La punition de la BNP est une provocation

jeudi 10 juillet 2014.
 

Je proteste contre la décision des États-Unis prise contre la BNP. Non parce qu’elle est française, même si je sais que cet aspect du tableau n’est pas sans signification outre atlantique. Et pour ne pas perdre d’espace à expliquer à nombre de personnes qu’une banque nationalisable n’aura jamais le même statut à mes yeux, et dans l’exercice du pouvoir un jour, qu’une autre qui ne le serait pas du fait de sa nationalité. Ici, je veux m’en tenir à l’analyse du cas, tellement il est révélateur de ce qu’est l’impérialisme américain actuel. Tellement il est révélateur du futur qu’ils réservent au vieux continent une fois qu’il aura été annexé dans le cadre du Grand Marché Transatlantique. En contraignant la banque française BNP Paribas à une sanction financière et commerciale historique, les Etats-Unis ont posé un véritable acte de guerre économique face à la France et à l’Europe. L’amende est imposée pour avoir violé l’embargo imposé par ce seul État sur Cuba, l’Iran et le Soudan. Précisons d’ailleurs que l’embargo sur Cuba a été condamné des dizaines de fois par l’assemblée des Nations Unies. L’origine politique de cette sanction, sa gravité et son contenu géopolitique auraient dû justifier une vive réplique de la part du gouvernement français et de l’Union européenne. Il n’en a rien été ! Hollande, fidèle a son allégeance atlantiste, s’est couché au premier coup de sifflet ! Et le gouvernement français a aussitôt pleurniché sous la gifle : il n’y aura pas de risque pour les négociations du Grand Marché Transatlantique. Après l’espionnage généralisé des européens par les services états-uniens, c’est la deuxième capitulation et humiliation des Européens en silence en moins d’un an. La présidence Hollande étant la plus servile.

Car il s’agit bien là d’une sanction politique et non pas judiciaire. Il n’y a pas eu de tribunal, ni de procès, avec des procédures transparentes et contradictoires.

C’est une véritable armada institutionnelle qui a attaqué la banque française pour avoir violé les lois extraterritoriales imposant l’embargo sur Cuba, l’Iran et le Soudan. BNP Paribas s’est retrouvé face aux feux conjoints des ministères de la Justice et du Trésor, mais aussi de la Banque centrale et du régulateur bancaire de l’Etat de New-York, qui contrôle Wall Street. Pas moins de trois procureurs ont mené l’attaque : celui de l’Etat de New-York, Cyrus Vance, celui de Manhattan et le ministre de la Justice des Etats-Unis, Eric Holder. Ce dernier avait même indiqué en mai qu’il « supervisait personnellement les enquêtes en cours » sur les violations de l’embargo et qu’il « entendait qu’elles aboutissent ». L’attaque a donc été clairement portée depuis la tête politique du pays. D’ailleurs, même le régulateur bancaire de New York, Benjamin Lawsky, qui a mené le chantage contre la banque en la menaçant de lui retirer ses licences bancaires pour exercer à Wall Street, est potentiel candidat pour devenir gouverneur démocrate de l’Etat de New-York. Tous les protagonistes de cette attaque sont proches de l’administration Obama.

L’ampleur de la sanction est aussi politique. Avec 8,9 milliards de dollars à payer (6,5 milliards d’euros), c’est la plus grosse sanction jamais infligée à une banque étrangère par les Etats-Unis. Les efforts de BNP Paribas pour négocier ont d’ailleurs été vains, tout comme l’intervention du gouvernement français, puisque BNP proposait initialement de payer 4,8 milliards. A cette sanction financière s’ajoutent des sanctions commerciales multiples. D’abord, la suspension du droit de pratiquer certaines transactions en dollar pendant un an. Le fait que les Etats-Unis aient contraint la banque à plaider coupable sous la menace de lui retirer toute licence bancaire est aussi très dangereux commercialement. D’ailleurs, cela n’a jamais été appliqué à une banque états-unienne. Car cette reconnaissance juridique de culpabilité donne le droit, au même titre qu’une condamnation pénale, à certains régulateurs bancaires nationaux d’interdire désormais l’activité de la banque sur leur territoire en arguant de ses mauvaises pratiques. Les règlements de certains fonds de pension comportent même des clauses interdisant d’investir dans une entreprise dans pareil cas. BNP Paribas s’expose donc à des risques en chaîne. Enfin, il ne faut pas oublier la sanction boursière subie par la banque après plusieurs mois de poursuites publiques. 15 milliards de capitalisation boursière sont ainsi parti en fumée depuis février avec la chute de l’action BNP.

