"Il est temps que les femmes sortent de l’enfance, et leur temps a sonné" Ségolène Royal à Dijon

jeudi 8 mars 2007.
 

... Oui, la bataille des femmes a toujours été liée à la bataille de la gauche et des socialistes parce que c’est le long chemin pour accéder à la dignité humaine et à la reconnaissance de ce qui est le plus fondamental dans la vie ici-bas. Oui, j’inscris le combat des femmes et celui qui est le mien aujourd’hui dans cette revendication farouche et dans cette conviction que j’ai rivée là ici, devant vous, que c’est parce que nous réussirons à faire une France plus juste qu’elle sera plus forte. Et cette revendication de justice, c’est pour les femmes aussi que je veux la porter...

Vous, les femmes, je suis heureuse de vous voir si nombreuses, si mobilisées, si déterminées, en cette veille d’une journée internationale le 8 mars qui nous relient toutes à l’échelle de la planète ; et puis, vous, les hommes, sans lesquels rien ne serait possible ; vous qui, en acceptant de voter pour une femme, vous vous affranchissez vous-mêmes des vieux préjugés. Merci d’être là unis, rassemblés, forts et fortes d’une même espérance. Merci à vous les hommes de vous rassembler dans ce désir de changement et d’avenir.

Vous avez fait tout à l’heure un état des lieux à plusieurs voix auxquelles je voudrais maintenant joindre la mienne. Regardez devant nous ce qui reste de droits à consolider, à imaginer, à mettre en œuvre pour que vive réellement l’égalité entre hommes et femmes, égalité économique, égalité culture, sociale et scolaire, et j’en passe. C’est votre confiance, c’est votre engagement aussi qui me donne l’énergie, le courage, le sang-froid dans cette bataille à nulle autre pareille qu’est l’élection présidentielle de 2007.

Et je voudrais vous dire que je suis fière d’être votre candidate à l’élection présidentielle. Oui, je suis très fière. Je suis fière parce que l’enjeu pour la France, ce n’est pas seulement ce qui va se passer pendant les cinq années qui viennent. Ce qui va se passer, compte tenu de la profondeur des crises que j’évoquais tout à l’heure, va engager la France sans doute pour une génération et même au-delà. Et je salue tous les jeunes qui sont ici, les jeunes de MJS, les jeunes de Ségosphère et tous ceux qui sont là, tous ces jeunes qui sont venus massivement s’inscrire sur les listes électorales parce qu’ils ont compris que ce rendez-vous majeur d’une femme avec le peuple français les concernait. Et ils se demandent s’ils vont pouvoir continuer à construire l’avenir de la France et ensuite à transmettre à la génération suivante encore et toujours les valeurs auxquelles ils tiennent. Et c’est cela qui est au cœur du pacte présidentiel que j’ai construit avec vous, c’est vous donner la certitude, la garantie que chacun, à sa place, pourra continuer à progresser, que chacun à sa place pourra prendre part au relèvement de la France, mais surtout continuer à maîtriser son destin, à choisir sa vie, à ne plus subir les lois du marché, la mondialisation, le fatalisme, à ne plus subir le fait que tout semble être noué pour un enfant dès l’âge de 8, 10, 12 ans dès lors que lors que la réussite scolaire n’est pas au bout du chemin. C’est contre toutes ces pesanteurs, contre tous ces fatalismes, que le pacte présidentiel que je vous propose s’engage, c’est pourquoi je vous demande de vous en saisir, que ceux qui sont venus y contribuer en soient remerciés, qu’ils s’en saisissent et qu’ils ne le lâchent pas.

Cette parole que vous avez prise, je vous demande de la garder et de ne plus jamais vous la rendre parce que mon équipe de campagne, c’est vous.

Et si les Françaises et les Français m’accordent leur confiance, notre victoire ne sera pas seulement celle d’une femme, mais celle qui ouvrira pour toutes les femmes, et donc, je l’ai dit tout à l’heure, aux hommes de nouveaux espaces de liberté, de responsabilité et de dignité. Eh oui, je veux que nous fassions une nouvelle étape dans cette longue marche pour la dignité et pour le respect, pour le partage équitable des droits et des devoirs, ce en quoi, comme me l’avait dit Michelle Bachelet, au Chili, nous contribuerons, je l’ai dit tout à l’heure et je le répète, aux progrès de l’humanité.

