L’école de la République a-t-elle les moyens de lutter contre les inégalités ?

samedi 25 octobre 2014.
 

"Dans une école de la compétition, ce sont toujours les mêmes qui gagnent…"

Paul Raoult Président de la Fédération des conseils de parents d’élèves

Outre la question des nouveaux temps scolaires, les débats éducatifs de cette rentrée se concentreront sur les effectifs dans les classes. La ministre rappellera l’importance de la création de 60 000 nouveaux postes d’ici à 2017. Les syndicats y opposeront des effectifs trop importants dans les classes dus à la hausse démographique, ou les élèves sans enseignants faute de remplaçants…

Et les débats continueront de tourner en rond sur cette question des moyens, qui, si elle est très importante, ne suffit pas à expliquer les difficultés de l’école à faire réussir tous les élèves.

Pour nous, réduire les inégalités à l’école ne se résume pas au nombre d’élèves par classe. Il s’agit aussi de changer en profondeur les mentalités, les pratiques et un système conçu pour les quelques élèves qui rentrent dans le moule. Notre école reste très élitiste. Elle est avant tout fondée sur la note chiffrée, la moyenne générale, le classement des élèves. C’est une course à la performance organisée dès le plus jeune âge, où l’on apprend que pour réussir, il ne faut pas tant progresser soi-même qu’être meilleur que l’autre !

Comment s’étonner ensuite de l’individualisme et du manque de solidarité qui règnent dans notre société ? En outre, cela explique aussi le succès rencontré par les officines de coaching ou de cours privés. Puisque, dans ce système, il faut être meilleur que les autres, les plus visés financent sur leurs propres deniers un supplément d’école à leurs enfants.

Or, cette école échoue. 150 000 jeunes sortent chaque année du système sans diplômes, l’objectif fixé en 1985 d’amener 80 % d’une classe d’âge au bac n’est toujours pas atteint (77,3 % en 2014) et, parmi ceux-là, seule la moitié est ensuite diplômée du supérieur (43,6 % en 2012). En outre, le système ne fait que reproduire des inégalités criantes : quand les enfants de cadres ou d’enseignants sont 76 % à obtenir au minimum un bac+2, ils ne sont que 20 % parmi les enfants d’ouvriers ! Il s’agit là de la conséquence de la sélection qui s’opère année après année. En jouant la carte de l’élitisme, l’éducation nationale choisit la facilité : il est bien plus difficile d’organiser la réussite de tous que de faire la promotion des meilleurs ! Il faut désormais passer à un modèle qui a pour priorité la réussite de tous, donc construire une école moins sélective et plus coopérative. Cela passe d’abord par la suppression des notes chiffrées et plus encore des moyennes et des classements, surtout pour les plus jeunes. Les évaluations doivent devenir positives, marquer les réussites des élèves et les aider à progresser. Nous préconisons aussi la mise en place d’une pédagogie fondée sur la coopération entre les élèves avec des groupes de compétences où des élèves avec des niveaux différents se côtoient, donc en finir avec la compétition.

L’État doit enfin se donner une obligation de résultat vis-à-vis de ses jeunes avec l’acquisition par l’ensemble d’entre eux du nouveau socle commun. Celui-ci ne doit pas être un socle à deux vitesses qui privilégierait un haut niveau de culture pour un certain nombre, sans garantie pour tous. Il doit au contraire se concentrer sur l’acquisition par l’ensemble des élèves des compétences nécessaires à leur poursuite d’études et les préparer à leur vie d’adultes et de citoyens. C’est à ce prix et en poursuivant les investissements financiers que nous parviendrons à réduire les inégalités.

