Affaire Novartis et pétition en défense des génériques : les arguments de Médecins Sans Frontières

lundi 26 février 2007.
 

 » 1 - Quel est l’objectif de Novartis en lançant une action en justice contre la loi indienne sur les brevets ?

Novartis combat pour que les brevets soient délivrés plus facilement en Inde car les compagnies pharmaceutiques s’intéressent au marché des riches élites dans les « économies émergentes ». Ce faisant, ces entreprises ignorent deux faits : tout d’abord, la majorité des personnes ont peu de ressources financières et d’autre part, l’Inde est le fournisseur principal de médicaments génériques pour le monde en voie de développement.

 » 2 - Quelle disposition de la loi indienne sur les brevets Novartis conteste-t-il ?

Novartis attaque l’article 3 (d), celui qui stipule que les nouvelles formes ou les nouvelles utilisations de substances déjà connues ne sont pas des inventions. Elles ne peuvent donc pas faire l’objet d’un brevet sauf si la preuve est apportée que « l’efficacité de la substance en est améliorée ».

Novartis conteste cette disposition de la loi indienne car son brevet sur le Glivec ® a été rejeté sur cette base. D’autres multinationales auraient probablement envisagé une même action si l’un de leurs brevets avait été rejeté sur cette base.

 » 3 - Pourquoi Novartis accuse-t-il cette disposition d’être inconstitutionnelle ?

Selon Novartis, la section 3 (d) de la loi est inconstitutionnelle parce qu’elle violerait les accords ADPIC, que l’Inde a signé et ratifié. Pour le laboratoire, l’Inde ne respecte donc pas son obligation constitutionnelle de transcrire ces accords dans sa loi nationale et de les faire respecter.

 » 4 - Pourquoi l’action en justice se déroule-t-elle en Inde et non pas devant l’OMC ?

Novartis, en tant qu’entreprise privée, ne peut pas soumettre un différend à l’OMC. Seuls les pays membres de l’organisation y sont habilités. Pour que l’OMC se prononce sur ce différend, il faudrait que Novartis convainque un Etat de contester la conformité aux accords ADPIC de la loi indienne. C’est d’ailleurs une option que ce laboratoire pourrait envisager s’il perd son procès en Inde.

 » 5 - En 2001 à Pretoria, 39 laboratoires avaient uni leurs forces pour attaquer le gouvernement d’Afrique du Sud - avant de devoir abandonner leur plainte suite à la mobilisation des associations. Cette fois-ci, Novartis est-il seul ?

Comme en 2001, Novartis s’attaque aujourd’hui à une loi nationale qu’il considère non conforme aux accords ADPIC. Cette année là, la contestation portait sur les importations parallèles, qui ont tout de même survécues et ont été confirmées par la suite lors de la Déclaration de Doha. Aujourd’hui, la question porte sur la marge d’appréciation que peuvent avoir les pays sur les conditions de brevetabilité définies par les accords ADPIC.

Si Novartis n’avait pas pris l’initiative d’intenter ce procès, il est fortement probable qu’une autre compagnie pharmaceutique l’aurait fait.

 » 6 - Pourquoi les compagnies pharmaceutiques se sentent-elles menacées par la loi indienne ?

La grande majorité des médicaments est protégée par un brevet déposé sur la molécule, suivie d’un ensemble de brevets sur ses diverses formes ou utilisations, chacun durant encore 20 ans. L’article 3 (d) de la loi indienne menace donc de réduire sérieusement les possibilités de monopoles très longs, permis par le dépôt de l’ensemble de ces brevets, au seul brevet de 20 ans pour l’innovation originelle.

 » 7 - Si un changement apporté à une molécule a des conséquences bénéfiques sur les traitements des patients, ne devrait-il pas pouvoir faire l’objet d’un brevet ?

Ce genre de brevets sur des améliorations de molécules déjà connues est largement délivré dans les pays riches qui accèdent la plupart du temps aux demandes des compagnies. La question est donc plutôt : est-ce que les pays en voie de développement - où la majorité de la population paie les médicaments de sa poche, sans en avoir les moyens - devraient avoir le même système de brevets que les pays riches ? Nous ne le pensons pas.