Tout simplement, parce que chaque progrès pour les femmes est décisif pour l’ensemble des combats qui sont les miens, et c’est cela que je voulais vous dire surtout : lorsque l’on voit les sept piliers de mon pacte présidentiel, on se rend compte, au bout du compte, que la question des femmes y est majeure, puisque lorsque je parle de la lutte contre le chômage, je sais que les premières victimes du chômage sont les femmes ; lorsque je parle de la lutte contre la précarité, je sais que 80 % des travailleurs précaires sont des femmes ; lorsque je parle de la lutte contre toutes les formes de violence, je sais que les femmes sont les premières victimes de toutes les formes de violence ; lorsque je parle du droit d’accès à la formation professionnelle, je sais que ce sont les femmes qui sont le plus écartées de la formation professionnelle ; lorsque je parle de droit à la santé, de revalorisation des bas salaires ou des petites retraites, je sais que ce sont d’abord les femmes qui sont frappées par les bas salaires et par les petites retraites.

Vous voyez à quel point les combats sociaux rejoignent la revendication d’égalité pour les femmes. Vous voyez à quel point, pour que la France se redresse, il faut vraiment qu’elle soit plus juste, et dans ce combat pour la justice, c’est d’abord, pas exclusivement bien sûr, mais c’est d’abord un combat pour les femmes. Ce combat, il est temps de le relever, ce combat, je sais qu’il peut être gagné, ce combat avec vous, hommes et femmes de progrès, nous allons le réussir ensemble.

Et surtout, ne laissons plus le doute s’insinuer dans nos têtes, sur nos capacités et sur notre légitimité, sur nos compétences, sur notre carrure et sur notre stature. Et à vous voir aussi nombreux, rassemblés, voici le principal démenti à ce que toutes les femmes, qui ont eu l’outrecuidance de se dire que, finalement, à égalité, elles pouvaient s’avancer, voilà la réponse aujourd’hui que vous faites à Dijon, soyez-en infiniment remerciés.

Je voudrais vous dire, puisque c’est le thème de ce jour, vous ne m’en voudrez pas d’y insister, dans quelle lignée de femmes en lutte pour l’égalité j’inscris le combat que je conduis aujourd’hui, et quels engagements je prends pour que les femmes, comme le recommandait Louise Michel, prennent toute leur place sans la mendier et sans passer sous la toise d’un modèle masculin dont, de nos jours, d’ailleurs, bien des hommes, et c’est heureux, se détachent. Car, ajoutait-elle, nous autres femmes, nous n’avons pas la prétention d’arracher le cœur de nos poitrines, mais de vivre, de lutter, de créer par le sentiment aussi bien que par l’intelligence.

Elle avait bien raison, Louise Michel, de refuser ce partage faussement naturel qui fut, pendant des siècles, l’alibi commode de l’infériorisation des femmes : à eux la raison et à nous les effusions sentimentales qui maintiennent les femmes en état d’enfance continue, alors, je vous le dis, il est temps que les femmes sortent de l’enfance, et leur temps a sonné.

Dans sa savoureuse autobiographie, Yvette Roudy raconte une anecdote, que j’ai toujours trouvée très significative : nous sommes en 1981, François Mitterrand vient d’être élu et Pierre Mauroy annonce à Yvette la création d’un poste de ministre des droits des femmes. A ce moment-là, Yvette félicite Pierre Mauroy joyeusement d’en être le titulaire. « Tu n’y es pas » lui dit-il « C’est toi la ministre des droits des femmes. » Alors, Yvette ajoute ceci : « Si j’avais été né garçon, je n’aurais pas été pareillement prise au dépourvu, pas plus que je ne l’aurais été si j’étais issue de la bourgeoisie, dotée de prestigieux titres universitaires. » Il fallait un gouvernement de gauche pour lever les deux handicaps conjugués. Merci, chère Yvette, de nous l’avoir rappelé : c’est aussi dans nos têtes qu’il faut faire le ménage.

