Selon Manuel Valls : le bonheur est dans la « pré-distribution »

samedi 20 décembre 2014.
 

Introduction : Des mots, toujours des mots...

Dans les années 2004 2005, les cadres départementaux du "courant" Hollande se sont mis au sein du Parti Socialiste à théoriser la nécessité de passer d’un socialisme de la production (aujourd’hui "dépassé" expliquaient-ils) à un socialisme de la redistribution (essentiellement par les droits sociaux et la fiscalité), le capitalisme ayant fait ses preuves comme moyen de multiplication des richesses mais pas comme outil de répartition de celles-ci.

Le "socialisme" pratiqué par François Hollande et Manuel Valls ne présentant pas la moindre ressemblance avec un socialisme de la production et même un socialisme par la redistribution, les "experts" de Solférino ont pondu une nouvelle cohérence conceptuelle, empruntée à des travaillistes britanniques. En fait, cette nouvelle "théorie" n’a été tripatouillée que pour tenter d’apporter une lueur de réflexion socialiste aux mesures anti-socialistes d’Emmanuel Macron.

Ainsi, ce 10 décembre devant la Fondation Jean Jaurès, Manuel Valls a planché sur le socialisme de "pré-distribution", commençant son allocution par des mots, toujours des mots, bien différents de ceux utilisés auprès de Yvan Gattaz et du MEDEF : " La France a une passion... celle dont parlait TOCQUEVILLE, la passion de l’égalité. Les Français ont voulu que la naissance ne dicte pas le destin, que la République soit autant la patrie de ceux qui méritent que de ceux qui héritent/ La Révolution française a gravé dans notre patrimoine, dans notre conscience collective, l’exigence d’égalité." On attendrait alors un effort d’articulation entre cette introduction et la pratique réelle du pouvoir. Espoir vite dissipé par la magie défraîchie des mots, rien que des mots.

http://www.generation6mai.fr/2014/1...

J’avais commencé à rédiger un texte sur le sujet, lorsque j’ai découvert sur le web un texte (de Jean-Jacques Chavigné, membre du PS) dont je partage l’analyse et que je reproduis ci-dessous.

Par Jean-Jacques Chavigné, 16 décembre 2014

Dans son discours du 10 décembre, devant la Fondation Jean Jaurès, Manuel Valls tentait de sauver le soldat Macron, en volant au secours de sa « loi pour la croissance et l’activité ». Il faisait donner l’artillerie conceptuelle lourde, en reprenant à son compte la notion de « pré-distribution », empruntée au discours du dirigeant travailliste britannique, Ed Miliband.

Devant une dizaine de ministres socialistes, faisant tapisserie sur l’estrade pour bien montrer que cette loi n’était pas celle du seul Emmanuel Macron, Manuel Valls assénait trois affirmations.

Chacune de ces affirmations s’avère erronée ou en complète contradiction avec la réalité économique et sociale, et surtout, avec la politique menée par Manuel Valls.

1ère affirmation : « Je vois un manque d’ambition, et même une impasse stratégique, à ne penser l’égalité qu’à travers la redistribution fiscale »

Pourquoi pas ? Mais quel rapport peut bien avoir cette affirmation avec la réalité politique de ces 15 dernières années et la politique menée par Manuel Valls ? Loin de rechercher « l’égalité à travers le redistribution » c’est une redistribution des richesses à l’envers, des salariés, des chômeurs, des jeunes, des retraités, des familles vers les grandes sociétés, que nous subissons depuis plus de 12 ans et que la politique de Manuel Valls ne cesse d’aggraver.

Contrairement à ce qu’affirme Manuel Valls, ce n’est pas l’augmentation des dépenses qui a provoqué l’augmentation de la dette publique

Les dépenses publiques n’ont que très légèrement augmenté, en pourcentage du PIB, du fait de la crise économique provoquée par l’éclatement de la bulle financière, en 2007-2008. Sans cette légère augmentation, la crise économique aurait été beaucoup plus grave et la dette publique encore plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui.

