Capitalisme , entre faits et théories

mercredi 22 octobre 2014.
 

Dès le début, l’affaire a été sanglante. Le capitalisme s’est développé sur les cadavres des Amérindiens et la traite des Africains, rappelle une remarquable série documentaire coproduite et diffusée par Arte dès ce soir, mardi 14 octobre (20h50), puis les 21 et 28 (avec un rattrapage possible sur le net durant les 7 jours qui suivent la diffusion : arte+7 – videos.arte.tv).

Intitulés sobrement Capitalisme, les six épisodes, diffusés deux par deux, retracent les aspects les plus méconnus de son histoire en les mêlant aux théories qui vont tenter d’en rendre compte (de le légitimer ou de le contester) et qui vont former un nouveau corpus, la science économique. Le réalisateur Ilan Ziv passionne avec un sujet a priori ardu sans faire pour autant de concessions sur la rigueur et le contenu. Il a posé sa caméra dans 22 pays, rencontré des intellectuels et des citoyens ordinaires, sollicité une vingtaine d’intervenants, économistes, sociologues, a utilisé des archives et des animations…

Les deux premiers épisodes sont consacrés à la véritable naissance du capitalisme porté par lesdites grandes découvertes du XVIe siècle et ses conséquences : les flots d’argent extorqué au prix du génocide des populations amérindiennes qui vont irriguer les échanges européens. On notera en passant que la Chine s’était elle aussi livrée à des explorations un siècle auparavant sans provoquer autant d’effets dévastateurs. La raison en est que ces voyages depuis l’Orient étaient financés par l’empereur, d’une certaine manière une commande publique, alors qu’ils étaient le fait de commanditaires privés en Occident… Ceux-ci confiaient à des aventuriers le soin de valoriser à un taux préalablement fixé leur argent, d’où la brutalité et l’âpreté au gain des conquistadors, véritables premiers entrepreneurs capitalistes qui comptaient bien évidemment aussi s’enrichir au passage un maximum. Les mœurs ne s’adoucissent guère avec le temps puisque durant les trois siècles suivants, la traitre négrière va constituer la colonne vertébrale du développement économique de l’Occident. On connaît la suite avec la délicatesse de la révolution industrielle.

Curieusement, le caractère impitoyable et barbare de cette chasse aux profits par tous les moyens échappe à Adam Smith, un Ecossais du XVIIIe siècle, le premier à vraiment s’interroger sur ces mécanismes économiques et à se prendre d’enthousiasme pour le libre marché, fasciné par le développement impérialiste anglais initié par les capitaux privés des grandes compagnies, des Indes ou autres. A la recherche d’équilibres naturels, ce qui est dans l’esprit de son époque, il va trouver dans la division du travail et l’intérêt personnel la base de la science économique qu’il ébauche. Mais l’égoïsme comme carburant de l’économie ou la fameuse main invisible dont son traité sur « La richesse des nations » font état ne sont pas à prendre au pied de la lettre comme l’ont fait beaucoup de commentateurs modernes. Adam Smith considérait l’homme dans sa complexité et ne voulait pas le ramener au seul calcul rationnel auquel certains de ses successeurs l’ont réduit, par désinvolture ou idéologie.

Les quatre épisodes suivants, toujours mis en relation avec l’histoire réelle, sont consacrés à de grandes figures de l’économie. Les champions du libre échange et de la rationalité, Ricardo et Malthus, (dont la suppression des aides sociales, un de leur combat, rencontre toujours comme on peut le voir un succès certain), Marx (qui ne s’est peut-être pas finalement tant trompé), Keynes et Hayek (qui ne divergeaient que sur la façon de sauver le système mais pas sur l’objectif) et enfin Karl Polanyi (dont la critique envers la marchandisation galopante mortifère de tout ce qui existe souligne la nécessité de remettre l’économie à sa place en la subordonnant à la société et à l’être humain). Mais surtout, ce voyage au pays du capitalisme montre que, contrairement aux idées reçues, ce système ne marche pas de la même foulée que la démocratie. Il s’y oppose même irréductiblement. Et c’est là précisément que la politique et les peuples peuvent reprendre leurs droits…

Jean-Luc Bertet


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