Même si Kobané devait tomber, les kurdes syriens pourraient bien sortir vainqueurs de cette guerre

jeudi 30 octobre 2014.
 

Un vent de panique souffle sur le Kurdistan. La chute de Kobané est imminente, répète-on avec angoisse. Mais le grignotage progressif de la ville par l’Etat islamique masque mal la résistance des milices kurdes.

Le siège de Kobané dure et devrait durer encore. A tel point que l’Etat islamique a fait venir des renforts de sa capitale Rakka afin de mettre un terme à cette bataille qui concentre tous les regards. Un mois qu’il tente de prendre la ville, sans succès. Ce qui pousse les hommes d’Al-Bagdadi à prendre des risques inconsidérés.

L’Etat islamique, sous les bombardements de la coalition, avait dû éparpiller son dispositif au sol. La résistance de Kobané les contraint à se regrouper. Bien sûr, dans un combat de rue, il devient difficile de frapper avec des bombes de plusieurs centaines de kilos, mais une douzaine de frappes ont montré que certaines cibles restent bien identifiables. Au point de réduire l’armement lourd d’EI (artillerie, char, logistique) et de contraindre les djihadistes à un combat quasi d’égal à égal avec la branche syrienne du PKK.

Le siège s’éternise parce qu’en “combat urbain”, l’offensive est particulièrement risquée y compris avec des moyens supérieurs. Sur un terrain ouvert on estime traditionnellement qu’un rapport de force (RAPFOR) favorable est de trois contre un. En zone urbaine, le rapport de force doit être bien plus élevé pour l’assaillant. Il faut doubler les effectifs au minimum : 6 à 10 contre un. Le sniper embusqué, par exemple, peut résister longtemps face à des fantassins débarqués. C’est toute la difficulté de la reconquête de Bachar Al Assad dans les villes syriennes. La défense à intérêt à laisser entrer l’ennemi pour mieux le réduire, maison par maison, dans une manœuvre rétrograde. Daech est vulnérable à l’extérieur de la ville, sous la menace des bombes américaines, il est aussi vulnérable quand il rentre à l’intérieur, où il s’expose aux miliciens kurdes qui connaissent le terrain.

Ce combat, par sa médiatisation, est devenu essentiel pour sa propagande et le moral de ses troupes.

Bataille d’autant plus rude que les combattants de Kobané ne sont pas les peshmergas vus en Irak au début de l’offensive d’EI. Depuis des années, ces derniers gardaient tranquillement la frontière du proto-Etat kurde en Irak avant de se faire surprendre, puis de reprendre le dessus grâce à l’aviation américaine. Les peshmergas de Syrie, eux, font la guerre aux djihadistes depuis trois ans. Ils sont autrement plus aguerris que leurs cousins d’Irak.

Cette bataille-spectacle, vu du balcon turc, suscite de multiples comparaisons historiques. Stalingrad, Verdun, Varsovie, Srebrenica, Guernica ; on a le choix entre un film de guerre ou un documentaire sur Arte. Initialement le siège de Kobané est en effet plus symbolique que stratégique.

Nichée sur la frontière, Kobané est complétement isolée. Ni l’Etat islamique, ni les turcs, ni les américains n’ont vraiment besoin de conquérir cette ville, au contraire des kurdes qui défendent leur terre. Et pourtant, l’EI engage et perd beaucoup de ses moyens dans cette bataille. Ce combat, par sa médiatisation, est devenu essentiel pour sa propagande et le moral de ses troupes. Le siège de Kobané, quel qu’en en soit l’issue (probablement un match nul mais le brouillard de la guerre peut réserver des surprises) fixe les troupes de Daech. Au début, simple contretemps tactique Kobané pourrait alors se muer à l’usure en une défaite stratégique.

Dans la guerre moderne, l’opinion est un enjeu majeur, c’est elle qui peut débloquer les crédits, mobiliser les troupes et forcer la décision. Par le biais des médias, un objectif mineur sur le terrain peut alors devenir capital.

Les djihadistes, par ce combat, ont obligé la Turquie voisine à dévoiler au grand jour son double-jeu syrien. La diaspora kurde fait pression en Europe. La France pourrait revoir son choix de ne pas bombarder l’EI en Syrie. Les scènes de violence au cœur même de la Turquie, combinée à la pression américaine, pourraient forcer le régime de l’AKP à changer de fusil d’épaule en Syrie. Pour sortir de son isolement, à l’OTAN, à Bruxelles et maintenant à Washington, Ankara, déjà bien seul au Moyen-Orient, va devoir clarifier les choses s’il veut éviter une déstabilisation sur son propre territoire.

Dans la guerre moderne, l’opinion est un enjeu majeur, c’est elle qui peut débloquer les crédits, mobiliser les troupes et forcer la décision. Par le biais des médias, un objectif mineur sur le terrain peut alors devenir capital. Les kurdes, quoique abandonnés par la Turquie, suscitent à Kobané la sympathie de l’opinion mondiale. Leur combat pour l’indépendance gagne en notoriété tous les jours. Même si Kobané devait tomber, les kurdes syriens pourraient bien sortir vainqueur de cette guerre.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message