C’est la baisse continue depuis plus de 15 ans des impôts des riches et des sociétés qui est à l’origine de l’augmentation de la dette publique.

C’est grâce à l’« optimisation » fiscale qui coûte 80 milliards d’euros, chaque année, aux finances publiques.

Grâce, aussi, aux niches fiscales accordées aux grandes entreprises car, contrairement au 9ème engagement de François Hollande, les plus importantes niches fiscales des sociétés n’ont pas été remises en question. Elles représentent pourtant des manques à gagner d’une ampleur considérable pour les finances publiques[1] : 34 milliards d’euros (en 2009) pour le « régime des sociétés mères-filiales » ; 18 milliards d’euros pour le « régime d’intégration fiscale »… Pire, le « pacte de compétitivité » de Jean-Marc Ayrault et le « pacte de responsabilité » de Manuel Valls ont créé une nouvelle niche fiscale et sociale (exonérations de cotisations sociales pour les entreprises) de 41 milliards d’euros supplémentaires !

L’augmentation de la TVA (l’impôt le plus injuste) à la fin de 2012, participe, elle aussi, de cette redistribution fiscale à l’envers.

Quant à la rente, dont Manuel Valls, se prétend l’ennemi, elle n’a jamais été aussi prospère

L’Etat a versé 52 milliards d’euros (le 2ème budget de l’Etat), en 2014, pour payer les intérêts d’une dette publique qui est le produit de la baisse des impôts des riches et des sociétés.

L’Etat a dû emprunter aux rentiers ce que les riches et les sociétés (souvent les mêmes que les rentiers) ne payaient plus sous forme d’impôt. L’Etat doit maintenant payer les intérêts de ces emprunts. L’Etat a donc, en toute connaissance de cause, perdu sur tous les tableaux !

Il est évident que « penser l’égalité » à travers une telle redistribution fiscale à l’envers ne pouvait mener qu’à « l’impasse stratégique » évoquée par Manuel Valls.

2ème affirmation : « Il nous faut intervenir en amont, prévenir les inégalités plutôt que nous contenter de les corriger, toujours en retard et souvent à la marge »

Là encore, pourquoi pas ? C’est d’ailleurs ce que propose le véritable créateur du concept de « pré-distribution », l’universitaire de Yale, Jacob Hacker[2]. Mais en quoi la politique de Manuel Valls a-t-elle quelque chose à voir avec les propositions de cet universitaire : « une meilleure régulation financière, un contrôle accru des salariés sur la gouvernance des entreprises, des droits sociaux pour les travailleurs, le plein emploi.. »

La politique menée par Manuel Valls est à l’exact opposé de ces préconisations

A cause de l’intervention du gouvernement français, la taxe européenne sur les transactions financières a été vidée de son contenu. La loi bancaire ne cantonne que 1,5 % de l’activité des banques dans des filiales spéculatives. Voilà pour la « régulation financière » !

Le chômage ne cesse d’augmenter du fait des politiques d’austérité et de « réformes structurelles ». Manuel Valls n’est pas vraiment, non plus, en première ligne pour exiger que le plein emploi soit le principal objectif de la Banque centrale européenne.

Ce n’est pas la désignation de deux représentants des salariés dans 229 entreprises de plus de 5 000 salariés, prévue par la loi Sapin de juin 2013, qui changera quoi que ce soit à la « gouvernance » des entreprises. Le projet de loi Macron prévoit, d’ailleurs, de réduire le rôle des instances représentatives du personnel et donc le « contrôle des salariés ».

La loi Macron, après toutes les concessions déjà faites au Medef par la loi Sapin de juin 2013, s’attaque de nouveau aux droits sociaux des salariés du secteur privé : nouvelle facilitation des licenciements ; augmentation des possibilités de faire travailler des salariés le dimanche ou la nuit, sans aucune contrepartie prévue par la loi ; mise à mal de l’indépendance de l’inspection du Travail et des tribunaux prud’homaux…

Si Manuel Valls ne se payait pas seulement de mots, il prendrait, comme il le prétend, la question de l’égalité à la racine

Il s’attaquerait à la répartition primaire des revenus entre salaires et profits. Il rétablirait ce qu’était cette répartition avant que la politique néolibérale ne permette aux profits, entre 1983 et 1989, de gagner 9 points de la richesse nationale annuelle (180 milliards d’euros en 2014) aux dépens des salaires et de les conserver, vaille que vaille, depuis.

