Bayrou n’est pas Casimir ( Clémentine Autain, Anne Le Strat)

vendredi 2 mars 2007.
Source : Le Monde
 

Les déçus de la gauche ne manquent pas. Il ne faudrait pas qu’ils manquent bêtement à la gauche... Certains d’entre eux semblent prêts à toutes les infidélités. S’il en est une qu’il faut ramener à ce qu’elle est - un vote de droite -, c’est bien la tentation du vote François Bayrou. Or le leader centriste, qui fait un tabac dans les sondages, rogne allègrement sur les suffrages de la gauche.

"L’effet Bayrou" marche notamment chez les trentenaires, qui trouvent peut-être là l’expression d’une revanche sur la génération de Mai-68. Dans le livre le plus jouissif écrit sur notre génération, Souffrances du jeune trentenaire (Fayard, 2005), Mara Goyet décrit la scène où son jeune personnage vote François Bayrou : "Jamais il n’avait eu idée plus folle, plus osée, plus inavouable. Plutôt que de voter blanc, voter mou. Franchir la ligne blanche, voter à droite, rien qu’un petit peu mais quand même... Ce fut une expérience incroyable, un cocktail de sensation, un vrai trip de l’underground civique. Il avait l’impression d’avoir fumé du colza à l’état pur."

François Bayrou, un vote subversif ?

A nos camarades de génération et aux autres, nous voulons dire "halte à la supercherie !". François Bayrou n’est pas Casimir, l’UDF n’est pas "L’île aux enfants" et la présidentielle n’a rien à voir avec le monde sucré de "Croque-vacances". Le vote Bayrou n’est pas un vote sans saveur ni conséquence. La posture du candidat, pétri de bons sentiments, en phase avec la colère du peuple contre les élites, c’est pour la télé mais pas dans l’Hémicycle.

La carrière politique du candidat UDF est déjà longue et ne se limite pas au complexe d’Astérix qu’il joue avec un certain succès depuis la mise sur rails de l’UMP. On fait toujours grand cas des déclarations d’indépendance et des critiques assassines que M. Bayrou lance à la face de l’UMP et de son candidat officiel. Il est, plus discrètement, un député discipliné : depuis 1986, il a voté de façon quasi systématique avec la droite et a participé à des gouvernements de droite libérale, dont celui d’Edouard Balladur qui le fit ministre de l’éducation nationale, et dont il fut l’un des tout premiers à réclamer la candidature à la présidentielle en 1995.

Quant aux principales propositions du candidat, elles ne traduisent vraiment pas un virage à gauche : nouveaux allégements de charges pour les entreprises (la pente naturelle du libéralisme économique), mise en place d’un "service garanti" dans les transports publics (dit autrement, c’est la remise en question du droit de grève), mise sous tutelle des allocations familiales (ce qui revient à pénaliser un peu plus les familles des classes populaires), création de nouvelles structures fermées pour les jeunes en difficulté (comme ça fleure bon le parfum sécuritaire !), abolition des régimes spéciaux de retraite (traduction : alignement par le bas des droits sociaux), libéralisation des heures supplémentaires (adieu les 35 heures et le code du travail ?), etc. Si le candidat Bayrou a récemment dénoncé le manque de "bienveillance" de l’Etat à l’égard des banlieues, il ne faut pas oublier que le député Bayrou a voté, fin 2005, la prolongation de l’état d’urgence.

Bref ! Une bonne dose d’économie libérale et une poignée de contrôle social, c’est l’UMP à visage humain. Alors, bien sûr, demeure la tentation du centre, ce grand fantasme des politologues français : existerait-il une terre bénie, un espace politique vierge et vertueux, composé d’hommes et de femmes raisonnables, libres de toute attache partisane, et dont la liberté absolue de parole irait de pair avec un attachement aveugle et exclusif à l’intérêt général, des politiques aux mains propres et aux idées larges ? Toutes les familles politiques se rattachent à l’un ou l’autre bord, ainsi va la vie démocratique qui a besoin de cette confrontation idéologique. Le centre, depuis quarante ans, a toujours gouverné avec la droite.

Le brouillage des identités droite-gauche mène à une compétition des personnalités, dont M. Bayrou espère sortir vainqueur. La politique mérite mieux que ça. Et la gauche n’a rien à y gagner : au lieu de laver à la machine le clivage droite-gauche, en espérant grappiller sur l’électorat du centre-droit, elle ferait mieux de défendre un projet de transformation sociale qui s’oppose, point par point, à la cohérence libérale-autoritaire de Nicolas Sarkozy.

Qu’une hésitation entre François Bayrou et Ségolène Royal soit possible traduit le déplacement du PS vers la droite - c’en est même l’un des tristes symptômes. Nous pouvons concevoir que certains de nos camarades de génération et d’autres, désireux de casser par leur vote une routine mortifère entre une droite de régression et une gauche de renoncement, puissent croire une seconde que le vote François Bayrou permette de s’évader. Nous voulons leur rappeler que, pour l’évasion, d’autres candidatures clairement positionnées à gauche - antilibérales, écolos... - sont possibles (et souhaitables !).

La tentation du vote François Bayrou ne peut donc s’habiller de l’excuse d’une absence de choix sur l’échiquier politique à gauche. M. Bayrou n’est ni un monstre gentil, ni le bon Charles Ingalls de "La Petite Maison dans la prairie". Il est (encore) temps de revenir à la réalité.


Clémentine Autain est adjointe (app. PCF) au maire de Paris ; Anne Le Strat est conseillère de Paris (Verts). Elles sont membres de la Fondation Copernic.


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