Je suis venue au socialisme par le féminisme, au départ pas un féminisme théoriquement bien charpenté ou solidement documenté. Non, une sorte de féminisme instinctif et juvénile qui m’a fait, dès l’adolescence, refuser la place que dans la famille la tradition assignait aux femmes, pensant d’ailleurs faire leur bien : études courtes, mariage précoce, assignation au foyer. Cette vie-là, avec la dépendance financière qui en résultait, ce n’était pas celle que je voulais. Je dois à l’école de m’avoir affranchie, je dois à mes enseignants le goût d’apprendre et la découverte très tôt que c’est par l’école que j’assurerais mon indépendance intellectuelle, professionnelle et financière.

Et puis, au fil des années, j’ai découvert d’autres horizons, d’autres cheminements scolaires, dont, dans mon village d’origine, je ne soupçonnais même pas l’existence. C’est après que j’ai pris la mesure du long, du très long combat des femmes et croisé les figures de celles qui, en leur temps, refusèrent de courber l’échine. Elles me sont restées chères, elles balisent le chemin, leur courage m’oblige et c’est leur legs que je revendique. Et, au risque de vous paraître manquer de modestie, mais parce que je crois que cette valeur féminine ne doit pas être laissée à ceux qui prétendent en avoir le monopole, j’y range dans cette lignée des femmes, et sans hésiter, Jeanne d’Arc, fille du peuple et fille rebelle à qui l’on fit reproche d’avoir pris les armes contre l’envahisseur et, transgression majeure pour les peuples, revêtu un habit d’homme. Elle n’eut jamais vingt ans et sut vaincre sa peur ; Christine de Pisan*, érudite et poétesse, passionnée de philosophie et de politique, plus connue avec la pauvreté et trois enfants à charge, famille monoparentale avant la lettre, qui décida de vivre de sa plume, privilège masculin et dénonçât déjà la condition faite aux femmes de son époque ; et puis bien sûr Olympe de Gouges dont la déclaration des droits de la femme proclame crânement : « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit alors avoir aussi le droit de monter à la tribune. » Ce que peut-être on sait moins d’elle, c’est que son idéal d’égalité civile et politique des hommes et des femmes la conduisit à réclamer l’abolition de l’esclavage, l’éducation nationale, la justice sociale, la protection maternelle et infantile. Le tribunal lui reprocha d’avoir oublié, je le cite, les vertus qui conviennent à son sexe. On la guillotina. Eh bien, ici, à Dijon, je vous le dis, si je suis élue présidente de la République, Olympe de Gouges entrera au Panthéon, ce monument si peu accueillant aux femmes qu’il porte en son fronton « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Elle y rejoindra Marie Curie, que la gauche y a conduite en 1995 et nous exprimerons à ces femmes de valeur la reconnaissance du peuple français. Et dans la France des outremers des femmes se dressèrent aux côtés des hommes. L’histoire les a souvent oubliées : contre le rétablissement par Bonaparte de l’esclavage, aboli par la Révolution, en Guadeloupe la mulâtresse Solitude et Marie-Rose Toto* prirent activement part à la résistance conduite par Louis Delgresse* en 1802. La première fut pendue le lendemain de son accouchement ; et la seconde, blessée, fut conduite au bourreau sur un brancard. Elles ont lutté pour nos valeurs, elles font partie de notre histoire et c’est pourquoi ce soir j’évoque leur mémoire et je veux qu’elles entrent dans les livres de l’histoire de la République française.

Alors, en cette veille du 8 mars, qui peut devenir, si les Français le veulent, un 8 mars historique, où en est le pays des droits de l’Homme en ce qui concerne les droits des femmes ?

