Les communes françaises sont-elles menacées de disparition  ? Austérité, technostructure, réforme territoriale…

dimanche 22 mars 2015.
 

Née de la Révolution française. C’est la loi du 14 décembre 1789 qui a érigé en communes «  toutes les communautés d’habitants  » (paroisses, villages, bourgs, villes) existant au moment 
de la Révolution française. Les communes connaissent une organisation administrative unique, quelle que soit leur taille. Depuis 1884, elles sont gérées par le conseil municipal et par le maire. Conseil élu au suffrage universel direct, maire élu par et parmi le conseil.

A) "La commune 
est une idée d’avenir"

par André Laignel, maire d’Issoudun (PS), premier 
vice-président délégué 
de l’Association des maires 
de France

Le fait qu’on pose la question – inimaginable il y a encore peu de temps – est déjà significatif. Il est vrai que fleurissent ­régulièrement de véritables campagnes de dénigrement qui conduisent légitimement à s’interroger sur leur avenir.

Je ne crois pas à la disparition des communes, mais leur affaiblissement, voire leur dilution, est en germe dans plusieurs projets actuellement en débat qui privilégient le duo région-intercommunalité au détriment du département et de la commune. En ce sens, la réforme territoriale et l’avenir de nos finances nourrissent les interrogations et ­inquiétudes de beaucoup d’élus et de citoyens.

L’actuel projet de réforme territoriale porte de graves dangers pour nos communes, le principal étant, pour reprendre la malheureuse expression de monsieur Balladur, celui de leur «  évaporation  ». Cela se traduit par une série de mesures visant à substituer l’intercommunalité à l’échelon communal  : transfert obligatoire de compétences  ; suppression de la libre définition de l’intérêt communautaire par les communes  ; extension à 20 000 habitants du seuil minimum et élection au suffrage universel des ­intercommunalités, les transformant ainsi en collectivités territoriales, ce qui mettrait évidemment en danger l’existence même des communes.

Je suis convaincu de la nécessité de la coopération intercommunale, mais elle doit rester un outil au service des communes et non l’instrument de leur extinction.

L’autre inquiétude, c’est le risque d’étouffement financier, de paralysie de l’action. Engagée il y a plusieurs années par la suppression brutale de la taxe professionnelle, le gel des dotations puis leur baisse, la capacité d’action des communes est largement compromise. Chacun a conscience que l’état financier de la France, hérité des gestions précédentes, nécessite des efforts. Encore faut-il que les économies soient supportables, négociées et non imposées. 11 milliards de baisses de dotations sur les trois ans à venir, alors que les charges obligatoires et les besoins des habitants ne cessent d’augmenter, ne mettront pas seulement à mal nos collectivités, mais aussi le modèle social de notre pays. Comment répondre aux appels en faveur de la ­refondation de l’école, du logement, de la petite enfance, de la transition énergétique… – toutes politiques que je soutiens – alors que les moyens nous sont soustraits  ? Comment ne pas mettre en panne les investissements, alors qu’ils sont la plus immédiate variable d’ajustement  ? Mais surtout, on a le sentiment que ce resserrement des dotations est aussi un moyen de contraindre par la pénurie. La tentation semble forte de maintenir le maire – difficile à supprimer alors qu’il est le seul élu qui ait encore très majoritairement les faveurs des Français – mais de le priver du pouvoir d’agir. Ce serait inacceptable alors que nos communes ont un rôle toujours plus essentiel dans la mise en œuvre des politiques de proximité et qu’elles sont de plus en plus souvent le premier recours et le dernier espoir de nos concitoyens dans la difficulté. Dans ces temps où les citoyens doutent, où le recul démocratique est inquiétant, la commune et son maire doivent être confortés et même renforcés dans leur mission de solidarité et de citoyenneté.

J’ai la conviction que, face aux difficultés graves que traverse le pays, lutter pour le maintien de la ­Commune, affirmer sa modernité, ne va pas tarder à apparaître – ce n’est pas le moindre paradoxe – comme un acte d’audace et de courage. Soyons en tête de ce combat  : la commune est une idée d’avenir  !

B) "Un outil qui revivifie la
 société au plus près des gens"

par Patrice Leclerc, maire PCF de Gennevilliers et conseiller général

Si les communes ne sont pas vouées à disparaître, tout est fait pour que cela se fasse. Je pense qu’il y a une convergence d’analyse entre les libéraux et les sociaux-libéraux  : pour eux, la ­commune n’est pas adaptée à ­l’Europe, elle est un frein au détournement de l’argent public vers la spéculation financière. La commune est aussi le lieu de proximité échappant au bipartisme en permettant des expérimentations politiques en proximité. Elle est un enjeu stratégique car la ville, le territoire, est devenue l’espace de socialisation de la majorité de la population, rôle que tenait au XXe siècle l’entreprise. En fait, deux conceptions s’affrontent aujourd’hui  : le libéralisme «  austéritaire  » et le «  commune-isme  ». Une conception de la société par le haut, dirigée par des élus appuyés par la technostructure, mettant en place des gouvernances, travaillant le consensus et la dépolitisation. De l’autre côté, la ­volonté de faire société du bas vers le haut, de développer les coopérations dans un mode de gouvernement où le conflit est le moteur de la construction de l’en-commun.

