Pourquoi Podemos progresse quand le Front De Gauche patine

mardi 16 septembre 2014.
 

Deux récents sondages font potentiellement de l’organisation Podemos la troisième force politique d’Espagne. Une enquête place même cet OVNI sur les talons du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol. A l’heure où l’avenir du Front De Gauche est incertain et que ses membres se retrouvent pour en débattre, www.marianne.net essaie de comprendre pourquoi les deux formations n’ont pas le même destin.

De l’autre côté des Pyrénées, à l’occasion des élections européennes, les deux partis majoritaires et historiques du pays ont pris la claque de leur vie. Le PP (Parti Populaire, conservateur, au pouvoir) et le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) chutent alors de plus de seize points chacun, au profit d’une nouvelle force montante incarnée par Izquierda Plural (IP, alliance d’une dizaine de partis de gauche et écologistes) et Podemos, glanant respectivement 9,9% et 7,9% des suffrages. Presque dix points pour IP, ce rassemblement qui a des allures de Front De Gauche (lui, en France, n’obtient que 6,6% des suffrages à cette même élection), voilà qui est impressionnant. Mais la révélation de l’année, c’est Podemos.

Tout part des indignados le 15 mai 2011, à la Puerta del Sol, kilomètre zéro de l’Espagne. Des manifestations à faire rêver nos syndicalistes et quelques mois plus tard, un néo-parti politique (qui revendique être plus un « outil pour que le citoyen récupère le protagonisme populaire », en deux mots, donner le pouvoir au peuple et non aux « élites corrompues »).

Nommé Podemos (« Nous pouvons » en espagnol), il voit le jour, le 17 janvier 2014. En moins d’un an, il est en passe de devenir le parti sans lequel aucune majorité parlementaire ne sera possible en Espagne. En un mot, Podemos va peut-être mettre un terme au bipartisme, une révolution.

Troisième force du pays

Deux sondages, du même genre que celui réalisé par Marianne il y a peu, viennent faire trembler PP et PSOE. C’est d’abord le quotidien El Mundo qui publie « et si les élections avaient lieu aujourd’hui » qui retentit comme une alerte à la bombe. Podemos est à 21,2%, sur les talons du PSOE pronostiqué à 22,3% des suffrages. S’en suit un autre sondage, celui de La Razon, journal très conservateur, avec des résultats un peu plus modérés évidemment, mais qui mérite toujours notre attention, le Parti Populaire arrive en tête avec 33,9% des voix, le PSOE est en deuxième position avec 23,4% des suffrages et Podemos est confirmé troisième force du pays, juste derrière les socialistes, avec 15% des voix, doublant ainsi son score des élections européennes.

Cela n’a peut-être l’air de rien, mais la gauche de la gauche espagnole, Podemos en tête de cortège, pourrait bien changer le fonctionnement de notre voisine démocratie, ce que les espagnols nomment le « PPSOE ». Frustrés et déçus de l’alternance inefficace de ces dernières décennies, les espagnols ont montré leur désir d’alternative, incarnée par Podemos, cavalier seul en l’absence d’une extrême droite organisée.

Évidemment, il ne s’agit que de sondages et rien n’est joué d’avance. Les élections municipales et régionales n’auront lieu qu’au printemps 2015 et les élections générales (l’équivalent de nos élections législatives, les députés nomment ensuite le premier ministre) n’auront, elles, lieu qu’à la fin de l’année 2015. C’est aussi beaucoup de temps pour que le gouvernement de Mariano Rajoy continue sa politique de restriction (retour sur l’avortement, loi dite de sécurité citoyenne qui restreint la liberté d’expression et de manifestation, austérité comme s’il en pleuvait), mais aussi pour que l’opposition s’empêtre dans un attentisme devenu habituel.