La question n’est pas catégorielle car, ce que révèle la situation faite aux femmes, ce sont les paradoxes d’une République inachevée et pour les femmes le temps de l’ordre juste est aussi venu. Bien sûr, nous avons fait du chemin. Et ce chemin, nous le devons en premier lieu, et tous les témoignages qui viennent d’être donnés le rappellent, aux mobilisations des femmes et des hommes qui les ont soutenues. Avec elles notamment le Mouvement du Planning familial qui a poussé à la légalisation de la contraception en 1967. La contraception, comme l’a très bien analysé Françoise Héritier-Oger : ce n’est pas seulement choisir d’être mère, c’est le droit pour toutes les femmes de disposer d’elles-mêmes, ce qui constitue la personne au sens juridique du terme. Sans cet acquis-là, dit-elle aussi, les autres ont du mal à s’imposer dans les mentalités. C’est avec la contraception que les droits des femmes deviennent vraiment pensables, donc acceptables, donc réalisables, et c’est pour cela que dans mon pacte présidentiel, et parce que je refuse que n’arrive pas à reculer le nombre d’IVG chez les toutes jeunes filles et c’est pourquoi dans mon pacte présidentiel la contraception sera libre et gratuite pour toutes les filles de moins de 25 ans.

Ce sont les mobilisations insolentes et massives des militantes féministes des années 70 qui ont permis le passage de la toute-puissance paternelle à l’autorité parentale, le divorce par consentement mutuel. C’est encore et toujours la vigilance des associations de femmes, combinée à la forte volonté politique de la gauche et des élus de gauche, il y avait peu de femmes, il en a fallu aussi des hommes qui s’engagent sans avoir peur du ridicule pour réclamer et pour voter le remboursement de l’IVG avec François Mitterrand, la reconnaissance du viol pour ce qu’il est un, un crime, les lois Roudy et Génisson sur l’égalité professionnelle, celle sur la féminisation des noms de métiers, celle sur le harcèlement sexuel et moral et au travail ; ainsi que ces actions dont je suis fière : la pilule du lendemain délivrée gratuitement aux mineures dans les établissements scolaires, la réforme de l’autorité parentale, la création du congé de paternité, la possibilité pour les mères de transmettre leur nom à leur enfant, et enfin le plan massif de construction des crèches interrompu par la droite et dont je reprendrai le flambeau en mettant en place, car c’est dans un le pacte présidentiel, un service public de la petite enfance et l’obligation de scolarisation pour tous les enfants à 3 ans.

Et malgré toutes ces avancées, que de contradictions tenaces et d’écarts persistants, que d’inégalités nouvelles qui se greffent sur les anciennes.

Certes, il y a davantage de femmes instruites et de femmes salariés, mais il y a aussi de plus en plus de chômeuses et de travailleuses précaires. Certes, il y a davantage de lois sur l’égalité professionnelle, mais le plafond de verre est toujours là, les disparités de carrière et de salaire. Certes, il y a la parité, mais encore trop peu d’élues et une mixité politique et syndicale bien lente. Certes, il y a la liberté de disposer de son corps enfin reconnu aux femmes, mais trop souvent confondue avec les inégalités d’accès à la santé, et les droits de certains de faire des femmes leur chose et leur marchandise, notamment dans la publicité. Certes, il a les métamorphoses de la famille, mais toujours ce monopole, cet invraisemblable monopole féminin du travail domestique. Et tout cela aussi, il faut que ça change et que ça change fort.

Et les femmes sont les toutes premières victimes des mutations contemporaines du monde salarié et, à l’échelle planétaire, d’une mondialisation effrénée, mal maîtrisée : montée de la précarité, montée des exploitations salariales de toutes formes. Elles sont les premières victimes des protections qui s’amenuisent, des solidarités qui s’affaissent et de la brutalité des rapports sociaux.

Elles ont besoin, et c’est ma conception d’un État fort, que la puissance publique rééquilibre le rapport de force et remette de l’ordre juste là où règne un libéralisme sans foi ni loi, qui n’est pas seulement fauteur d’injustice, mais qui gaspille le rapport.

C’est pourquoi, lorsque je m’engage dans le pacte présidentiel, sur un certain nombre de réformes en profondeur, c’est bien sûr pour l’ensemble des salariés et des citoyens hommes et femmes que je m’engage. Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, cela permettra aussi d’avancer et de résoudre une partie de la question des femmes.

Par exemple, la lutte contre le travail précaire, en encourageant les entreprises à transformer les contrats précaires et les CDD et intérims en contrats à durée indéterminée, ce n’est que justice pour les salariés, puisque la majorité des travailleurs pauvres sont des femmes : elles représentent 82 % des temps partiels forcés.

