LES AFFINITES ENTRE MARXISTES ET LIBERTAIRES

mercredi 18 mars 2015.
 

Cet été est paru AFFINITES REVOLUTIONNAIRES - Nos étoles noires et rouges - De Olivier BESANCENOT et Michael LÖWY - Editions Mille une Nuits

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En plein mois d’août 2014 est sorti ce petit ouvrage qui évoque les relations entre anarchistes et marxistes. D’emblée le lecteur est averti que c’est avant tout ce qui rassemble qui sera mis en avant. Sur des sujets qui font encore controverses comme la Commune de Paris, l’Ukraine anarchiste, Cronstadt...les deux versions libertaire et marxiste, sont énoncées. On y ajoute parfois un troisième regard qui prend l’aspect d’une synthèse.

On trouve des personnages qui représentent des ponts entre les deux courants tels Victor Serge ou Pierre Monatte. Cet historique est intéressant même si les lecteurs les plus informés ont déjà lu Daniel Guérin (1). Mais, bien sûr, on a hâte d’en arriver à notre vécu présent, à ce que peut représenter aujourd’hui concrètement les "affinités révolutionnaires" entre marxistes et anarchistes.

Tout d’abord il conviendrait de cerner qui représente chacun de ces courants. Les marxistes, dès l’origine, veulent s’emparer des leviers de l’Etat pour que celui-ci, qui tendrait alors vers son extinction, agisse en faveur du peuple. Mais les héritiers les plus directs des premiers marxistes, de ceux-là mêmes qui côtoyaient Marx et Engels en personne, ne sont-ils pas les sociaux-démocrates actuels ? Même s’ils ne sont plus des révolutionnaires, ils se proclament encore, du moins en France, héritiers du marxisme.

Il y a aussi d’autres courants marxistes que les auteurs de ce livre ne peuvent évoquer. Un courant marxiste-léniniste qui parfois, inspiré de maoïsme, prit une allure libertaire, comme VLR (2) au début des années 1970. Des groupes et petites organisations à l’idéologie marxiste-patriotiques ressurgissent glorifiant Krasucki (3), Thorez et même Staline avec lesquels les anarchistes ne devraient donc rencontrer aucune affinité.

Alors qui sont les marxistes avec lesquels les anarchistes devraient trouver lesdites affinités ? Vous l’aviez deviné à la lecture des noms des auteurs du livres : ne serait-ce pas avec une mouvance issue du trotskysme, ayant entamé une critique du Prophète ? Le NPA par exemple ? Bravo, vous avez trouvé. Et du côté des libertaires, encore plus difficiles à cerner, la préférence irait bien sûr vers certains groupes historiquement proches du trotskysme. Là je ne cite personne mais, perspicace comme vous l’êtes, vous allez sûrement deviner de qui il s’agit.

Pour part, je dois quand même dire que, sur le terrain, mes camarades et moi-même, avons eu maille à partir avec des trotkystes qui se comportaient en abominables bureaucrates (4). Mais bien sûr suivant la ligne de nos auteurs, je n’en parlerai pas ici.

La perspective ainsi dégagée par nos auteurs, laissant la porte ouverte à l’électoralisme, remplira d’espoir un certain nombre d’intellectuels. Mais sur le terrain, parmi les "masses" lors d’un conflit social, que se passe t-il ? Aujourd’hui comme hier, quand il s’agit d’une sérieuse confrontation de classes, ce sont les assemblées générales qui constituent l’organisme premier sur lequel va reposer la volonté et l’action des salariés. Et le fonctionnement, si l’on veut une unité dans l’action et une réelle dynamique, ne peut se faire que par la démocratie directe. Et c’est là que se retrouve les anarchistes, dans des principes d’action très anciens qui font partie de la nature humaine et de la tradition de lutte des exploités. Et dans ces luttes, ces dernières années, s’est-on soucié des affinités entre marxistes et anarchistes ? Sur le terrain, dans le combat, nous étions évidemment tous unis. Mais, compte tenu de l’expérience acquise, on surveille aussi avec attention tous ceux, qu’ils soient anarchistes ou marxistes qui prétendent parler, ou même signer des accords, sans que les décisions ne passent par la base. Encore une fois j’évoque ici des luttes "sérieuses".

Mettons tout le monde à l’aise. Dans le syndicalisme, dans les organisations libertaires, parmi les anarchistes, il y a eu des bureaucrates. Bien des cénétistes ou ex-cénétistes vous en parleraient. L’idéologie ne fait pas le moine. Ce qui ne dévalorise en rien la ou les CNT et les organisations anarchistes, et surtout pas les principes qu’elles défendent. Si l’on avait réellement cherché une unité entre anarchistes et marxistes pourquoi ces derniers ne se sont-ils jamais prononcés, par exemple, pour un appui à ladite CNT ? Aux Etats-Unis l’IWW réunit depuis longtemps trotskystes et anarchistes. Mais c’est à ma connaissance, dans le monde, la seule organisation où coexistent ouvertement les partisans des deux courants. Du point de vue idéologique, il est vrai aussi que le trotskysme, comme l’avait prédit Daniel Bensaîd, semble sur le déclin. Pour l’anarchisme, divisé en nombre de groupes, c’est un peu différent car ses principes, comme le disent les auteurs de ce livre, se retrouvent dès qu’une lutte prolétarienne d’importance surgit, comme par exemple en Afrique du nord. Ce qui ne veut pourtant pas dire que les acteurs de ces luttes, basées sur la démocratie directe, se réclament ouvertement de l’anarchisme.

A travers la crise que traverse ou qu’ont traversé certains groupes et organisations, le petit ouvrage de Besancenot et Lôwy, qui en lui-même n’annonce rien de nouveau sinon une volonté de rapprochement avec les libertaires, nous montre néanmoins une nécessité de sortir des chemins battus, de quitter les ornières en mettant en avant des principes et des modes d’action libertaires.

par Nemo 3637

(1) Daniel Guérin sait être acrobate, présentant par exemple, Nestor Makhno en aimable Robin des Bois et Trotsky en leader révolutionnaire incontestable – in « Ni Dieu ni maître », Paris, 1970, tome III, p. 134 et tome IV pp.5-6 et p.53.

(2) VLR – Vive La Révolution – fut un groupe d’origine maoïste né en 1969 et qui finit par s’auto dissoudre en 1972.

(3) Voir des groupes comme le PCRF – Parti communiste Révolutionnaire de France - dont une des icones est Henri Krasucki, grand résistant, trahissant néanmoins les travailleurs en mai-juin 1968 en négociant secrètement avec un émissaire du gouvernement d’alors, un certain Jacques Chirac…

(4) Voir « Tchôk », Editions Armaguedon, Lutte972 GP6 orange.fr .8 euros, les chapitres sur les luttes sociales en Martinique.


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