouvelle stratégie de transformation. Notre projet doit intégrer les changements géopolitiques, l’essor des métropoles ou des nouvelles technologies. Il doit profondément être refondu en prenant appui sur l’écologie politique, l’apport féministe et antiraciste.

L’articulation entre ces combats émancipateurs relativement récents et le meilleur de la tradition du mouvement ouvrier est en train de s’inventer. Et d’augurer le rassemblement politique porteur de progrès humain du XXIe siècle.

Éliane Assassi Bien évidemment, il faut consolider la dynamique d’une «  gauche nouvelle  » qui se construit aujourd’hui, mais surtout il faut la poursuivre et l’élargir encore. Le lendemain des élections départementales va sans doute être sujet à des recompositions politiques et des manœuvres pour renforcer le tripartisme à quelques mois d’autres échéances électorales  : les régionales avec des territoires redéfinis et des compétences nouvelles et donc des enjeux nouveaux. Mais, dès le lendemain, il y aura aussi de grandes batailles à mener pour donner de la visibilité et de la lisibilité à cette construction  : le 7 avril, commencera, au Sénat, le débat sur la loi Macron où le groupe Communiste, Républicain et Citoyen (CRC) ambitionne de mener une grande bataille pour s’opposer à ce texte, mais également pour y opposer des propositions alternatives. Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC puiseront leurs forces dans la mobilisation intersyndicale du 9 avril et ils participeront à toutes les initiatives qui visent à contraindre les banques à utiliser leurs fonds colossaux pour le bien-être collectif plutôt que pour inonder les paradis fiscaux.

Éliane Assassi Sénatrice PCF, présidente 
du Groupe CRC-Front de gauche

Clémentine Autain Responsable Ensemble-Front de gauche, codirectrice 
de Regards

Alexis Corbière Membre de la direction du Parti de gauche

Entretiens croisés réalisés par Pierre Chaillan


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