Deuxièmement, lorsque je m’engage pour un revenu de solidarité active, qui permettra l’amélioration d’un tiers de ses ressources à tout bénéficiaire des minima sociaux qui retrouve un travail, cette mesure va massivement profiter aux femmes puisqu’elles sont 70 % des salariés et des bénéficiaires des minima sociaux qui sont concernés par ce revenu de solidarité active, qui fera que, désormais, quelqu’un qui retrouve un travail ne puisse plus voir son niveau de vie diminué.

Lorsque je m’engage, dans le pacte présidentiel, sur la formation professionnelle, et je le dis ici, la parité dans l’utilisation des crédits de la formation professionnelle sera réalisée. Je veux que les bénéficiaires de la formation professionnelle soient à 50 % des femmes, et non pas 20 à 25 % comme aujourd’hui, alors que ce sont elles qui ont les plus grands besoins dans ce domaine.

Lorsque je m’engage pour l’augmentation des petites retraites et du minimum vieillesse, je sais que je m’adresse massivement aux femmes puisqu’elles sont plus de 83 % à être les titulaires des petites retraites inférieures aux salaires minimum, et qu’elles sont aussi à ce niveau les bénéficiaires du minimum vieillesse.

Lorsque je m’engage sur la création d’un service public de la petite enfance, c’est bien sûr aux parents que je m’engage, pères et mères, puisque je revendique pour eux la parité parentale. Mais je sais bien que c’est encore massivement sur les femmes que pèse lourdement la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Donc c’est d’abord à elles que j’ai pensé en proposant ce service public de la petite enfance pour qu’elles puissent trouver des structures d’accueil de qualité, diversifiées, assurées dans leur fonctionnement et qui leur permettent la sécurité dans leur travail, car la sécurité, au sens large, l’invention des sécurités nouvelles, qui est au cœur du pacte présidentiel, c’est cela aussi le fil conducteur. On le voit bien avec la montée des brutalités, des précarités, le bilan que nous laisse cette droite, on voit bien que tout est à reconstruire pour inventer les sécurités nouvelles dont nous avons besoin pour redresser la France.

Je l’ai dit également, le premier texte de loi qui sera déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale sera la loi cadre contre les violences faites aux femmes, car comment peut-on supporter, comment peut-on tolérer que, dans le pays des droits de l’homme, il y ait autant de silence sur un fléau aussi insupportable qui frappe non seulement les femmes, une tous les trois jours meurt sous les coups de son conjoint, et cette souffrance, ces crimes sont couverts par la loi du silence ? Il faut que la loi du silence recule, car quand une femme est frappée au domicile familial, ce sont aussi des enfants qui souffrent cruellement. Je vais même vous dire, lorsqu’on s’interroge parfois sur l’échec scolaire de certains enfants, il faudrait y voir d’un peu près sur ce qu’ils subissent parfois sur le plan psychologique, et lorsqu’on sait qu’il y a reproduction du modèle paternel, c’est-à-dire qu’un enfant qui a souffert de la violence familiale va reproduire ce modèle familial, étant lui-même victime à double sens, victime de l’avoir subi et victime ensuite d’une certaine façon d’être auteur des coups qu’il va à nouveau porter sur sa conjointe. Je vous dis, ce cercle infernal, il est possible de le briser si la loi du silence est brisée et si les femmes, comme les hommes, parce que je crois qu’ils peuvent être aidés, soutenus, que cette reproduction des modèles machistes n’est pas une fatalité, et en aidant les hommes et les femmes à se tenir debout ensemble et à se respecter dès le plus jeune âge dans l’éducation civique qui sera donnée à l’école sur le respect mutuel entre filles et garçons, nous réussirons à briser ce cercle de la violence.

Le 8 mars, chers amis, est aussi une journée internationale. Je voudrais une nouvelle fois saluer toutes celles et tous ceux qui sont venus de pays voisins et plus lointains, et qui se sont associés à notre réunion d’aujourd’hui.

S’il nous appartient de faire avancer les droits des femmes, chacun et chacune dans nos pays, nous savons bien que ce combat est aussi profondément internationaliste, fondé sur une solidarité qui ne s’arrête pas aux frontières.

