Le cinéma brésilien face à la mondialisation

vendredi 3 mars 2006.
 

Funk, rap et samba en musique d’ambiance, plage et belles filles à volonté, pas de doute vous êtes à Rio de Janeiro. Courses poursuites entre les balles, ruelles crasseuses et pauvreté, dommage, vous êtes dans la favela, et c’est pas les vacances... Culture pour tous

En quelques années en France, nous avons reçu deux ovnis audiovisuels d’un pays, le Brésil, qui ne nous avait pas habitué à cela. En effet, étant donné la horde de films américains qui inondent nos écrans, il ne reste bien souvent plus d’espace de diffusion pour un autre cinéma, et même pour une autre culture en général. Le choix est trop souvent simpliste : pour résister à l’impérialisme culturel nord-américain, il faudrait défendre notre cinéma national. C’est l’exception culturelle française qui, si elle est présentée comme cela, ne viserait donc qu’à sauvegarder un îlot de résistance dans un monde globalisé. Or, nous savons que ce combat isolé est perdu d’avance, n’en déplaise aux nostalgiques de la grande Culture française qui irradiait le monde entier jusqu’au début du XXe siècle. Le combat pour la culture ne concerne pas que la France, même si l’histoire de notre pays nous confie une responsabilité particulière dans ce domaine.

Au Brésil, l’association Nos Do Cinema l’a bien compris. En soutenant la réalisation d’œuvres audiovisuelles par exemple. Seulement NDC, conscient que défendre simplement la culture nationale n’est pas suffisant, cherche avant tout à y associer la population qui y a le moins accès, la classe populaire, notamment celle des favelas.

Une association dans la favela

En général, quand en France on commence à parler des favelas, on arrive à peu près à concevoir la pauvreté et la violence sociale qui y règnent. En fait, c’est pire. Pour s’en rendre compte voici quelques chiffres avancés par l’association : à Rio de Janeiro, environ 100 000 personnes vivent du trafic de drogues (autant que le nombre de fonctionnaires dans l’Etat de Rio), et de 5000 à 7000 jeunes de moins de 25 ans sont tués chaque année. En soit, c’est déjà très choquant de notre point de vue de progressistes occidentaux. Il faut bien comprendre qu’en plus de cette vie déjà peu enviable, les gens des favelas subissent une autre forme de violence : les classes moyennes les ignorent complètement, refusent de les voir, et la haine de classe va bon train. Quant aux riches, enfermés dans leurs citadelles ultra-sécurisées, et bien ma fois, la situation leur convient puisqu’ils disposent de tout ce dont ils ont besoin pour continuer à être riches tous seuls, grâce à la peur qu’inspirent les exclus à la classe moyenne.

Mais existent-elles les solutions à ce bourbier ? NDC a fait le pari de redonner de la visibilité à tous ces exclus, non seulement en travaillant à deux œuvres qui traitent largement de la vie dans la favela, le film La cité de Dieu et la série La cité des hommes , mais surtout en y associant les exclus eux-mêmes. Depuis plusieurs années, l’association accueille les jeunes de la favela qui souhaitent se professionnaliser et propose des cours dans tous les domaines de l’audiovisuel : écriture, production, technique, administration, jeu des comédiens... Ces jeunes travaillent effectivement sur des projets de création, et ceux qui se professionnalisent jusqu’au bout (il ne faut pas se voiler la face, même avec ce type de formation, ce n’est pas facile de sortir de la précarité de la favela) sont associés aux projets que mène l’association avec les entreprises audiovisuelles partenaires, producteurs et diffuseurs.

Plein la vue...

Et cela donne quoi ? Eh bien, des œuvres de très grande qualité, pas du tout le genre de produits qu’un atelier d’une maison de quartier en France pourrait sortir, amateurs et finalement utiles « seulement » pédagogiquement aux participants de l’atelier (ce qui est déjà bien, remarquez). Non, au contraire. La cité de Dieu en est le meilleur exemple, en se révélant être un très grand film de cinéma, extrêmement bien réalisé et joué. Vu de France, c’est un film coup-de-poing qui traite des problèmes de violence du point de vue des jeunes dans une favela « toute neuve », pendant les années 1970. Énergique et déjanté, violent et vivant, c’est un film qui marque, surtout quand on sait que ce sont 50 jeunes issus du premier groupe de travail ouvert à la favela qui tiennent les rôles principaux. La folie du futur gangster Petit Ze, l’envie de s’en sortir de Buscapé, passionné par la photographie et personnage principal du film, sont tellement fortes quand elles sont à l’écran qu’on a du mal à se dire que ce sont des gamins enfermés dans un univers de pauvreté qui les jouent.

Mais quelque part, c’est normal. Tellement ont-ils été bridés et brimés par les « autres », les classes moyenne et riche, la police, les gangs de la favela qui aimeraient en faire de bons petits soldats du crime, ..., que dès qu’ils voient la possibilité de s’en sortir autrement ils se donnent à fond. Certains jeunes acteurs explosent de talent. A tel point d’ailleurs que l’on retrouve certains d’entre eux avec la plus grande joie dans la série La cité des hommes, diffusée d’abord sur la chaîne brésilienne Globo (d’habitude spécialisée dans les telenovelas, ces séries à l’eau-de-rose complètement débiles) et disponible maintenant en DVD en France.

Prenant place cette fois dans une favela de Rio aujourd’hui, l’histoire nous transporte dans la vie de deux jeunes garçons de 14 ans environ, Petite Orange et Acerola (le Petit Zé de La cité de Dieu), et nous fait partager tous ces petits instants qu’on n’imagine pas, soit parce qu’ils sont dramatiques, soit parce qu’ils sont joyeux. En effet, on ne trouvera pas trace de misérabilisme dans La cité des hommes. Oui ils sont pauvres, oui ils ont souvent faim, parfois obligés de mendier et de se débrouiller par des moyens un peu tordus, mais oui aussi comme tous les gamins, ils passent leur temps à s’amuser, à déconner entre eux, faire la fête et draguer les filles !

Au détour d’une conversation entre jeunes s’ouvre un break, les comédiens nous racontent leur vraie vie : « Je me suis réveillé un flingue sur la tempe », « la grenade a atterri chez mon oncle, faisant exploser la bouteille de gaz... » Quant à l’inexistence symbolique de la favela, nous la saisissons mieux quand à sa place, sur la carte de Rio, il n’y a... rien sauf un bois.

Mais l’espoir d’un changement existe et réside d’une part dans l’énergie de résistance et le dynamisme que crée l’extrème misère de cette société injuste, mais aussi dans la reconnaissance des classes sociales entre elles et dans la prise de conscience des intérêts communs qui existent entre pauvres et classes moyennes, remarquablement mi en scène dans les épisodes charnières où la bande des pauvres fraternise avec les gosses des milieux plus aisés. Et dans quel but fraternisent-ils ? Pour une chose apparemment impensable : pouvoir partager entre eux tous les plaisirs de la vie, faire la fête, draguer, aller à la plage (un des rares endroits où la ségrégation peut ne pas avoir lieu) ! Et oui, Brazil c’est plaisir !

Signé de Julien Marion Contact : jeunes@prs93.org

Pour plus d’info : www.nosdocinema.org

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