3ème affirmation : « L’égalité, c’est bien sûr corriger. Mais c’est aussi, et je dirais surtout, donner à chacun les mêmes chances »

L’égalité des chances est une notion de droite. Ce qui est de gauche, c’est l’égalité des droits.

L’égalité des droits

L’égalité des droits, c’est le droit à un travail et à un salaire décent, le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes, le droit à un véritable logement, le droit à un accueil décent pour tous les immigrés, le droit à l’égalité entre les territoires, le droit à un travail stable, le droit à une retraite qui ne se réduise plus comme une peau de chagrin, le droit à l’égalité des soins, le droit à des services publics de qualité, le droit à l’enseignement…

Des droits qui ne doivent pas rester formels mais qui doivent s’exercer concrètement. Le droit à l’enseignement, par exemple, exige que des moyens supplémentaires considérables soient mis en œuvre pour permettre à des jeunes issus de milieux défavorisés de suivre le même cursus scolaire que ceux qui sont issus de milieux où le capital culturel est bien plus important. Le contraire de la politique des « pôles d’excellence ».

L’égalité des chances

L’égalité des chances, c’est considérer qu’une fois que tout le monde a été mis sur la même ligne de départ, l’égalité est réalisée. Qu’importe si certains ont un handicap de 100 kilos sur les épaules ou s’ils doivent emprunter des chemins infiniment plus difficiles !

L’égalité des chances, c’est ce que préconise, par exemple, le projet de loi Macron pour que chacun ait les mêmes « chances » de pouvoir voyager : ceux qui en ont les moyens voyageront en TGV, en 1ère ou en 2ème classe. Pour ceux qui n’ont pas ces moyens, le projet de loi réintroduit la 3ème classe : les voyages en autocar, sans souci du confort, de la rapidité, de la pollution ou des accidents de la route.

La seule politique d’égalité dans ce domaine est une politique de gauche qui permette à chacun de voyager dans le confort et la sécurité à des prix abordables. Cette recherche de l’égalité dans le transport en commun exige l’arrêt de la privatisation larvée de la SNCF, de sa mise en concurrence avec un secteur privé qui n’a qu’un unique objectif, le profit. Seule la redistribution, grâce à l’impôt, peut assurer l’égalité en assurant des transports en commun à des prix qui soient à la portée de tous.

L’utilisation de la notion de « pré-distribution » a une double utilité pour Manuel Valls

Elle lui permet, tout d’abord, de continuer la redistribution des richesses à l’envers en prétendant que la redistribution des richesses à l’endroit, des riches et des sociétés vers les salariés, les retraités, les jeunes, les chômeurs et les pauvres, ne permettrait pas de faire reculer les inégalités.

Elle ne l’engage, ensuite, à strictement rien de concret en termes de « pré-distribution ». La seule proposition de Manuel Valls est un « compte social universel qui rassemblerait pour chaque individu l’ensemble des droits portables destinés à sécuriser son parcours professionnel ». » Nul doute qu’un tel compte connaîtrait le sort réservé au « compte pénibilité ». Ce dernier, adopté en contrepartie de l’allongement de six mois de la durée de cotisation pour la retraite, est progressivement vidé de tout contenu par le gouvernement de Manuel Valls, sous la pression du Medef. Le « compte social universel » de Manuel Valls revient, à demander aux salariés de lâcher la proie pour l’ombre.

Ce détournement de la notion de « pré-distribution » n’est en fin de compte, pour Manuel Valls, qu’un très vague habillage prétendument « de gauche » pour masquer la politique néolibérale menée par son gouvernement.

[1] Assemblée nationale – Rapport d’information déposé par la Commission des Finances, présenté par M. Gilles Carrez, rapporteur général, député, 30 juin 2010.


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