La chute de la France

lundi 8 septembre 2014.
 

par Paul Krugman, prix Nobel d’économie

François Hollande, le président français depuis 2012, aurait pu être un candidat sérieux. Il a été élu en promettant d’en finir avec les politiques d’austérité qui ont tué la brève et inadaptée relance économique de l’Europe. Puisque la justification intellectuelle de ces mesures était faible et allait bientôt s’écrouler, il aurait pu être à la tête d’un groupe de pays exigeant un changement de cap. Mais ça n’a pas été le cas. Une fois en poste, Hollande a plié rapidement, cédant complètement à toutes les demandes d’une austérité encore plus forte.

Par contre, il ne faut pas penser qu’il manque totalement de cran. Cette semaine, il a pris des mesures décisives mais qui ne concernent malheureusement pas l’économie, bien que les conséquences désastreuses de l’austérité européenne deviennent plus évidentes tous les mois, et même Mario Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne, en appelle à un changement de cap. Non, Hollande a utilisé toute son autorité pour éliminer de son gouvernement tous les membres qui ont osé remettre en question sa servilité à l’égard de Berlin et Bruxelles.

L’Europe toute entière est en grand danger

C’est un spectacle à ne pas rater. Cependant, afin de l’apprécier à sa juste valeur, il nous faut comprendre deux choses. La première, c’est que l’Europe toute entière est en grand danger. La seconde, c’est qu’à l’intérieur de ce tableau général désastreux, les performances françaises sont pourtant bien meilleures que ce que l’on pourrait penser en écoutant les médias. La France n’est pas la Grèce, elle n’est même pas l’Italie. Mais elle se laisse malmener comme si elle était un cas désespéré.

En ce qui concerne l’Europe : tout comme les Etats-Unis, la zone euro – les 18 pays qui utilisent l’euro comme monnaie unique – a commencé à se relever de la crise financière de 2008 au milieu de l’année 2009. Mais après une crise de la dette apparue brutalement en 2010, certains pays européens ont été obligés, afin de prétendre à un prêt, d’opérer des coupes drastiques et d’augmenter les impôts pour les familles qui travaillent. Pendant ce temps, l’Allemagne et les autres pays créditeurs n’ont rien fait pour contrebalancer cette pression à la baisse, et la Banque Centrale Européenne, à l’inverse de la Réserve Fédérale ou de la Bank of England, n’a pris aucune mesure particulière pour donner un coup de fouet aux dépenses privées. Le résultat, c’est que la relance européenne a subi un coup d’arrêt en 2011 et n’a jamais vraiment redémarré.

Aujourd’hui, l’Europe est bien plus mal en point que ce qu’elle était lors d’une période similaire de la Grande Dépression. Et se profilent à l’horizon des nouvelles encore plus mauvaises, puisque l’Europe montre tous les signes d’un glissement dans un piège de la déflation à la japonaise.

Où est la France dans ce tableau ? Les media décrivent sans arrêt l’économie française comme un bazar dysfonctionnel, handicapé par une forte imposition et une forte règlementation gouvernementale. Cela fait dont un choc lorsque l’on regarde les chiffres qui ne correspondent pas du tout à cette histoire. La France ne va pas bien depuis 2008 – notamment elle est à la traîne de l’Allemagne – mais la croissance de son PIB est bien meilleure que la moyenne européenne, dominant non seulement les économies troublées du sud de l’Europe mais également des pays créditeurs comme les Pays Bas.

Sur le front de l’emploi, la France ne se situe pas si mal que ça. En fait, les adultes dans la force de l’âge ont bien plus de chances d’avoir un travail en France qu’aux Etats-Unis. La situation de la France ne semble pas non plus particulièrement fragile. Elle n’a pas un fort déficit commercial et elle peut emprunter à des taux historiquement bas. Pourquoi donc la France a-t-elle si mauvaise réputation ? Il est difficile de ne pas penser que ces suspicions sont d’ordre politique : La France a un gouvernement très présent et un état providence généreux, ce qui devrait mener droit au désastre économique selon l’idéologie des libres-marchés. Le désastre est donc ce qui est rapporté dans les media, même si les chiffres disent autre chose. Et Hollande, même s’il est à la tête du Parti Socialiste français, semble croire ces calomnies motivées par l’idéologie. Pire encore, il est tombé dans un cercle vicieux dans lequel les mesures d’austérité font stagner la croissance, et cette croissance qui stagne devient la preuve que la France a besoin de davantage d’austérité. C’est une bien triste histoire, et pas seulement pour la France.

Dans l’immédiat, l’économie française est en très mauvais état. Je pense que Draghi se rend compte à quel point c’est grave. Mais la banque centrale ne peut pas faire de miracles, et il a, quoi qu’il en soit, une marge de manœuvre limitée, à moins que les dirigeants élus ne veuillent défier l’orthodoxie de la monnaie métallique et des budgets à l’équilibre. Pendant ce temps, l’Allemagne est incorrigible. Sa réponse officielle aux remous français a été une déclaration selon laquelle " il n’existe pas de contradiction entre la consolidation et la croissance" – hé oui, peu importent les quatre dernières années, nous sommes toujours persuadés que l’austérité est expansionniste.

L’Europe a donc désespérément besoin que le dirigeant d’une économie majeure – qui n’est pas trop mal en point – relève la tête et dise que l’austérité est en train de tuer les perspectives économiques du Vieux Continent. Hollande aurait pu et aurait dû être ce dirigeant, mais il ne l’est pas.

Et si l’économie européenne continue de stagner ou pire encore, qu’adviendra-t-il du projet européen – cet effort sur le long terme pour garantir la paix et la démocratie grâce à une prospérité partagée ? En ne répondant pas aux attentes en France, Hollande met également l’Europe toute entière en échec – et l’on ignore jusqu’où cette terrible situation peut aller.

Paul Krugman


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