Coalition indispensable et impossible

Pour Pablo Iglesias, le leader de Podemos, l’objectif pour 2015 est clair, prendre la place du PSOE en tant que première force d’opposition et renverser le système. Alors, le PPSOE ne pourra plus gouverner seul. Mais l’éventualité d’une grande coalition, de droite à gauche ou simplement à gauche, semblent pour l’instant bien loin dans les esprits. En face, le Parti Populaire espère que la gauche ne parviendra pas à créer une union. La secrétaire générale du Parti Populaire, María Dolores de Cospedal, pour sa rentrée politique, a défendu l’existence de deux « grands partis nationaux qui peuvent discuter et se mettre d’accord ». Tout ce que les Espagnols adorent.

Il faut dire que Podemos est d’une habilité suprême avec les espagnols. Aux catalans, Pablo Iglesias dit « non » à l’indépendance, mais « oui » au droit à l’auto-détermination. Une position qui devrait lui permettre de faire une entrée fracassante au parlement catalan.

Au niveau national, c’est toute la gauche qui se fait absorber. Podemos appuie tout son discours sur des idées de changement majeures des institutions, en instaurant la république et en mettant en place une « démocratie participative » à travers des réseaux sociaux ou des assemblées populaires. Le mouvement se veut d’une totale transparence en publiant ses comptes sur son site et en martelant ses slogans, « reprendre en main l’économie, conquérir la liberté, construire la démocratie ».

Le citoyen d’abord

Désormais membre du même groupe au parlement européen, il suffit de prendre les programmes du Front De Gauche et de Podemos pour se rendre compte de leurs similitudes, renversement du régime (monarchie, cinquième république), égalité entre les femmes et les hommes, lutte contre les discriminations, remise en cause du traité de Lisbonne, redonner le pouvoir au peuple. Tant de sujets qui rassemblent les deux partis.

Pour Raquel Garrido, porte-parole internationale du Parti de Gauche, l’heure est désormais à la « mutualisation des méthodes ». Elle insiste sur l’apport du Parti de Gauche à Podemos, notamment en matière d’organisation du militantisme. Cependant, Raquel Garrido reconnait la facilité technique avec laquelle les espagnols organisent des forums (sur le web et via des applications pour smartphones) et des assemblées constituantes, bien que le Parti de Gauche « en faisait avant eux, pour les présidentielles de 2012 », du moins le pensent-ils.

L’hyper-démocratie, en appelait au peuple et pas seulement à la gauche, voilà bien quelques idées de Pablo Iglesias et ses camarades que Jean-Luc Mélenchon semble vouloir faire sienne avec son mouvement pour la sixième république, lui que certains soupçonnent de vouloir tuer le Front De Gauche et le Parti de Gauche car ils seraient devenus des « outils » inefficaces. Mais Jean Luc Mélenchon saura-t-il s’oublier pour atteindre ce qui fait tout l’intérêt de Podemos, à savoir l’horizontalité totale des décisions ?

Marche ou crève

Mais au-delà des méthodes et des pratiques, il y a aussi les sujets, non pas qui divisent, mais qui font prendre à chacun des chemins différents. Le Front De Gauche parle énormément d’argent et de son « pouvoir qu’il faut reprendre aux banques et aux marchés financiers ». Podemos aussi est farouchement opposé à l’ensemble du système néo libéral.

Comme le Front De Gauche, l’organisation critique la BCE mais ne prône pas pour autant la sortie de l’euro. Cependant, le parti espagnol accorde une plus grande importance à des aspects de la vie plus concrets, comme l’accès pour tous à une alimentation saine, à l’eau, et aux libertés et droits fondamentaux, cause directe de la politique de Rajoy anti-avortement, anti-manifestations et de plusieurs années de diète économique.

Autre différence, et elle est de taille, Podemos n’a eu besoin d’aucune alliance avec d’autres partis politiques pour percer. Les communistes espagnols, ou même les socialistes, vont avoir de quoi débattre longuement en interne sur la position à prendre face à ce parti grandissant, à moins qu’il ne soit déjà trop tard.

par Loïc Le Clerc, Marianne


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