Etat turc assassin !

lundi 17 novembre 2014.
 

L’Etat turc et ses gendarmes ont laissé passer des milliers de djihadistes et d’armes en renfort de l’Etat islamique. Par contre, ils viennent d’assassiner par derrière une jeune femme sans arme de 28 ans qui venait de franchir la frontière syrienne pour participer à la défense de Kobané.

B) La dernière lettre de Kader Ortakaya

Quelques semaines avant d’être abattue par les gendarmes d’Erdogan, Kader Ortakaya, vingt-huit ans, avait écrit une lettre poignante à ses parents expliquant les enjeux de son engagement.

" Ma chère famille,

Je suis à Kobané. Cette guerre n’est pas seulement 
la guerre du peuple de Kobané mais une guerre qui nous concerne tous. Je rejoins ce combat pour ma famille bien-aimée et pour l’humanité. Si nous ne saisissons pas aujourd’hui que cette guerre est aussi la nôtre, alors, demain, nous serons seuls quand les bombes frapperont nos maisons. Gagner cette guerre signifie la victoire des pauvres et des exploités. 
Je crois pouvoir être plus utile en rejoignant cette guerre qu’en devenant une employée de bureau. Vous m’en voudrez probablement de vous rendre tristes, mais vous comprendrez tôt ou tard que j’ai raison.

Je souhaite à tous les peuples de vivre libres 
et égaux. Je ne souhaite à personne d’être exploité pendant toute une vie juste pour trouver un morceau de pain ou un abri. Pour que ces vœux deviennent réalité, il faut se battre, lutter. Je reviendrai quand
la guerre sera terminée et Kobané regagnée. Quand je rentrerai, s’il vous plaît, accueillez aussi mes amis. N’essayez pas de me trouver. Il est impossible 
de faire ça. Une des principales raisons pour laquelle je vous écris cette lettre est que je ne veux pas que vous fassiez des efforts pour me retrouver et que vous en souffriez. Si jamais quelque chose m’arrivait, soyez sûrs que vous en serez informés.

Si vous 
ne voulez pas que je sois emprisonnée et torturée, 
ne prévenez pas la police, ni aucune institution 
de l’État. Si vous faisiez cela, moi, vous et mes amis en souffririons. Ne dites pas, mêmes aux proches, que je suis allée à Kobané, ce qui m’évitera d’être jetée en prison à mon retour. Déchirez cette note après l’avoir lue. Si vous voulez faire quelque chose pour moi, soutenez ma lutte. Vous êtes restés silencieux devant les dysfonctionnements de l’État. Dites «  ça suffit  !  » que des gens soient tués dans les rues, qu’ils soient exposés aux bombes lacrymogènes comme cela s’est passé à Roboski. Je continuerais 
à participer aux manifestations et aux activités 
des associations si je vivais avec vous. Je vous confie ma lutte jusqu’à mon retour.

Je vous embrasse tous, ma mère, mon père et Ada, Deniz, Zelal et Mahir qui va bientôt naître. Une pensée particulière pour mon frère Kadri. Il agira comme il lui convient. Je vous embrasse tous avec mes sentiments révolutionnaires. Le téléphone était un cadeau de mon frère. Il y a une photo de nous à l’intérieur. J’envoie ma carte d’étudiante à ma mère (…)

Je vous adore tous. Au revoir pour l’instant" .

A) La faute de Kader Ortakaya, défendre Kobané

La jeune femme a été tuée par l’armée turque alors qu’elle tentait 
de rejoindre la ville assiégée. Les députés du HDP dénoncent l’attitude des autorités qui laissent passer les djihadistes et font tirer sur ceux 
qui manifestent leur solidarité avec les résistants kurdes.