"Une indispensable mise en perspective historique"

Jérôme Krop Enseignant et historien

La question de l’égalité et des moyens d’y parvenir anime l’histoire de l’enseignement depuis que la IIIe République a fondé l’école comme service public en instaurant la gratuité de l’enseignement primaire et l’obligation scolaire. L’égalitarisme républicain consiste alors à garantir l’accès à un enseignement de qualité homogène sur l’ensemble du territoire. L’organisation pédagogique conçue à la fin du second Empire pour l’enseignement primaire du département de la Seine est généralisée. Reposant sur un principe méritocratique, elle tend à privilégier les conditions de scolarisation de ses meilleurs élèves. De plus, la séparation entre deux ordres d’enseignement socialement

et culturellement ségrégués n’est remise en cause qu’après la Première Guerre mondiale. Depuis le XIXe siècle, l’enseignement secondaire, dont la culture scolaire est alors largement fondée sur la culture classique gréco-latine, est totalement distinct de l’enseignement primaire destiné au peuple. Il recrute des enfants de la bourgeoisie qui représentent dans leur classe d’âge une petite minorité de bacheliers.

Dans l’entre-deux-guerres, Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, a conçu une première réforme d’ensemble visant à réorganiser l’enseignement en deux degrés successifs, permettant à tous les élèves d’accéder au même système scolaire, quelle que soit leur origine sociale. Ses projets n’ont pu aboutir, mais dans l’élan de la Libération et du programme du Conseil national

de la Résistance, la commission Langevin-Wallon a prolongé cette réflexion en proposant une véritable démocratisation scolaire pour donner les moyens à tous les élèves jusqu’à dix-huit ans de développer leur personnalité, tout en élevant le niveau d’instruction de l’ensemble de la population. Si la IVe République n’a pu mener de réformes importantes dans le contexte de guerre froide et de coûteuses guerres coloniales, la période suivante est marquée par la massification de l’enseignement secondaire à l’apogée de la forte croissance économique de la fin des années 1960 et du début des années 1970. En 1976, la loi Haby instaure le collège unique, sans toutefois concevoir un modèle pédagogique répondant véritablement aux difficultés des élèves issus d’un milieu populaire. Elle est prolongée dans les années 1980 par la politique visant à faire accéder 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, qui s’accompagne néanmoins à partir de 1982 de la mise en place de zones d’éducation prioritaire. Après 1989, la part des dépenses d’éducation dans le PIB augmente fortement, pour atteindre 7,6 % du PIB à la fin des années 1990.

En matière d’éducation comme ailleurs, la question des moyens ne peut être éludée. Alors que le taux d’accès au baccalauréat général stagne depuis 1995, la part du PIB consacrée à l’éducation est descendue sous la barre des 7 % depuis 2002, pour arriver en 2008 à son plus bas niveau depuis la fin des années 1980. Or, certaines évolutions récentes sont très inquiétantes. Les évaluations internationales telles que Pisa, quelles que soient les critiques dont elles font l’objet, de même que les études menées par le ministère de l’Éducation nationale, convergent sur le constat d’une aggravation des inégalités. Parmi les pays de l’OCDE, le système scolaire français est celui où l’origine sociale pèse le plus fortement. Ces études révèlent en particulier que l’écart entre les élèves des quartiers populaires et les autres est croissant. Aussi, un nouveau projet mobilisant l’ensemble de la société et disposant de moyens conséquents est indispensable pour que tous les enfants accèdent à un rapport lettré à la culture. Ce projet, il ne peut qu’avoir la lutte contre les inégalités comme principal objectif. Le défi sera de mettre en oeuvre des dispositifs pédagogiques adaptés aux besoins de tous, sans créer de nouvelles formes de ségrégations scolaires.

Jérôme Krop : Auteur de la Méritocratie républicaine. Élitisme et scolarisation de masse sous la IIIe République paru aux Presses universitaires de Rennes.

"On ne change pas l’école sans ceux qui la font vivre"

Sébastien Sihr Secrétaire général du SNUipp-FSU (enseignants du primaire)

Face aux inégalités de notre système éducatif qui, malgré de considérables progrès, laisse encore chaque année sur le bord du chemin plus de 150 000 jeunes sans qualification, notre école a besoin de transformations. C’est un fait indéniable qui doit s’accompagner d’un investissement budgétaire à la hauteur de cet enjeu démocratique.

