Ecosse : référendum à plusieurs clés d’entrée (PCF)

jeudi 18 septembre 2014.
 

Le 18 septembre, lors d’un référendum, les Ecossais auront à répondre à la question : « L’Ecosse devrait-elle être un pays indépendant. » Il y a un mois encore, les sondages donnaient le « Non » gagnant et voici que les dernières enquêtes d’opinion renversent la tendance avec un « Oui » autour de 52% provoquant l’affolement à Londres et des craintes dans plusieurs capitales européennes.

David Cameron fait l’objet de vives critiques. Il avait refusé, il y a quelques mois, la proposition du Premier ministre nationaliste écossais, Alex Salmond, qui souhaitait proposer de choisir entre l’autonomie accrue et la sécession avec le Royaume-Uni. David Cameron espérait faire échouer le projet nationaliste et le voici gros-jean comme devant. L’affaire est sérieuse. En cas de victoire du « Oui », le Royaume-Uni serait amputé de 70% de son territoire et l’Ecosse raflerait 97% des réserves pétrolières et 58% des ressources gazières tandis que Londres verrait son poids traditionnel dans les instances européennes et mondiales affaiblit considérablement.

Pour la plupart des commentateurs politiques londoniens, David Cameron a fait preuve d’une légèreté « irresponsable ». Face au cataclysme annoncé, le Premier ministre britannique tente d’infléchir la tendance en faveur du « Oui » en mêlant des promesses d’autonomie accrue et un chantage à la chienlit tout en multipliant les déplacements de dernière heure avec les leaders travaillistes et libéraux. La panique a gagné toutes les sphères politiques. Quant à la reine, on l’a dit « stupéfaite ».

L’édifice britannique se lézarde depuis les années 1970 et la première percée électorale du Parti nationaliste écossais (fondé en 1934) date de février 1974. Questions : pourquoi un tel engouement pour l’indépendance, pourquoi de très nombreux Ecossais envisagent-ils la sécession ? Comment l’Écosse, économiquement dépendante du Royaume-Uni jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, en est-elle arrivée à envisager l’indépendance et surtout pourquoi le mouvement nationaliste s’est-il révélé très influent à partir des années 1970 ? Contrairement à une thèse communément admise, la revendication indépendantiste écossaise ne s’est pas inscrite en opposition à la politique néolibérale de Londres. Un bref retour sur l’histoire s’impose : les racines du nationalisme écossais sont connues. En vrac, les soulèvements populaires de 1297-98 menés par William Wallace et les combats pour l’indépendance de l’Écosse (1296-1357) sous Robert Bruce. L’identité écossaise consolidée, surtout dans les Highlands et sous le système du clanship, bien avant l’avènement du capitalisme ou de la révolution industrielle. Le Traité de Berwick mettant fin aux guerres d’indépendance contre l’Angleterre en 1357, la souveraineté du royaume d’Écosse jusqu’à l’Acte d’Union de 1707.Le schisme entre Lowlands presbytériennes et anglicisées et Highlands catholiques et gaélophones etc…

Plusieurs historiens soulignent que « les circonstances entourant l’Union de 1707 se prêtent aux conflits d’interprétation : l’Écosse constituait une communauté historique cohérente, mais était divisée linguistiquement et par confession ; son économie était relativement bien développée, mais partiellement dépendante des marchés anglais et en état de crise au tournant du XVIIIe siècle ; les bénéfices économiques de l’Union à court terme furent importants mais accentuèrent durablement la dépendance de l’économie écossaise aux marchés impériaux, défavorisant une diversification dont l’absence sera problématique lors de la dissolution de l’Empire et notamment après 1918. » La notion de « colonialisme interne » du sociologue américain Michael Hechter décrit bien comment l’Union a renforcé l’état de dépendance économique qui liait l’Écosse à l’Angleterre jusqu’au milieu du XXe siècle.

L’Union produisit plusieurs effets pervers dont les plus évidents furent la subordination de l’économie écossaise aux intérêts de l’Empire et la prolétarisation durable des Écossais, dont les conditions de vie restèrent inférieurs à celles des ouvriers anglais jusqu’à tard au XXe siècle.

Lorsque Margaret Thatcher arrive au pouvoir en 1979, une de ses premières décisions a été de mettre fin à la « culture de dépendance » des régions britanniques envers l’État central. Le développement des régions devra désormais découler de l’initiative d’entrepreneurs régionaux plutôt que d’une redistribution centrale des subventions. Au début des années 1980, les Écossais subissent les fermetures d’usines, le chômage, la dilapidation des revenus pétroliers, la réduction des transferts régionaux, les dénationalisations et le musellement des instances politiques locales. Ils découvriront au cours des années 1980 le démantèlement de l’économie écossaise, de l’éducation et de la formation. Tout ira en s’aggravant avec les successeurs de la « Dame de fer » puis surtout avec Tony Blair.

Cela fait maintenant six ans que l’Écosse est gouvernée par le Parti national écossais ( Scottish National Party, SNP, nationaliste) sans toutefois qu’une seule modification constitutionnelle d’importance n’ait été adoptée. Trois réformes sont toutefois proposées qui exigeront des négociations avec Westminster : la participation du gouvernement écossais aux décisions de la Banque d’Angleterre, la création d’un comité intergouvernemental gérant l’union monétaire et la mise sur pied d’un conseil monétaire écossais devant guider le nouvel État. Quant au secteur financier, il est prévu qu’une Écosse indépendante devienne seule responsable de la réglementation s’appliquant sur son territoire mais que celle-ci s’inspire directement des régulations européennes en vigueur. Il est à ce titre conseillé qu’une sorte d’autorité écossaise du marché financier, semi-indépendant, soit créée.

Au niveau fiscal, la commission recommande un pouvoir exclusif et total d’imposition, de taxation et d’emprunt pour le gouvernement écossais. Est également prôné qu’une entente cadre soit éventuellement signée avec le gouvernement britannique quant aux niveaux acceptables d’endettement public, de manière à assurer la stabilité monétaire de la « zone sterling ». Les responsabilités en matière de dépenses publiques seraient également de responsabilité exclusive écossaise, incluant les dépenses militaires. Enfin, il est souligné que des négociations devront avoir lieu en cas de sécession quant à la part de la dette mais aussi des actifs britanniques revenant à l’État écossais.

Le résultat du référendum du 18 septembre risque d’être serré. On aurait tort de croire que la victoire du « Oui » aurait pour conséquence un dégagement des griffes du capitalisme, les multinationales trouvant les mêmes satisfactions – elles ont été « tranquillisées » - dans une Ecosse indépendante où dans un Royaume-Uni. Les illusions, dans le contexte présent, doivent être rangées au panier, les dirigeants indépendantistes se recrutant d’abord dans les hautes classes sociales écossaises préférant promouvoir leurs propres intérêts en lorgnant vers une Europe fédéraliste.

On ne peut toutefois pas repousser d’un revers de main les interrogations sur des réalités bien concrètes. La lutte pour le « Oui » incarne aussi la volonté d’une grande masse de salariés écossais de s’émanciper de Londres. Pour beaucoup, la victoire du « Oui » permettrait de « casser » un bout de l’Etat impérialiste britannique et de travailler pour vivre mieux sur une terre souveraine enfin sortie de l’OTAN.

Quel que soit le résultat du référendum, l’Ecosse gagnera en autonomie. Reste à savoir ce qui sera mis dedans.

José Fort, L’Humanité


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