Il ne s’agit pas bien sûr de s’apitoyer sur le sort d’une banque dont les pratiques spéculatives sont par ailleurs très discutables. BNP Paribas détient le record des banques françaises pour le nombre de filiales dans les paradis fiscaux. Et justement, les opérations de contournement de l’embargo ont été effectuées via la filiale suisse de la banque, elle-même soupçonnée de longue date pour son rôle dans l’évasion fiscale. Il ne s’agit pas non plus de dire que le moindre argent public devrait venir en aide à BNP Paribas. Avec 6 milliards de bénéfices annuels et des distributions records de dividendes à ses actionnaires depuis des années, BNP a les moyens de payer en 2 ou 3 fois l’amende de 6,5 milliards d’euros. Il faudra cependant veiller à ce que les actionnaires n’essaient pas de faire payer avant tout les salariés de la banque.

Le contenu de ce litige des USA avec BNP est fondamentalement géopolitique. Il est donc reproché à la banque française d’avoir violé l’embargo décidé par les États-Unis sur Cuba, l’Iran et le Soudan en effectuant des transactions en dollar avec ces États pendant 10 ans à partir de 2002. En le faisant, la banque n’a pourtant violé aucune loi française, européenne ou internationale. Car en droit international, un embargo décrété par un pays contre un autre, à supposer qu’il ne soit pas considéré comme un acte de guerre, ne s’applique qu’aux acteurs économiques de l’État qui a décidé cet embargo. En violation du droit international, les États-Unis considèrent que leurs embargos ont une application extraterritoriale, c’est-à-dire au-delà de leurs frontières. Ils se réservent donc le droit de sanctionner des entreprises ou des citoyens dans le monde entier. Ils considèrent ainsi chaque dollar en circulation comme une parcelle de leur territoire, poussant la souveraineté monétaire à l’extrême. On pourrait dire aux naïfs qui en détiennent des quantités que c’est là une menace compromettant le caractère international du dollar voire, à terme, sa convertibilité. Et à tous les autres naïfs qui regardent de haut ce que nous disons sur la conséquence de l’hégémonie du dollar, nous recommandons une méditation sur le danger de l’irealpolitik et son angélisme mortel.

D’autant que les USA appliquent leurs propres principes avec beaucoup de souplesse. En fait et globalement, ils font ce qu’ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent, du moment que cela est conforme à leurs intérêts et à leur pouvoir. Ainsi, les USA ont une application discrétionnaire et très fluctuante dans le temps de ces embargos. Alors que les violations de l’embargo par la BNP étaient connues des Etats-Unis dès 2006-2007, ils ont attendu plusieurs années avant de menacer de sanctions. C’est à partir de 2009 et la crise financière que les États-uniens adoptent une nouvelle stratégie agressive face à l’Europe qui va dérouter BNP Paribas. Le rôle des banques et agences de notation états-uniennes dans la crise grecque puis celle de l’euro en attestent. Les Etats-Unis se lancent dans une véritable reprise en main mondiale du système financier pour maintenir la suprématie du dollar. Des circulaires de la Réserve fédérale exigent dès lors des banques étrangères qu’elles se conforment à toutes les lois états-uniennes y compris à l’étranger si elles veulent continuer à exercer.

Ce n’est pas un hasard si BNP Paribas est la première banque européenne attaquée pour violation des embargos. Ses transactions gazières et pétrolières avec les trois pays concernés (190 milliards dont 30 milliards jugés illégaux par les Etats-Unis) représentent une taille critique vitale pour les économies de ces pays. Leur PIB se situe en effet entre 60 milliards annuels pour Cuba ou le Soudan et 500 milliards annuels pour l’Iran. Le choix de la BNP de continuer ses activités avec ces pays a donc eu un rôle majeur pour leur survie économique face à l’embargo. Et c’était d’autant plus stratégique et insupportable pour les Etats-Unis que les entreprises pour le compte desquelles BNP effectuait ces transactions étaient souvent chinoises. Des importateurs de gaz et de pétrole voulant contourner les filières d’approvisionnement alliées des Etats-Unis. Sanctionner durement BNP Paribas était donc une exigence géopolitique pour l’administration Obama. Il s’agit de faire peur à toutes les banques européennes. D’autant que des poursuites en cascade sont en cours contre d’autres banques européennes pour violations de l’embargo : contre les françaises Crédit agricole et Société Générale, les allemandes Deutsche Bank et Commerzbank et l’italienne Unicredit. L’attitude des gouvernements concernés de ces pays sera décisive.

