Après la Grèce, l’Espagne !

vendredi 6 février 2015.
 

Jean-Luc Mélenchon était à Madrid ce week-end pour observer et soutenir l’ébullition de l’indignation de toute une société. Il n’était pas revenu depuis mai 2013 dans cette ville où les militants de gauche l’avaient reçu à bras ouverts. En un an et demi, le panorama politique a été profondément bouleversé. Juan Carlos Monedero qui l’avait invité pour une conférence sur l’écosocialisme à l’université Complutense est devenu un des chefs de file de Podemos, première force politique dans les sondages. Alberto Garzon, jeune député issu du mouvement indigné du 15M qu’il avait rencontré avec d’autres représentants des marées citoyennes est désormais le candidat à la présidence du gouvernement d’Izquierda Unida.

Tout s’est accéléré en effet. Comme en Grèce, le champ politique s’est simplifié entre ceux qui s’entêtent dogmatiquement dans la voie eurotechnocratoaustéritaire et les partisans d’un changement radical. Les Espagnol-es, après une première cure d’austérité sous Zapatero, sont soumis depuis 2011 aux coups de boutoir des politiques conservatrices du PP (privatisations, suppressions des libertés, destruction de l’Etat Providence) qui comme en Grèce asphyxient l’économie et provoquent le départ de milliers de jeunes.

Les forces alliés du Parti de Gauche sont à la croisée des chemins, pour relever les terribles défis de ce contexte historique inédit et pour que le changement qui vient de se produire en Grèce soit aussi possible ici. C’est pour cela que la présence de Jean-Luc Mélenchon était particulièrement attendue dans la capitale. D’une part, il fallait montrer le soutien du PG au nouvel homme fort de IU, soutien du réseau écosocialiste européen et acteur d’une convergence des réflexions sur la *3ème République espagnole et la 6ème en France. Alberto Garzon essaye de produire une modernisation accellérée de son organisation pour qu’elle s’adapte aux attentes nouvelles de la société espagnole, dans un contexte historique favorable à l’autre gauche, mais que l’ancienne direction de IU n’a pas su apprécier. Reçu au Congrès par Garzon, Jean-Luc Mélenchon accompagné de journalistes français et espagnols, a rappelé la nécessité que nos amis espagnols joignent leurs efforts pour qu’un maximum de forces puissent appuyer un bras de fer qui s’annonce terrible avec le Parti Populaire, les médias et l’oligarchie de Bruxelles.

Restait le grand rendez-vous du samedi : la marcha del cambio. Cette "marche du changement", vaste manifestation sans mot-d’ordre précis, se voulait comme une démonstration de force pour Podemos à l’occasion du premier anniversaire de sa création. Il fallait mesurer si les appuis des plateformes en ligne et les prévisions favorables dans les sondages pouvaient se transformer en une mobilisation de rue, exercice périlleux outre-Pyrénées. Pablo Iglesias nous expliquait la veille sur le plateau de son émission, qu’il fallait franchir un seuil pour faire masse et poser les premiers jalons de la construction d’une "hégémonie populaire" selon les référents gramsciens et latino-américains des promoteurs de Podemos. C’est un succès incontestable, la Puerta del Sol était remplie comme lors du 15M. Oui, on reconnait à nouveau dans la préparation et la communication ciselée du 31 janvier la stratégie de conquête systématique d’un public transversal. Tout le monde pouvait accourir et réclamer le "changement" et le départ de "la caste", conformément à cette idée du penseur argentin Ernesto Laclau qui veut que les indignations les plus hétérogènes se fédèrent autour de concepts flottants, en particulier dans des contextes historiques de crise de régime. Plus prosaïquement, il faut rester vague dans la dénonciation du système. Ainsi, la deuxième phase de croissance de Podemos vise à additionner plus encore des publics indécis d’origines sociales et politiques diverses, et reste donc très (trop pour certains) prudente avec les référents politiques ou historiques marqués à gauche qu’il faut proscrire.

Pourtant, le discours de Pablo Iglesias à la Puerta del Sol marque un changement que l’on ne perçoit pas forcément depuis la France où l’on a envie d’amalgamer toute cette fraicheur venue d’ailleurs pour se donner du baume au coeur : Syriza, indignés, IU, Podemos… S’il martèle la sémantique transversale podémienne désormais classique (ceux d’en bas et ceux d’en haut, la caste…), il marque deux inflexions sensibles. La première, signe de son passage par Athènes et du bras de fer lancé par le ministre Varoufakis à la Troïka, est le pari du "nacional-popular", c’est à dire un renforcement de la connotation patriotique et souverainiste face aux forces de "Davos et du Bundesbank". Le mot patrie s’impose dans le discours, lui qui est pourtant si difficile à utiliser dans le contexte composite du territoire espagnol. D’un autre côté, Pablo Iglesias a dessiné justement une grande geste nationale des événements dont la Puerta del Sol a été le témoin. Une épopée dans laquelle, il incorpore le soulèvement du 2 mai 1808 contre Bonaparte ("sacrifice de ceux d’en bas"), mais aussi la référence à la lutte contre la dictature. Il réussit le tour de force de parler de la proclamation de la IIde République en avril 1931, sans jamais prononcer le mot de République pour autant, alors que les drapeaux tricolores flottent sur la place. Ce virage "à gauche" reste donc très mesuré et prudent, de façon à parler à tous les inconscients sans jamais en froisser aucun, dans une vaste stratégie de synthèse minutieuse qui cherche avant tout à gagner en construisant une majorité sociale.

L’hégémonie culturelle, dans le sens gramscien, la consolidation du Peuple, selon les expériences latino-américaines qu’ont suivi les promoteurs de Podemos se construit dans un second temps (cf. la thèse d’Iñigo Errejon sur la construction de l’hégémonie du MAS bolivien). C’est en tout cas comme cela que depuis notre position privilégiée d’acteurs de ces luttes en Espagne, nous ressentons cette stratégie de soulèvement démocratique inspirée des mouvements citoyens latino-américains et qui redonne espoir à tout un pays. Il ne faut pas que cette vague mauve termine comme la vague violette italienne ou ne se perde pas dans l’obsession de la centralisé politique et s’y dissolve dans le consensus comme finalement a pu le faire la social-démocratie par le passé. On peut faire confiance au camarade Iglesias pour éviter cet écueil. Pour cela, il est aussi important de créer les conditions d’un rassemblement des forces de transformation sociale en présence (IU, ICV, Anova, collectifs, marées, partis autonomistes progressistes…), comme cela s’est produit en Grèce autour de Syriza, ce à quoi la visite de Jean-Luc Mélenchon a contribué.

François Ralle, BN du PG, Elu consulaire PG/FDG des Français-es d’Espagne

*La Tercera Republica, éd. Peninsula, 2014 avec épilogue de François Delapierre


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