Elle avait vingt-huit ans. Elle s’appelait Kader Ortakaya. Elle rêvait d’un monde de paix, de liberté, de justice sociale. Kurde de Turquie, elle n’a jamais accepté l’injustice faite à son peuple, la répression policière, les arrestations, les tortures. Jeune femme engagée, elle se démenait sans compter pour soutenir la résistance de Kobané face aux obscurantistes, aux barbares de l’organisation de l’« État islamique ». Depuis près d’un mois, avec d’autres membres de son mouvement, le Parti de l’initiative pour la liberté sociale (TÖPG), elle se trouvait dans le village de Mahser, à la frontière entre la Turquie et la Syrie, à une portée de pierres de Kobané. Une veille active qui visait à empêcher toute tentative de passage des éléments de l’« État islamique » dans cette zone et à développer la solidarité avec ses soeurs et ses frères kurdes de l’autre côté de cette ligne de partage tracée par les colonisateurs français et britanniques il y a un siècle et qui a divisé les populations. Jeudi, sa vie s’est arrêtée. Avec un groupe de jeunes elle a tenté de franchir pacifiquement cette frontière. L’armée turque, qui n’a pas un geste pour arrêter l’afflux de djihadistes, a ouvert le feu. Ortakaya est tombée, le crâne transpercé par une balle alors que son regard était tourné vers Kobané.

Depuis plus d’un mois, le village de Mahser est devenu le lieu de rassemblement de tous ceux qui veulent apporter leur solidarité à la résistance kurde de Kobané. Du matin au soir et toutes les nuits, ils sont des dizaines à veiller pour être certains que cette zone, qui jouxte la partie orientale de la ville où sont concentrés les islamistes, ne serve pas de point de passage pour l’arrivée de nouveaux djihadistes ou de transport d’armes. Une vigilance de tous les instants qui permet également d’alerter de tout mouvement suspect les Unités de protection du peuple kurde (YPG) qui tiennent en échec les sinistres troupes de l’organisation de l’« État islamique » depuis plus de cinquante-six jours. Kader Ortakaya, délaissant ses études, elle qui préparait un master à l’université de Marmara (Istanbul) après avoir décroché un diplôme en sociologie, s’est rendue à Mahser il y a près d’un mois et n’en a plus bougé. Pour elle, cet engagement était en droite ligne de toutes les actions auxquelles elle avait participé les années précédentes, notamment autour de la question du droit des femmes. Lorsque l’« État islamique » a commencé à attaquer Kobané et qu’elle a appris qu’un mouvement de solidarité se développait, elle a fait son sac et, avec ses camarades du Parti de l’initiative pour la liberté sociale (TÖPG), a mis toutes ses forces dans cette bataille. Le 1er novembre, elle participait, à Mahser, au rassemblement organisé pour la journée de solidarité avec Kobané. «  Si nous ne saisissons pas aujourd’hui que cette guerre est aussi la nôtre, alors, demain, nous serons seuls quand les bombes frapperont nos maisons  », a-t-elle écrit à ses parents dans une lettre (lire ci-contre) écrite peu avant de tenter de joindre Kobané. Le 6 novembre, avec une cinquantaine d’autres personnes, Kader se rend plus à l’ouest, à hauteur du Tell Chahir, une zone contrôlée par l’YPG. Au même endroit, ce même jour, une délégation de députés kurdes du HDP (Parti des peuples démocratiques), accompagnée de manifestants, a convoqué la presse pour dénoncer la situation des familles bloquées à la frontière, empêchées d’entrer en Turquie, et soumises à tous les dangers. Le lendemain, d’ailleurs, cinq obus de mortiers se sont abattus sur la zone, tuant trois personnes, dont un bébé, et faisant plusieurs blessés. Mehmet, un comédien turc qui préfère cacher sa véritable identité pour d’évidentes raisons de sécurité, était là. Il raconte. «  Les militaires turcs nous empêchaient d’approcher la clôture à la frontière. Aysel Tugluk, députée, a alors parlementé avec eux. Ils ont donné leur accord, juste pour cinq minutes. Mais ils ont commencé à tirer des grenades lacrymogènes. C’est à ce moment-là que le groupe dans lequel se trouvait Kader Ortakaya, profitant de la confusion, a franchi la frontière. Ils étaient déjà de l’autre côté lorsque l’armée a commencé à tirer. J’ai vu Kader tomber. Ils ont visé spécialement cette fille. Ses amis l’ont alors transportée comme ils le pouvaient. On les a vus disparaître derrière la colline, le Tell Chahir  ». Gravement blessée, la jeune femme est morte à l’hôpital de Kobané, cette ville que tous les Kurdes appellent maintenant «  le nouveau Stalingrad  ».