C’est pourquoi je voudrais d’abord que nous ayons toutes et tous une pensée pour Ingrid Betancourt, prisonnière de FARC, depuis cinq ans, et pour la libération de laquelle nous devons rester mobilisés, je l’ai promis à ses enfants, je ne veux pas qu’elle subisse un nouveau quinquennat en captivité.

Je voudrais aussi exprimer ma solidarité avec les militantes féministes iraniennes déférées devant le tribunal de Téhéran pour avoir organisé, en juin 2006, un rassemblement jugé illégal. C’était pourtant une manifestation pacifique qui appelait l’attention sur les discriminations dont les Iraniennes sont victimes dans la législation en vigueur.

Enfin, je voudrais dire à Aminata Traoré, qui sait combien cela me tient à cœur, ma conviction que le développement des pays du Sud, et en particulier de l’Afrique, passe forcément par les femmes : elles ont l’énergie, elles ont l’opiniâtreté, elles effectuent 80 % du travail de la terre, mais n’ont accès qu’à 5 % des crédits bancaires. Et c’est pourquoi je veux réformer en profondeur l’aide au développement pour que les femmes aient les moyens avec les micro crédits ou avec les aides directes de réaliser les projets dont elles sont porteuses, parce que les projets dont elles sont porteuses sur les énergies renouvelables, sur l’éducation, sur la santé, sur l’agriculture durable, sur la lutte contre toutes les formes de maladie, sur la maîtrise de la procréation, toutes ces luttes sont au cœur des ressorts qui peuvent permettre à l’Afrique de s’en sortir. C’est pourquoi les femmes africaines, nous les aiderons, nous leur donnerons les moyens de réaliser leurs projets et de redresser leur pays.

Et puis je voudrais dire aux jeunes Françaises dont les parents sont venus d’ailleurs qu’elles sont les enfants légitimes de la République, toutes origines confondues, que la France a besoin d’elles, de leur énergie, de leur talent, de leur volonté de conduire leur vie, que je leur fais confiance et que la République du respect que je veux conduire avec vous toutes, avec vous tous, fera une lutte sans merci aux discriminations et s’attachera à réunir dans tous les domaines de la vie quotidienne les conditions d’une égalité vraie qui fera au bout du compte la France plus forte de tous les siens et de toutes les siennes.

Et je ne veux pas oublier toutes celles qui sont venues dans les nombreux débats participatifs, toutes celles qui sont venues me dire, et elles sont des centaines, des milliers, sans doute même plusieurs millions, toutes les femmes seules qui sont venues me dire : « Nous, on n’est jamais prises en compte dans les discours politiques, nous, on cumule toutes les difficultés du plus jeune âge au plus grand âge. » Oui, ce sont les femmes qui sont prioritairement frappées par la solitude, celles qui sont confrontées seules à l’éducation des adolescents, celles qui sont plus souvent abandonnées par leurs conjoints, celles qui se retrouvent aussi seules dans le veuvage et dans le grand âge avancé, celles qui supportent au niveau de la troisième génération, sur les épaules desquelles pèsent souvent, quand il y a de la montée de la précarité ou du chômage le soutien à la génération qui suit, le soutien aux petits-enfants, et puis de l’autre côté le soutien à la quatrième génération, parents, et même souvent beaux-parents, la charge souvent aussi du handicap.

Tout cela, c’est sur les millions de femmes que toutes ces charges souvent pèsent massivement. Et à toutes ces femmes je veux leur dire que le service public sera partout remis à niveau pour les structures d’accueil, pour la santé, pour les soutiens de toutes sortes, pour la médiation familiale. À tous ces millions de femmes sur lesquelles pèse si lourdement ce qui fait le lien social invisible et non rémunéré dans une société, que non seulement je ne les oublierai pas, mais que je vais bien m’occuper de vous.

Chers amis, je ne vous demande pas de voter pour moi parce que je suis une femme, mais je suis une femme, et avec moi le changement, le vrai changement politique, il est là. Et avec moi la politique ne sera plus jamais comme avant. Aidez-moi à rester moi-même et à vous voir aussi nombreux rassemblés et aussi nombreuses rassemblées.

