L’illusion de la fin des partis politiques (Parti et mouvement 2)

mardi 21 octobre 2014.
 

La courte mise en retrait de Jean-Luc Mélenchon et celle, plus longue, de Nicolas Sarkozy a visiblement conduit les deux hommes à la même réflexion : il faut remplacer la structure classique des partis au profit de vastes rassemblements. Mais les deux hommes n’ont pas vraiment en tête les mêmes objectifs, ni les mêmes sources d’inspiration. Et d’ailleurs est-ce vraiment si facile d’en finir avec les partis ?

Ils ne seraient plus que 8 %, les Français à encore avoir confiance dans les partis politiques. Cette méfiance, et cette défiance même, ne sont pas nouvelles. Seulement, jusqu’à présent, elles n’inquiétaient pas trop ceux qui nous gouvernent. Mais voilà, ce chiffre a atteint un niveau historiquement bas. Alors, on sent la tentation chez les plus intuitifs de nos politiques d’en terminer avec les partis traditionnels. Ou du moins de faire semblant d’en finir.

Dans le texte d’annonce de son retour publié sur Facebook, Nicolas Sarkozy avançait ainsi l’idée d’un « nouveau et vaste rassemblement qui s’adressera à tous les Français, sans aucun esprit partisan, dépassant les clivages traditionnels qui ne correspondent plus aujourd’hui à la moindre réalité. » Un « rassemblement », précise-t-il alors, qui « se dotera (…) d’un nouveau mode de fonctionnement adapté au siècle qui est le nôtre ». Bien sûr, personne n’est dupe, il s’agit d’abord d’enterrer cette embarrassante UMP dont le nom est accompagné d’un cortège d’affaires peu reluisantes (un changement de nom cosmétique auquel d’ailleurs le FN, lui, ne songerait plus. A quoi bon puisqu’il a déjà le Rassemblement bleu marine...). Mais il y a peut-être aussi chez Sarkozy — ses premières déclarations sur la famille et le mariage pour tous peuvent le laisser entendre, et son anti-fonctionnarisme aussi — la volonté de lancer une sorte de Tea party à la française...

Jean-Luc Mélenchon, lui, veut aujourd’hui « fédérer le peuple » (et plus seulement « rassembler la gauche ») autour de son Mouvement pour la VIe République, sans avoir à passer par la « validation d’un cartel politique ». Là encore, personne n’est dupe, il s’agit d’abord de contourner ces satanés communistes dont le cordon ombilical, estime « Méluche », n’est toujours pas coupé avec le Parti socialiste. Avec les conséquences que cela a pu avoir sur les scores du Front de gauche, le résultat des européennes en atteste... Mais il est une autre raison. Mélenchon regarde aussi ce qui marche ailleurs comme le mouvement Podemos en Espagne et son fonctionnement très horizontal. Fabien Escalona, enseignant à Sciences po Grenoble, l’assure : « Le modèle de Mélenchon à l’époque était Die Linke en Allemagne et les pays d’Amérique latine, aujourd’hui c’est Podemos ». Fondé en 2014, ce parti né du mouvement des « Indignés » serait la troisième force politique du pays. Qualité suprême pour Mélenchon, Podemos est tellement sur les talons du Parti socialiste espagnol qu’il lui mordillerait presque les mollets. Voilà qui a de quoi suscité des vocations en Hexagone...

Oui mais voilà, en France, ce sont précisément les vieux routiers du système qui veulent être à la tête de ces larges rassemblements. Jean-Luc Mélenchon a beau dire qu’il veut « être subversif » dans une récente interview à Politis, notre homme a beau avoir une certaine créativité organisationnel et sait aussi se saisir de nouvelles idées quand elles lui passent sous le nez, celui qui fut le plus jeune sénateur de France, bourlingue depuis des dizaines d’années dans le monde politique. Quant à Nicolas Sarkozy, inutile de s’attarder sur son parcours… Bref, le « casier politique » est bien trop fourni pour faire croire à un renouveau total de la manière de faire de la politique. Et d’ailleurs, seraient-ils prêts tous les deux à s’effacer derrière une organisation moins verticale ? « Nicolas Sarkozy, s’il affiche la volonté de créer une structure qui transgresserait le clivage gauche/droite, pense d’abord à prendre la tête d’un parti », tranche Escalona. Bref, Sarkozy comme Mélenchon se situent bien loin des leaders et élus de Podemos ou bien encore du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, tous issus de la société civile.

Ces mouvements ont d’ailleurs puisé leur force politique lors de grandes contestations populaires. Ce qui n’est pas le cas en France. « Dans des pays comme l’Espagne ou l’Italie, l’austérité a encore été bien plus violente qu’en France. Il a manqué un mouvement social d’ampleur », explique Escalona. Voilà peut-être pourquoi Sarkozy a la tentation de faire son beurre sur la contestation du mariage pour tous et des questions de GPA et PMA...

Pour le professeur en sciences politiques, les partis ne sont en tout cas pas morts : « Indispensables dans un grand régime démocratique, ils ont un rôle de canalisateur pour faire remonter les revendications locales au niveau national. On n’a pas trouvé mieux pour les remplacer ». Et d’expliquer : « Le rejet des Français n’est pas à l’endroit des partis politiques mais de leur dégénérescence. Ils ne remplissent plus la fonction intellectuelle, n’ont plus de rôle de formation interne. Ils sont en déliaison avec les citoyens. »

Daniel Cohn-Bendit s’était essayé avec Europe écologie - Les Verts à inventer quelque chose de différent. Il voulait, en bon mouvementiste, en finir avec les organisations partidaires classiques. « Faire de la politique autrement », était l’ambition de « Dany » et de ceux qu’il avait convaincu de rejoindre l’aventure à l’époque. Mais l’appareil Vert et tous ses travers, on l’a vu, a fini par reprendre le dessus. On n’en finit pas si facilement des partis...

Romain Massa


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