C’étaient des civils. Elle a été clairement exécutée.  » Si l’on parle beaucoup du siège de Kobané par les islamistes, on oublie trop que l’attitude du gouvernement turc est une aide précieuse pour l’« État islamique ». Depuis des mois, les djihadistes passent sans encombre la frontière turque pour aller se battre. On a même vu récemment des soldats et des hommes de «  l’État islamique  » se saluer joyeusement de part et d’autre de la frontière. Mais les ordres du président turc, Recep Erdogan, s’agissant de tous ceux qui veulent se rendre aux côtés des résistants kurdes, ne sont pas les mêmes. Pas de salut pour eux, mais des gaz lacrymogènes, des coups de matraque, voire des balles. «  Ceux qui résistent contre l’“État islamique” à Kobané et ceux qui les soutiennent sont fréquemment l’objet d’attaques de la part de la police et de l’armée qui sèment la terreur  », dénonce Ibrahim Ayhan.

Le député, avec son collègue Faysal  Sariyildiz, également du HDP, a déposé une question écrite au Parlement. Ils demandent au premier ministre, Ahmet Davutoglu, et au ministre de l’Intérieur, Efkan Ala, des éclaircissements sur le meurtre de Kader Ortakaya. Faysal Sariyildiz précise que des douzaines de personnes ont été tuées à la frontière et qu’en moyenne, la police spéciale tue par balle une personne par semaine. Pour ce parlementaire, l’absence de réelles investigations sur ces morts et l’impunité dont bénéficient ses auteurs montrent que ces assassinats relèvent de motivations politiques. Il demande l’ouverture d’une enquête criminelle et l’inculpation des responsables. S’adressant directement au ministre de l’Intérieur, il a demandé  : «  Depuis que votre gouvernement est au pouvoir, combien de personnes ont-elles été tuées à la frontière  ? Est-ce que des membres de l’“État islamique” ont été tués, blessés ou arrêtés alors qu’ils passaient la frontière à Hatay, Kilis et Urfa  ? Combien de membres de l’“État islamique” sont en prison et combien ont été libérés  ?  » Ibrahim Ayhan a également interpellé le premier ministre turc. «  Comment expliquez-vous le manque total de mesures de sécurité dans les zones frontalières contrôlées par l’“État islamique” alors que des mesures drastiques sont prises dans les zones contrôlées par les YPG  ? interroge-t-il. Est-ce que les forces de sécurité à la frontière considèrent les citoyens participant à des manifestations démocratiques à la frontière comme plus dangereux que les terroristes de l’“État islamique”  ?  » Kader Ortakaya a été enterrée à Istanbul. Après une minute de silence à sa mémoire, Meral, l’un de ses camarades, a promis de poursuivre la lutte. Tous ont juré que Kader ne serait pas morte pour rien. Comme elle, des centaines de femmes d’un côté et de l’autre de cette frontière. Vendredi, à Suruç, des centaines de personnes ont ainsi accompagné au cimetière des martyrs les dépouilles de Perwin Mustafa Dihap, dix-neuf ans, et Emina Mahmoud, vingt-deux ans, deux combattantes des YPJ (les unités féminines de protection), tombées les armes à la main pour que Kobané ne bascule pas dans les griffes de l’« État islamique ». «  Bien que très jeune, elle était forte et brave  », a dit le frère de Perwin, un portrait dans les mains sur lequel on la voit en uniforme, sourire aux lèvres, une mèche rebelle barrant son front. Deux femmes parmi ces centaines d’autres qui préfèrent mourir plutôt que céder à la barbarie. «  Si vous voulez faire quelque chose pour moi, soutenez ma lutte  », demandait Kader à sa famille, elle qui ne souhaitait «  à personne d’être exploité pendant toute une vie juste pour trouver un morceau de pain ou un abri.  » Un vœu qui semble s’adresser au monde entier.

Pierre Barbancey


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