Je prends cet hommage que vous me faites, ce bonheur que vous m’apportez, d’abord comme un encouragement à rester moi-même, et pour cela vous pouvez compter sur moi.

Et d’ailleurs les circonstances m’aident un peu puisque je ne veux pas me laisser enfermer dans un modèle qui, par définition, n’existe pas, puisque, c’est une grande première, et donc aucune identification ne peut s’opérer. Et pour cela aussi, merci d’être là et de m’y encourager.

Je suis une femme, je suis une mère, et je l’assume dans ma relation au pouvoir. Et c’est pourquoi, à chaque fois, lorsqu’il y a un choix à faire, je fais toujours le choix de la vie.

Ce qui parle en moi, bien sûr, contient cette appartenance, mais la dépasse aussi. Ce qui parle en moi bien sûr mélange les genres pour un universel commun. Ce qui parle en moi dépasse ma propre identité pour laisser l’humain se déployer en votre nom, pour abattre les barrières qui nous enferment et les carcans qui nous retiennent.

Alors, osons cette ouverture nouvelle, osons ce changement radical. Nous sommes en train de vivre, et c’est le monde entier qui nous regarde, un moment historique, un moment magnifique pour tous les hommes et pour toutes les femmes de ce pays qui ont envie de regarder en avant car le combat des femmes est un combat émancipateur de tous, hommes et femmes, c’est vrai. Nous avons conquis les droits de longue lutte, mais un immense chantier est ouvert devant nous pour l’humanité, du Nord à l’Ouest, de l’Est au Centre, à Paris, Beauvais, Grenoble, Rennes, Lille, Belfort, Dunkerque, Rouen, Dijon, toutes ces rencontres m’ont apporté la preuve de vos attentes, de vos intérêts dans une candidature qui vous engage, qui nous engage, femmes de ce pays, hommes ouverts et favorables à cette nouveauté historique.

On a voulu me faire fléchir, on voudrait me faire douter du combat, de la bataille que je livre à ma manière sur un échiquier complexe. On voudrait me faire douter de l’engagement qui est le mien depuis si longtemps. Je l’ai dit : avec moi, la politique ne sera plus jamais comme avant et il va falloir s’y faire. Mais, pour cela, il va falloir aussi rassembler et augmenter le vote des femmes, ne pas se laisser enfermer dans des fonctions limitées, toujours les mêmes, qui ne ressemblent pas forcément à ce que les femmes font ou peuvent faire en politique.

Et je m’adresse aussi à toutes celles qui sont venues, parfois timidement, et qui m’ont dit : nous sommes sans statut. Je leur ai dit : vous êtes sans statut ? Oui, nous sommes conjointes d’artisans, de commerçants, d’agriculteurs, de chefs d’entreprises, nous travaillons souvent dans l’ombre. Ces statuts, bien sûr, les lois de la gauche les ont fait progresser, mais encore combien de femmes n’osent pas et se disent : « Ce n’est pas pour moi, je n’y arriverai jamais. » Combien de femmes aussi, chefs d’entreprises, de toutes petites entreprises, ai-je rencontrées et qui m’ont dit : « Lorsque nous nous présentons à la banque pour avoir un crédit bancaire..., et c’est encore un exemple récent, une femme ostréicultrice de ma région qui venait de créer son entreprise, elle va à la banque de sa commune, de sa ville, on lui dit : « Mais quel est le nom de votre mari ? » Elle dit : « Mon mari n’est pas ostréiculteur. » « Alors quel est le nom de votre père ? » « Mais mon père n’est pas ostréiculteur. » Mais là, aujourd’hui, dans la France de 2006, c’était l’année dernière, il y a encore des banquiers pour dire que, pour faire un prêt, il leur faut un nom d’homme.

Alors je dis aux femmes : osez ! Relevez la tête, la France a besoin de vous, entreprenez, créez vos entreprises et vos emplois, assumez vos responsabilités et prenez toute votre place tout simplement parce que nous en avons besoin tous ensemble.

