Ecosse : une victoire du « Oui » réveillerait l’espoir...

jeudi 18 septembre 2014.
 

TINA, mère de l’indépendance écossaise

Progressisme à reculons

Vu de loin, ou en DVD, des hommes en kilt dévalant les pentes des Hautes Terres en hurlant « Freedom ! » ont pu propager dans l’imaginaire collectif un mythe de l’indépendance écossaise sinon progressiste, du moins pétri de légitimité. Arrêtons le film. Dans la panique provoquée à Westminster par le premier sondage mettant le « Oui » en tête des intentions de vote, le leader nationaliste du Parti National Ecossais (SNP) Alex Salmond a atteint le but qu’il semble s’être fixé en douce : davantage d’autonomie. En effet, cela fait trois siècles que les écossais s’accommodent plutôt bien de l’union politique et économique avec l’Angleterre, partageant en outre un système de valeurs propre à sceller les communautés de destin des nations dominantes d’un empire d’abord britannique puis néolibéral.

Bien que les années 1970 ravivèrent la flamme, les revendications ancestrales étaient maintenues à petit bouillon, confinées entre social-démocratie et dévolution, entre statu quo et autonomie. Le beurre et l’argent du beurre en quelque sorte. Bien sur de vilaines lézardes étaient apparues suite à l’échec du referendum de 1979 pour la création d’une Assemblée législative écossaise, sur fond de choc pétrolier et d’« hiver du mécontentement ». Déjà le régime productiviste exhibait son caractère insoutenable. Pourtant le cœur des revendications nationalistes restaient alors affaire de royalties et de revenus pétroliers en mer du Nord où plusieurs nouveaux gisements venaient d’être découverts. Son plus fameux slogan de campagne en 1974 reste aujourd’hui encore un bon compas politique pour le SNP : "It’s Scotland’s oil".

Thank you Thatcher !

L’arrivée de Margaret Thatcher ne fit qu’approfondir la brèche dans l’union. « L’idéologie thatchérienne a heurté des valeurs écossaises profondément ancrées dans l’idée de communauté. L’exaltation de l’individualisme n’a pas été comprise et acceptée », indique Géraldine Vaughan dans Regards. La sorcière ne comprit jamais vraiment la répulsion des Ecossais à son égard et suicida donc le parti conservateur auprès d’un électorat refusant d’être le cobaye d’une politique néolibérale "étrangère", arrogante et brutale. Le SNP commence alors sa percée dans des bastions du conservatisme (Aberdeenshire, Angus, Perthshire). Dans les années 1980 des campagnes de désobéissance civile contre la Poll Tax ("Can Pay, Won’t Pay") travaillent les esprits au point que même une partie des travaillistes écossais se tournent vers l’alternative nationaliste. Tout sauf Thatcher en somme.

Or, depuis la réincarnation de TINA dans le New Labour de Tony Blair il est devenu impossible au Royaume-Uni d’exprimer son opposition au fondamentalisme de marché par l’entremise des principaux partis de Westminster. Dans le Monde Diplomatique de septembre, Keith Dixon explique qu’en « défendant l’Etat-providence contre les coups de boutoir assenés par tous les gouvernements de Londres depuis 1979, les nationalistes ne cessent de progresser ». Mais aujourd’hui le SNP, déjà estampillé « gauche pétrolière », a pris un virage franchement social libéral et ne voit toujours pas de contradiction entre social-démocratie et néolibéralisme, du moment qu’on sépare bien les boites. Chantre du dumping fiscal pour entreprises étrangères « optimisatrices », sur le modèle irlandais, il s’attire un support pour le « Oui » dans certains lobbies banquiers et une partie du patronat écossais. Ne craignant ni grand écart ni retournement de veste, le SNP est logiquement pro UE et pro OTAN. Etrange idée de l’indépendance…

D’un nationalisme l’autre

Pourtant la majorité des militant-e-s du « Oui » ne se disent pas tant nationalistes que socialistes, écologistes, féministes, républicains, bref progressistes, et par leur aspiration à l’indépendance ne rejettent pas tant l’union avec Londres que la droite anglaise et son programme d’austérité sans fin. Sous la bannière de la Radical Independence Campaign (RIC), et inspirés des travaux du think-tank participatif Common Weal, le Parti Socialiste Ecossais (SSP), les Verts, le mouvement républicain, les syndicats, les campagnes antinucléaires, féministes, LGBT, etc, rassemblent des citoyen-ne-s pour qui l’indépendance n’est que la première étape vers la sortie de l’ordre néolibéral en Ecosse. Cette coalition traduit dans le contexte local les mêmes espoirs du peuple portés ailleurs par le Front de Gauche, Podemos et d’autres : souveraineté populaire, démocratie participative, relance écologique, justice sociale réelle… Par ailleurs ce sont les moins de 40 ans qui poussent aujourd’hui la campagne du « Oui », or l’âge de vote pour ce seul scrutin est abaissé à 16 ans et on compte 95% d’inscrits sur les listes électorales. L’avenir leur appartient.

Quelque soit l’issue du scrutin, cet indépendantisme là est un cheval de bataille qui est amené à frayer dans chaque recoin de la société, proposant en nouvel horizon progressiste. Gageons qu’on l’appellerait plutôt « républicanisme » si l’idée d’une république n’était pas supportée par seulement un quart des Écossais-e-s. Quoiqu’il en soit, en cas de victoire du « Oui » ce « isme » réclamera pour le peuple sa part d’indépendance dans toutes les décisions clés à délibérer au cas par cas : monnaie, place dans l’UE, dans l’OTAN, processus constituant… à moins de s’essuyer les bottes de l’avis d’un peuple remis soudain au centre de l’action politique et fraîchement rendu à son intérêt général. Mais dans ce cas là on ne peut exclure que des hommes en kilt dévalant la colline en hurlant « Freedom ! » refasse alors leur apparition…

Paradoxalement, pour le SNP désormais confronté non seulement à l’achèvement de sa raison d’être historique mais aussi à l’émergence d’un réel mouvement citoyen, la victoire du « Oui » signifierait « la fin d’une vielle chanson ». En effet, ayant préféré depuis 1979 des glissements juridiques graduels vers une inexorable mais discrète indépendance de fait, le parti nationaliste se révélerait alors clairement comme la force conservatrice qu’il est réellement. Ce n’est pas forcement la partie que veut jouer le SNP, et c’est peut-être bien la raison pour laquelle 18.5% de ses membres s’apprêtent à voter « Non » jeudi. Quant à Alex Salmond, il n’est pas près de demander un nouveau referendum.

L’indépendance de l’Ecosse peut galvaniser les forces « de gauche » dans tout le Royaume-Uni tout en montrant à l’union européenne qu’à beau vouloir évacuer l’idée nationale par la porte dérobée d’un bureau bruxellois, celle-ci revient immanquablement par les fenêtres grandes ouvertes de l’Histoire. Mais une victoire du « Oui » réveillerait la chose la plus dangereuse de toutes, la plus terrifiante pour les puissants d’Europe : l’espoir d’un changement radical des bases du néolibéralisme, et par-dessus le marché dans l’un de ses berceaux historiques.

Sylvain Savier


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