Ouvrir à la concurrence et aux entreprises privées la gestion des installations de production de l’électricité, c’est une bêtise totale

dimanche 12 octobre 2014.
 

J’ai brisé la frénésie de mes jours ordinaires. Après Tarbes où j’atterris, partout on m’a reçu comme si j’avais gagné en 2012. Il est vrai que par là-haut, dans ce coin de la montagne, on m’a placé en tête des suffrages à toutes les élections depuis 2009. Le maire de Luz (PRG) et le conseiller général (UMP) étaient eux aussi venus à ma rencontre à Pragnères. A Gèdre, les habitants organisèrent donc un goûter en mairie et le maire Jean-Claude Roudet m’accueillit solennellement avant qu’on m’invite à parler. J’étais là d’abord pour dire et argumenter mon opposition à la privatisation des installations hydroélectriques. C’est pourquoi j’avais rendez-vous à la centrale de Pragnères.

Ségolène Royal vient d’annoncer l’entrée en vigueur de cette mesure stupide et dangereuse. Mais en décidant de visiter la centrale de Pragnères, sur le canton de Luz-Saint-Sauveur, je savais que je ne verrai pas seulement un dispositif complexe de cheminement d’eau et de turbinage. J’ai vu une sorte de monument de la religion humaine quand un grand projet mobilise des milliers de personnes persuadées d’agir pour le bien commun. La construction de ce système aux lendemains de la guerre fut une épopée inouïe, avec ses hauts et ses bas, ses luttes sociales et ses cruautés, ses splendeurs et ses exploits. Certes nous ferions autre chose et autrement à présent. Mais on ne peut méconnaitre la leçon de ces enthousiasmes collectifs pour des travaux de pionniers qui reconstruisent une économie. Le moment venu, nous devrons agir dans le même état d’esprit avec l’entrée dans l’économie de la mer.

Je viens à l’actualité du sujet. Hélas le gouvernement Valls prend des décisions concernant les barrages et centrales hydroélectriques de notre pays. Il s’agit de 15% de notre électricité. L’hydroélectricité est la première énergie renouvelable utilisée en France. 80% de la production électrique d’origine renouvelable vient de ces barrages et centrales. Très loin devant l’éolien ou le solaire par exemple. A l’échelle du monde c’est encore plus frappant. L’hydraulique est la troisième source d’énergie derrière le charbon et le gaz mais loin devant le nucléaire ! C’est donc un sujet très sérieux que la gestion de cette ressource stratégique. Et voilà pourquoi il faut encore se lamenter d’une décision inepte de ce gouvernement misérable.

Ouvrir à la concurrence et aux entreprises privées la gestion des installations de production de l’électricité, c’est une bêtise totale, dans la droite ligne du reste des hallucinations des idéologues libéraux. On comprend vite et sans effort que les « partenaires privés » n’investiront pas par philanthropie mais pour tirer des profits. S’ils agissaient autrement leurs actionnaires seraient en droit de les sanctionner et d’arguer, à juste titre, de l’abus de bien social. Ce n’est donc pas leur cupidité qui doit être mise en cause mais plutôt ceux qui leur offrent ce nouveau terrain de jeu sans aucune justification. Aucune ! Personne n’imagine que les investisseurs privés viennent pour faire des investissements. Ni qu’ils seront portés à en faire si besoin est. Car lorsqu’une opération d’entretien est à l’ordre du jour cela coûte deux fois. Une première quand il faut payer les travaux et une seconde pendant l’interruption de l’exploitation. La tendance sera donc toujours de regarder ailleurs quand les symptômes d’usure seront là. L’arrivée des privés dans l’exploitation des barrages et des centrales n’est donc vraiment pas une bonne nouvelle pour la sécurité des eleveurspopulations. Ceux qui vivent aux alentours de ces installations peuvent s’inquiéter. Mais si éloignés qu’ils soient, les autres sont aussi concernés. Car le réseau électrique forme un tout et fonctionne comme un tout.

Je n’évoque pas ici ce qui se passera quand un maillon de la chaine mal entretenu ou mal géré ou faisant du chantage au tarif, devra interrompre sa production. Cette situation on l’a connue car on l’a déjà observée aux USA ou au Royaume Uni. Ce sont alors les maxi pannes. Elles sont inconnues en France jusqu’à ce jour sinon partiellement en période de tempête. J’ai eu l’occasion de prendre la mesure du risque global lors de mon séjour dans les Hautes-Pyrénées en visitant la centrale hydroélectrique de Pragnères. Elle joue un rôle majeur dans la production d’électricité pour la région. Elle est aussi un segment de la régulation globale du système électrique français. Mais elle est aussi un maillon du dispositif de sécurité de la centrale nucléaire du Blayais en Gironde puisqu’elle doit approvisionner en électricité les moteurs de refroidissement de l’eau de celle-ci en cas d’accident. En amont, pas moins de quatre barrages permettent de maîtriser l’alimentation continue en eau de la centrale. Le plus haut est situé à plus de 2000 mètres d’altitude. L’eau circule de haut en bas, et parfois à l’inverse quand il le faut, par des conduite forcée de tuyaux cerclés où des galeries creusées dans la montagne. L’eau jaillit au final à la vitesse de 570 kilomètre heure par une humble conduite de 10346441_10152771636156940_4622422063838220522_ndix-huit centimètres. Celle-ci la projette sur une roue Pelton, petite merveille de calibrage qui fait tourner le rotor de la machine à fabriquer de l’électricité. Je ne donne ces détails que pour faire comprendre plus facilement ce qui va suivre.