Et c’est pourquoi j’en appelle aux femmes, en ce 8 mars 2007, j’en appelle à la force de leur vote pour qu’elles transforment, par leur participation, le monde, même si je ne suis pas à l’image de l’incarnation traditionnelle du pouvoir. J’en appelle aux femmes pour qu’elles imposent un ordre juste, différent, ouvert. J’en appelle aux mères, aux filles pour que la politique change enfin, pour que notre vie change enfin. J’en appelle aux hommes et aux femmes de ce pays pour remettre en cause des schémas trop simples. Nous avons tout à gagner à reconnaître l’égalité dans la différence. Et si ce mot était accepté, je veux parler, lorsqu’on dit liberté, égalité, fraternité, eh bien aujourd’hui à Dijon j’en appelle à la sororité.

Et je veux dire aux femmes bien sûr qu’il y a, et heureusement, la liberté des choix politiques, mais j’observe parmi beaucoup de femmes, parce qu’elles m’écrivent massivement, elles sont venues dans les réunions, à celles qui hésitent, qui n’arrivent pas à se placer sur l’échiquier politique, je leur dis de sortir de l’intériorisation d’une situation de domination car je crois qu’il faut aussi rappeler que toutes les femmes qui acceptent d’être reléguées dans la sphère du privé et qui accomplissent des emplois d’exécutantes, et que serait la France sans tous ces emplois d’exécutantes non qualifiés ? Et je voudrais ici rendre hommage à toutes ces femmes qui ont tant de mal à boucler leur fin de mois et à concilier l’éducation de leurs enfants et la dureté au travail : femmes vendeuses, caissières, secrétaires, stagiaires, aides-soignantes, manœuvres dans les petits métiers de chaussures, de vêtements, de filatures, dans les services de nettoyage, de gardiennage, de soins aux personnes, femmes de ménages, femmes noires, femmes blanches, femmes du Maghreb, femmes des petits matins, femmes des entreprises agricoles si peu payées et si peu reconnues, aujourd’hui je vous demande de leur faire part de votre reconnaissance.

Alors, faisons preuve d’un peu d’humour et n’ayons pas peur d’affirmer que la femme est un animal politique comme un homme. Mais la politique est un combat rude qui se mène dans un milieu brutal. Et moi je revendique la possibilité de faire de la politique autrement à l’abri de cette brutalité, car cela rejoint le refus de la brutalité et des violences, cela rejoint le combat émancipateur.

Alors, soyons vivantes, soyons vivants, soyez pour moi et avec moi, non pas pour moi individuellement, mais parce que je veux avec vous construire cette France neuve qui se relève. Soyez ces désirs d’avenir, soyez à la pointe de l’émancipation magistrale. Femmes et hommes combattants debout qui ont marqué notre histoire, les yeux sont posés sur nous. Nous ferons de ce pouvoir autre chose et autrement sans changer.

La question des femmes aujourd’hui à Dijon, pour les femmes et pour les hommes, a une valeur symbolique. Une femme là, parmi vous, devant vous, en cette année 2007, en ce 8 mars 2007, il fallait trouver une bannière différente et inattendue. Et si la femme était l’ironie de l’histoire ?

Laissons-nous aller à cette ironie constructrice et fondatrice pour dire que le changement profond est possible, que l’on est capable d’imaginer un autre monde, que l’on est capable de créer ensemble un ordre juste qui met fin à toutes les formes de désordre, de précarité et de violence pour construire une France qui se relève. Je vous le demande : allez autour de vous, je vous le demande, allez convaincre partout, réveillez l’imaginaire collectif parce que, ce qui est en jeu, je le répète, ce ne sont pas seulement les cinq années qui viennent, mais c’est bien au-delà.

Il va falloir faire place à l’imagination, à la volonté politique, il va falloir affronter tous les lobbies, il va falloir regarder autrement les talents que la France gaspille et leur donner la chance de s’épanouir et de se développer.

Il va falloir pousser en avant toutes les énergies, il va falloir faire en sorte que la France se retrouve en elle et sème à nouveau en elle, dans sa diversité, dans son authenticité, dans ses traditions positives, mais dans sa capacité à regarder l’avenir sans avoir peur. Je vous le dis : ensemble, nous n’avons pas peur, la voulez-vous cette France plus juste ?


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