Le pape devant le Parlement européen

jeudi 27 novembre 2014.
 

« Lettre ouverte à Monsieur le Pape »

Je ne suis pas d’accord, vous venez de le lire. J’estime que le Parlement n’est pas le lieu d’un prêche, quel qu’il soit. Je suis le défenseur d’une séparation absolue des Églises et de l’Etat. Dès l’annonce en septembre de cette visite, j’ai exprimé ma vive désapprobation. Peu après la publication de mon communiqué sur le sujet, nous avons appris du Président du Parlement Martin Schulz que le pape était invité « en tant que chef d’État ». Ce statut est souvent utilisé par les papes pour permettre à l’Église catholique d’être représentée en tant que telle dans les débats d’institutions internationales : le Vatican serait un État. Le Vatican est un quartier de Rome, rien de plus, cédé au pape comme une ultime survivance du Moyen Âge et de l’opposition obstinée de la papauté à l’unité italienne. Depuis sa première réplique, le président du Parlement européen a changé son fusil d’épaule. Il a invité le pape comme « sont invités d’autres personnalités religieuses tel le Dalaï Lama ou le mufti de Damas ». Pour ce socialiste allemand, ce serait là une sorte d’excuse. Comme si le problème était la religion concernée. Comme si le problème était je ne sais quel devoir d’égalité de traitement entre les chefs religieux. Issu d’un pays où la séparation de l’Église et de l’État n’a jamais eu lieu, Martin Schulz ne comprend même pas de quoi nous parlons. Inutile de dire qu’il n’est pas le seul dans cet hémicycle. Mais supposons un instant que nous acceptions cet argument. Avons-nous affaire à un simple prédicateur dont l’autorité morale est reconnue par plusieurs milliards de croyants qui appliquent les préceptes et injonctions qu’il formule ? Pas seulement !

Les papes sont les chefs d’un parti-pris mondial qui agit de façon militante coordonnée pour faire entrer dans la loi civile les vérités révélées dont il se déclare le dépositaire ! Ce parti-pris conduit les églises catholiques à militer ardemment contre le droit à l’avortement, la contraception et même l’usage des préservatifs. Et de même contre le mariage pour tous sous toutes les latitudes. C’est son droit, quand bien même nous savons à quels horribles désastres humains ce type de prescriptions conduit. Quand des lois humanistes et égalitaires sur ce sujet sont adoptées, l’Église combat pour leur retrait. Quand elles n’y sont pas, elle milite pour le durcissement de la répression et des interdits. On l’a bien vu là où l’avortement, est déjà interdit et où l’Église a milité pour que cette obligation soit étendue jusqu’au cas où la vie de la mère serait en danger ! En Argentine même, patrie du pape actuel, l’Église a milité dans un cas, exceptionnel par son retentissement, pour obliger une mineure à mener à terme une grossesse issue d’un viol. Et ce pape n’est nullement en retrait sur le sujet. La dernière fois où il avait reçu des eurodéputés au Vatican, c’était en 2013 pour organiser le rejet par la droite et l’extrême droite d’un rapport sur les droits des femmes. L’intervention néfaste du Pape sur ce dossier fut décisive car ce rapport fut rejeté à 7 voix près. Récemment devant une assemblée de médecins catholiques, il les a incités à refuser l’accès aux droits que la loi reconnait en matière de droit à l’avortement. « Il n’est pas licite de rejeter une vie humaine pour résoudre un problème », a-t-il dit. Puis il a invité les médecins catholiques à faire des « choix courageux et à contre-courant », en vertu de « l’objection de conscience ». Refuser la loi au nom d’une religion, c’est dire que les injonctions de cette religion s’appliquent à toute la société.