L’action du gouvernement français a été totalement inefficace. Une fois de plus, Hollande n’a servi à rien. Officiellement, le gouvernement a pris acte de la sanction. On ne saura jamais au nom de quel principe ni de quel mandat. Depuis des mois, il en contestait le montant mais pas la légitimité. C’est toute la logique de ce pauvre Hollande qui est contenue dans cette attitude de capitulation. Son vis-à-vis américain a bien compris que cela ne pouvait être un tracé de ligne rouge à ne pas franchir. Il est donc mal placé pour dire désormais, comme Michel Sapin à l’annonce de la sanction, que les lois extraterritoriales des Etats-Unis posent problème. Pourquoi alors avoir accepté depuis des mois le principe de telles sanctions et ne pas avoir aidé la banque française à s’y soustraire au nom du droit international ? Pourquoi ne pas avoir porté l’affaire devant l’ONU puisqu’il est question d’embargos sans légalité internationale ? L’incohérence et l’inconséquence du gouvernement sont totales. Il en est de même concernant l’impact de cette affaire sur les négociations du Grand Marché Transatlantique. Arnaud Montebourg a annoncé qu’elles allaient se durcir. Mais la ministre Fleur Pellerin s’est ensuite empressée de dire qu’il n’y avait « pas de risque » pour les négociations.

Hollande a été non seulement incohérent mais aussi inefficace. Alors que le conflit est public depuis février, le gouvernement n’est intervenu qu’en juin pour contester le montant de l’amende. Il a ainsi été réduit à en marchander en vain le montant. Obama a vite compris quel genre de personnage il avait en face de lui. A moins qu’il ait disposé des moyens de savoir que François Hollande ne résistera jamais à une décision des USA. On peut dire que de toute façon, Hollande lui-même s’est mis au garde à vous à la façon des faibles en demandant directement à Obama des sanctions « proportionnées ». Alors que toute son administration était mobilisée pour faire céder la banque française, Obama a rejeté la demande en faisant mine de n’avoir aucune responsabilité dans le dossier. A force de céder sur tout aux Etats-Unis, le dossier BNP montre que Hollande n’a plus aucune crédibilité et marge de manœuvre internationale. Il a rangé la France dans la case des soumis et il faudra des efforts populaires et politiques considérables pour l’en ressortir.

La leçon géopolitique de cette attaque contre une banque française est que les Etats-Unis sont plus que jamais lancés dans une fuite en avant agressive, tant sur le plan militaire que sur le plan économique et monétaire. Déjà sans valeur réelle intrinsèque depuis qu’il est déconnecté de toute contrepartie matérielle, le dollar est désormais une monnaie dangereuse pour ceux qui la manipulent. Le dollar est plus que jamais une arme géopolitique qui expose celui qui la détient ou l’utilise à des risques juridiques et géopolitiques sur les fronts ouverts dans le monde entier par les Etats-Unis. La Chine et la Russie l’ont bien compris en signant un accord en mai 2014 pour se passer totalement du dollar dans leurs échanges, notamment énergétiques. Une information que le grotesque système médiatique français n’a ni vu ni analysé. Il s’agit pour ces grands pays émergents de créer des zones commerciales sécurisées contre les sanctions unilatérales et extraterritoriales, c’est-à-dire sans dollar.

L’expérience des sanctions contre BNP montre que les États, entreprises et banques européens auraient aussi un intérêt croissant à se passer du dollar. L’Europe le comprend malheureusement trop lentement. La part du dollar dans les réserves de change mondiales des États a perdu 10 points en 10 ans : elle est passée de 71 % en 2001 à 61 % aujourd’hui. Ne doutez pas un instant que les USA prennent cela très au sérieux, car c’est leur survie qui est en jeu ! Celle de l’euro est passée de 17 à 27 %. La crise de l’euro est donc arrivée à point nommée pour l’outre atlantique. Mais la part du dollar dans les échanges commerciaux et monétaires dépassent encore les 80 %. Pour la sécurité du monde, il est temps que ça change ! Je suis partisan d’une alliance altermondialiste avec les grands pays émergents. Un des éléments essentiels de cette nouvelle alliance serait la création d’une nouvelle monnaie internationale de réserve et d’échange comme le propose la Chine depuis 2009. Les Etats-Unis le savent ! Tout le monde le sait. Il n’y a donc que deux camps. Ceux qui se préparent à la suite et ceux qui n’en veulent pas. Hollande est un homme du passé atlantiste.


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