Le système électrique fonctionne comme un tout. Il doit fournir à chaque instant très exactement la quantité d’énergie en cours de consommation. S’il en produit moins ou plus, le système plante. Cette gestion fine est cruciale ! Les installations hydrauliques sont les variables d’ajustement du système électrique global. Car le flux de l’eau turbinée est très facile à maitriser selon que l’on doit augmenter la puissance ou la diminuer. Augmenter on comprend. Diminuer ? On le fait par exemple en consommant le trop plein d’énergie produite pour remonter l’eau dans la retenue d’eau. Ou en coupant le flux de production car la machine démarre et s’arrête en quelque secondes. La production d’énergie nucléaire n’a pas du tout cette souplesse technique. Elle produit ou bien elle ne produit pas, et l’arrêt comme le démarrage sont des procédures complexes, lentes et dangereuses.

On voit donc l’enjeu de notre opposition à la privatisation. Car on compte plus de 2000 installations de toutes tailles dans le pays parmi lesquels une grosse centaine de barrages de grande taille, c’est-à-dire de plus de 20 mètres de hauteur. 400 barrages et centrales sont gérés par des entreprises à travers des « concessions » de longue durée. 80% d’entre eux le sont aujourd’hui par EDF. Les autres sont essentiellement gérés par GDF Suez ou ses filiales, héritage du temps où GDF était une entreprise publique. Le gouvernement Valls a donc décidé de brader la gestion de ce patrimoine national. C’est ce que prévoient les articles 28, 29 et 30 du projet de loi sur la transition énergétique actuellement en débat à l’Assemblée nationale. Il prévoit que les futures concessions seront accordées wp_20141003_17_13_09_proaprès mise en concurrence. Il prévoit surtout la possibilité d’attribuer la concession d’un barrage à une Société d’économie mixte comprenant des capitaux privés.

Le gouvernement Valls obéit à la Commission européenne. Il l’a d’ailleurs reconnu dès le mois de mai dernier. Valls a écrit dans son « programme national de réforme » envoyé à la Commission européenne : « un renouvellement par mise en concurrence des concessions d’exploitation des installations hydroélectriques sera privilégié. ». A l’époque je l’avais dénoncé dans un communiqué. En matière d’énergie, trois « paquets » de textes européens ont déjà été adoptés en près de 20 ans. Tous visent à ouvrir le secteur à la concurrence, à supprimer les tarifs réglementés, à séparer la production de la distribution d’électricité pour pouvoir mieux vendre chaque morceaux aux plus offrants. Mais la prise en compte de la cohérence des décisions de gestion du réseau global ? Et celle du réseau local quand les usines de turbinage sont installées à la suite les unes des autres sur le même flux d’eau comme c’est le cas avec cette usine de Pragnères ? Et la surveillance du niveau d’entretien des installations ? La centrale de Pragnères, encore elle, a été mise en service en 1953. Il y a 61 ans. Et la concession court jusqu’en 2033 ! Je le mentionne pour souligner l’importance du temps long en matière écologique.

Manuel Valls et Ségolène Royal font le boulot que la droite n’était pas parvenu à faire. Ils reprennent le chemin ouvert en 2010 par Jean-Louis Borloo et l’UMP. Cette année-là, le gouvernement Sarkozy-Fillon avait lancé une procédure afin d’ouvrir, à l’horizon 2015, 20% du parc hydraulique à la concurrence. 49 barrages, regroupés en 10 lots, d’une puissance installée de 5300 MW, étaient concernés. Plusieurs fois retardée, la présentation des appels d’offres était attendue pour la mi-2013, après le débat sur la transition énergétique. Mais la ministre de l’époque, Delphine Batho, a bloqué cette ouverture. Son fot368bdépart du gouvernement Ayrault, puis l’arrivé de Manuel Valls et de Ségolène Royal ont relancé la marche vers la privatisation. La loi sur la transition énergétique vise seulement à proposer une méthode différente de celle prévue par Jean-Louis Borloo.

C’est un pillage digne de celui de la privatisation des autoroutes. Le peuple français a payé pendant des décennies pour construire et entretenir ces installations hydroélectriques. Le nouveau statut semi-privé proposé par la ministre Ségolène Royal permettra de continuer à nationaliser les pertes et les investissements tout en garantissant de verser une rente aux gestionnaires privés. C’est d’autant plus stupéfiant qu’en 2007, le projet de Ségolène Royal pour l’élection présidentielle prévoyait la création d’un pôle public de l’énergie entre EDF et GDF. Aujourd’hui, c’est la même qui est à la manœuvre pour découper et brader le patrimoine énergétique du pays aux intérêts privés.

Une nouvelle fois, l’impératif écologique et la question démocratique sont liés. On le savait déjà vu le poids des lobbys pro-nucléaire ou pro-gaz de schiste. En voici donc un nouvel exemple. Comment engager la transition énergétique sans maîtrise publique des moyens de productions et distributions de l’énergie ? Comment faire la planification écologique avec des actionnaires privés intéressés par des rendements de court terme ? Comment décider souverainement de la stratégie énergétique du pays sans disposer des outils et des moyens de mettre en pratique ce que le peuple aura décidé ? Vous voyez que pour faire face à la crise écologique aussi, la 6e République est une urgence !


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