C’est donc ce chef religieux là, porteur de ce message et de cette action dans le monde entier, qui est reçu au Parlement européen pour intervenir devant les députés. Pour moi, ce n’est pas le pape lui-même ou sa fonction et encore moins ce qu’il peut représenter pour les fidèles de l’Église catholique qui sont en cause. Je proteste contre le rôle politique et institutionnel qui lui est reconnu à cette occasion. Le socialiste Martin Schulz a satisfait une revendication constante de la papauté. En octobre 1988, Jean-Paul II avait en effet plaidé devant les eurodéputés pour un retour de l’Église dans les affaires publiques européennes et pour fonder la loi sur « une norme transcendante du vrai et du juste ». Vieille obsession. Robert Schuman, l’un des prétendus « pères de l’Europe » n’avait-il pas annoncé dès les années 1950 que la démocratie européenne serait "chrétienne ou ne serait pas".

Cette nouvelle réception du pape se déroule donc dans des conditions qui sont une forme de reconnaissance de l’Église comme puissance souveraine dans l’espace public européen. Car le pape rencontrera aussi en effet le président en exercice de l’UE, le Premier ministre italien Matteo Renzi, le Président de la Commission européenne Jean Claude Juncker et le président du Conseil européen Herman Van Rompuy. Toutes les institutions européennes sont donc mobilisées pour sa visite. L’Europe n’en fait pas tant pour beaucoup de chefs d’État ou de gouvernement. Au niveau du Parlement lui-même, sous l’impulsion du Président Schulz, la visite du pape est présentée comme un moment institutionnel majeur de la mandature. Schulz s’est rendu deux fois au Vatican pour préparer personnellement cette visite, en 2013 et en octobre 2014. Le nonce apostolique est l’invité de la semaine de la chaîne parlementaire européenne. Et la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères Frederica Mogherina a tenu cette semaine au Parlement une réunion sur la paix avec un ministre du pape, le cardinal Basseti. On ne peut mieux mettre en scène et illustrer le rôle politique et institutionnel accordé à l’Église par l’Union européenne.

Reste à citer, pour le comique de situation, les inconvénients pratiques de cette visite. Les fonctionnaires et assistants ne pourront plus entrer dans le Parlement après 8h30 du matin le jour de la venue du pape. Les votes prévus ce jour-là ont été annulés. Puis rétablis. Puis rendus fort problématiques. En effet, obligation est faite aux collaborateurs des groupes politiques d’évacuer leurs bureaux dès 10 heures et demie. Le travail parlementaire est donc suspendu toute une journée, sur les 4 que compte une session, pour accueillir un chef religieux. Le Parlement tout entier clapote dans une ambiance de fête diocésaine. Des circulaires spéciales ont été adressées par les services du Parlement à tous les députés et personnels pour leur exposer les modalités de la visite de « Sa Sainteté ». La reprise de cette phraséologie par les services du Parlement est révélatrice. Une crise de bigoterie saisit la sphère européenne. Que font les défenseurs des droits des femmes, ceux de l’égalité en droit des personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle ? S’ils sont socialistes ils ne feront rien, comme d’habitude. Pour ma part, voici ce que je fais. Je m’oppose publiquement et j’explique pourquoi. Notamment en adressant ma lettre au pape. Mais je n’en reste pas à la nécessaire dénonciation des conditions politiques de cette visite. Je crois utile d’illustrer positivement et pédagogiquement la nécessité de la laïcité en Europe à cette occasion. C’est pour cela que j’organise le même jour au Parlement européen à Strasbourg une Initiative européenne pour la laïcité.

Y interviendra notamment Henri Pena-Ruiz, le philosophe. Il expliquera pourquoi l’intervention d’un chef religieux dans une assemblée parlementaire pose un problème de fonctionnement de la démocratie. Mais nous entendrons aussi la socialiste belge Véronique De Keyser qui a plaidé pendant 10 ans comme députée européenne pour une séparation du religieux et des institutions européennes. L’eurodéputée espagnole Marina Albiol nous éclairera sur la gravité de l’offensive politique menée par l’Église en Espagne au détriment de droits humains fondamentaux, en particulier des femmes. Enfin, le président de la Fédération Humaniste européenne, Pierre Galand, présentera des pistes pour mieux défendre la laïcité en Europe. La lutte continue.


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