Selon les règles de l’OMC, les pays comme l’Inde ne peuvent plus négliger le système des brevets sur les médicaments comme ils l’ont fait par le passé. Mais la loi indienne actuelle a essayé d’équilibrer deux choses : se conformer aux règles de l’OMC d’une part, et garder un nombre de brevets limité afin de sauvegarder l’accès aux médicaments de l’autre. Le fait que l’Inde délivre des brevets nous avait déjà beaucoup inquiété : nous n’aurions jamais pu soigner les 80.000 patients atteints du HIV/SIDA dans nos programmes si l’Inde avait accordé des brevets sur ces médicaments antirétroviraux. À cet égard, nous soutenons le mouvement indien de concevoir un système qui préserve l’accès aux médicaments essentiels.

 » 8 - Un rapport publié en Inde par la « Commission de Mashelkar » indique que la loi indienne n’est pas conforme aux accords internationaux sur les ADPIC. Qu’en est-il ?

Le rapport a été publié à la demande de partis politiques de gauche en Inde. Ils voulaient savoir si le système indien des brevets pourrait être plus restrictif encore et ne protéger que les nouvelles entités chimiques (NEC). A cette question, le rapport répond par la négative. Mais cela ne va pas à l’encontre de la loi indienne qui n’est pas aussi restrictive.

A noter que ce n’est pas cette question (la stricte limitation du brevet aux nouvelles entités chimiques est-elle conforme aux accords ADPIC ?) qui sera devant la cour de Chennaï le 15 février, mais celle de savoir si l’article 3d est conforme aux ADPIC.

Le rapport recommande de délivrer des brevets sur les innovations mineures argumentant que ce serait dans l’intérêt de l’industrie pharmaceutique indienne. Cependant il ne tient pas compte des intérêts indiens en matière de santé publique et ignore également l’intérêt général de santé publique.

En outre, la qualité technique du rapport a été remise en cause par beaucoup d’experts. Plusieurs spécialistes universitaires du droit ont souligné à la Commission que la restriction des brevets aux seules NEC serait en fait conforme aux accords ADPIC. Ces avis argumentés ont été ignorées par la commission qui a rendu une « opinion ».

 » 9 - L’audience du procès devait reprendre lundi 29 janvier. Que s’est-il passé ?

L’audience a été reportée au 15 février prochain. Novartis a apporté un nouveau document dans son argumentation. Ce nouvel élément a incité la défense, le gouvernement indien, à demander au juge de repousser la séance afin d’étudier ce texte.

 » 10 - Quelle décision pourrait rendre le juge ?

Si l’action de Novartis est rejetée et que le magistrat confirme que la loi indienne ne viole pas les accords ADPIC, d’autres demandes de brevet en attente seront examinées avec les mêmes critères restrictifs. Cela devrait donc, à notre avis, avoir un impact positif sur l’accès aux médicaments.

Si Novartis obtient gain de cause et que le juge décide que la loi indienne n’est pas conforme aux engagements internationaux du pays, alors cette loi sur les brevets sera probablement renvoyée devant le Parlement indien.

 » 11 - Et ensuite, l’histoire s’arrêtera-t-elle là ?

Novartis se focalise sur le refus d’accorder un brevet à son médicament, le Glivec ® , et la section 3 (d) de la loi indienne. Toutefois, le laboratoire mentionne aussi, dans sa plainte, qu’il considère la section 11A (7) du Patent Act comme une violation des accords ADPIC. Cet article concerne les brevets accordés sur des médicaments dont des versions génériques sont déjà produites et commercialisées par un laboratoire indien avant janvier 2005, c’est à dire avant que l’Inde n’introduise la brevetabilité des médicaments dans sa loi. Dans un tel cas, l’article 11 A (7) prévoit des licences automatiques : le fabricant générique peut alors continuer de produire et de vendre le médicament breveté, moyennant le versement de royalties au titulaire du brevet. C’est une disposition importante qui permet de continuer à produire des médicaments actuellement disponibles.

Dans son action, Novartis mentionne que, si le brevet sur le Glivec était accordé, il s’attaquera probablement à l’article 11 A (7). Ceci semble indiquer que le procès intenté par Novartis contre la loi indienne n’est que la première étape d’une série d’actions judiciaires.

 » 12 - Quel est le lien entre brevet et accès aux médicaments ?

La protection d’un médicament par un brevet permet à l’entreprise propriétaire d’être la seule à pouvoir produire et commercialiser ce produit. Elle se retrouve en situation de monopole : elle peut alors le vendre au prix qu’elle veut, où elle veut, et quand elle veut. Par conséquent, le ministère de la santé d’un pays, une organisation comme MSF, ou encore un malade ayant besoin du médicament sont contraints d’accepter les conditions de la compagnie pharmaceutique car il n’existe pas de versions génériques du médicament et donc de sources d’approvisionnement alternatives.


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