Mais il ne s’agit pas de réformer n’importe comment ! Chacun sait bien qu’on n’améliorera pas nos résultats si on ne développe pas des politiques fortes, là où notamment se concentrent les difficultés scolaires et sociales. À ce titre, le nouveau plan pour l’éducation prioritaire annoncé pour la rentrée 2015 ne doit pas être un nouveau rendez-vous manqué. Or, dans ce domaine, trop de plans annoncés à grand renfort de trompettes médiatiques ont vu leurs ailes coupées en plein vol. Réduire l’échec scolaire ne s’obtient pas en un jour. Il serait donc temps de dégager enfin des priorités lisibles et cohérentes, de s’y tenir en s’appuyant sur des enseignants en quête de soutien et de considération.

C’est un défi majeur qui attend la nouvelle ministre, alors que la priorité au primaire a été écrasée par la grande déception des rythmes scolaires. L’école maternelle doit faire l’objet de toutes les attentions. C’est là que tout commence. Les premières années de scolarisation sont l’occasion de tisser des premiers liens avec les familles, notamment celles qui ne se sentent pas naturellement à l’aise avec l’école. Il faut aussi mettre en place des conditions adaptées à la scolarisation de très jeunes enfants. Priorité doit être donnée au langage. Cela interroge inévitablement les effectifs, notre maternelle comptant plus d’une classe sur deux à plus de 25 élèves, 7 000 classes en comptant même plus de 30. C’est non seulement une question de climat pour travailler dans le calme et avec de l’espace, mais surtout une plus grande disponibilité des enseignants pour porter une meilleure attention à chacun.

Cette question se pose aussi dans la suite de la scolarité. Les élèves qui ont, plus que d’autres, besoin d’interactions verbales, de reformulations, d’aides à la mémorisation doivent bénéficier de situations adaptées. Pour cela, on attend beaucoup du dispositif « plus de maîtres que de classes » qui devrait toucher toutes les écoles de l’éducation prioritaire. C’est encore loin d’être le cas, son déploiement avance à petits pas pour l’instant. Il offre pourtant de nouvelles possibilités d’apprentissage pour les élèves, en petits groupes, avec deux enseignants dans la même classe… Pour aider les élèves, il faut aussi aider les enseignants, rétablir la confiance, leur redonner de la considération. On ne change pas l’école sans celles et ceux qui la font vivre. Les enseignants sont aujourd’hui las des annonces souvent sans lendemain. En témoigne la récente enquête menée par le SNUipp-FSU. Leur formation continue est en panne depuis trop longtemps alors qu’ils ont besoin, plus que jamais, de développer des savoirs professionnels de haut niveau. Leurs conditions d’exercice du métier doivent être améliorées, notamment en leur donnant le temps de travailler en équipe, avec les parents…

Dans le même temps, il faut agir sur l’environnement de l’école. Les chiffres de la crise, du chômage, de la pauvreté donnent le vertige. Pour les enseignants, ces chiffres ont des visages, et portent des prénoms. L’école ne fera pas de miracle toute seule. Des politiques publiques doivent se concentrer à améliorer les conditions de vie des familles : emploi, santé, logement, culture, politique ambitieuse de la petite enfance visant les jeunes enfants et leurs parents. Soutenues par des services publics robustes, ces politiques sont indispensables pour faire reculer les phénomènes d’entre soi et de ségrégation. Il faut redonner aux quartiers, donc aux écoles, de la mixité sociale, dont on sait qu’elle est un des facteurs d’une meilleure réussite scolaire. Réduire les inégalités nécessite des transformations : les enseignants sont prêts… ils attendent les moyens pour opérer.

LES INÉGALITÉS SELON L’INSEE

Les scolarités à l’école élémentaire restent marquées par d’importantes disparités sociales de retard scolaire (…). Les élèves entrent au cours préparatoire avec des niveaux de compétences déjà différenciés socialement (…) et les écarts se creusent au fur et à mesure de l’avancée dans la scolarité élémentaire.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message