Bien sûr aujourd’hui, la commune ne doit pas être regardée comme un territoire replié sur lui-même. L’évolution des modes de vie des habitants les amène bien au-delà de leur commune – là où ils travaillent, étudient, se cultivent, consomment… Mais cet ancrage institutionnel et politique, historique, peut être ce lieu ouvert sur des coopérations entre villes, entre territoires. Ces coopérations peuvent être débattues à l’échelle locale pour confronter des projets stratégiques pour la vie des habitants. C’est la raison pour laquelle je partage une conception de la métropole du Grand Paris comme étant une coopérative de communes et non une superstructure centralisatrice qui ôte aux communes leur pouvoir de décision et d’intervention. L’État doit aussi pouvoir intervenir, il est certainement le seul légitime pour contraindre des communes, dont les habitants auraient choisi l’égoïsme de classe, à partager l’effort collectif sur des questions comme le manque de logements sociaux… Le déséquilibre entre un Ouest parisien avec Paris, très riches en emplois, et des communes pauvres en entreprises nécessite aussi des réponses stratégiques élaborées à l’échelle métropolitaine.

La commune doit participer grâce à ses élus délégués dans les territoires et dans la métropole aux décisions stratégiques sur les enjeux de développement général, et elle doit continuer tout ce qui se gère dans la proximité, et qui est une garantie de qualité dans la mise en œuvre des politiques publiques. Cela appelle évidemment des moyens financiers à la hauteur des besoins humains. Une réforme profonde de la fiscalité locale est indispensable. Les communes qui ont de faibles ressources et d’importants besoins sociaux ne se suffiront pas d’une péréquation sur des dotations d’austérité à l’échelle métropolitaine.

Maires et équipes municipales sont des élus de terrain, qui connaissent concrètement le vécu des habitants. À l’heure d’une crise politique sans précédent, c’est plutôt de nouveaux souffles que nous devons donner aux relations entre élus et habitants, entre habitants, pour reconstruire de la confiance. Et c’est avant tout dans la proximité et la régularité que ce dialogue peut se construire, s’organiser dans la commune, même pour des sujets qui la dépassent. La commune devrait permettre d’expérimenter des pratiques de construction de communs pour développer des conduites coopératives.

Notre défi de communistes est aussi de prouver que cette institution, avec notre originalité de gestion, est un outil pour revivifier la société par le développement de pratiques collectives, coopératives, démocratiques répondant aux enjeux de notre époque.

C) "Le « fait communal », vivant et actif, résistera"

par Philippe Laurent, maire de Sceaux, vice-président de l’AMF

La commune est une institution. En ce sens, et comme toute construction juridique, cette institution pourrait être amenée à disparaître si ceux qui en détiennent la capacité légale le décidaient. En revanche, si on se place du point de vue de la philosophie – dimension majeure de la démarche politique – et des valeurs républicaines de «  liberté, égalité, fraternité  », il semble que le «  fait communal  », lui, soit à même de résister pratiquement à tout.

Liberté, celle de décider de choix d’organisations, de politiques publiques, à un niveau où chacun peut en apprécier les effets sur sa vie quotidienne et la perception de son avenir, qu’il s’agisse d’éducation, de culture, de solidarité, de loisirs, de qualité de vie, de développement économique et social. Égalité, dans la capacité à permettre un accès universel aux services publics de proximité, dans le fait aussi que, localement, l’effet statistique de masse s’estompe et que chaque voix, d’une certaine manière, «  compte  » davantage. Fraternité, dans cette solidarité du quotidien, qui vient ajouter à l’octroi «  mécanique  » de prestations, nécessaires, par l’accompagnement, le lien social, les pratiques inclusives, non moins indispensables à l’épanouissement de tous. Où donc mieux que dans le fait communal, une organisation qui a fait la preuve de son efficacité, ces valeurs républicaines, plus que jamais universelles, peuvent-elles trouver à s’incarner  ?

En France, sans doute plus que partout ailleurs, le fait communal reste profondément ancré dans la culture nationale. Et le maire, qui en est l’incarnation auprès des citoyens, reste encore ce «  héros du quotidien  » qui, en tout cas beaucoup le pensent, peut améliorer l’ordinaire de tous les jours. Malgré les tentatives incessantes pour éradiquer le fait communal, sous couvert de ­rationalisation et d’économies supposées, le fait communal résistera. Car il vient de loin  ! Les cités grecques ont inventé la démocratie municipale avant même que la notion d’État n’apparaisse. L’émergence de villes franches au Moyen Âge, disposant d’une autonomie concédée par le souverain, témoigne aussi de ce besoin et de cette revendication de pouvoir gouverner le territoire dans la proximité, en fixant des règles localement consenties et en générant librement les ressources affectées au financement des services communs. Rien ne change vraiment dans les aspirations profondes des hommes et des sociétés qu’ils construisent. En France en particulier, la commune garde à la fois la symbolique et la réalité de cet attachement aux libertés locales. Le maire représente non seulement la population, mais aussi le territoire, occupé de longue date par les hommes, qui font de leur enracinement une force. L’État doit y rester le garant du fait communal. Cette relation particulière entre le maire et l’État, le premier détenant des compétences propres dévolues par le second, est originale, même si l’évolution récente de la sociologie politique, qui voit les élus issus des appareils de partis prendre du poids à la faveur de la crise des finances publiques et avec le soutien de la haute administration, rend plus ambiguë l’attitude de l’État.

Par expérience à la fois d’acteur et d’observateur du monde public depuis plus de trente ans, je suis plus que jamais convaincu que la France a besoin d’un fait communal vivant et actif, et que les Français ont besoin de leurs maires, de leur engagement, de la modernité de leur action au service de leurs concitoyens et de leur territoire, et, aussi, de leur fierté de continuer à écrire ainsi une «  histoire française  ». Et je me battrai, avec beaucoup d’autres, pour cela.


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