Grand Marché Transatlantique... dix menaces pour les peuples européens

dimanche 22 mars 2015.
 

1. Non-respect des droits fondamentaux du travail. Les Etats-Unis n’ont ratifié que deux des huit normes fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui visent à protéger les travailleurs. De leur côté, tous les pays membres de l’Union européenne ont adopté les réglementations promues par l’organisme des Nations unies. L’histoire suggère que l’« harmonisation » à laquelle conduisent les traités de libre-échange tend à se faire sur la base du plus petit dénominateur commun. Les salariés européens peuvent donc craindre une érosion des droits dont ils bénéficient actuellement.

2. Dégradation des droits de représentation collective des salariés. Le grand marché transatlantique (GMT) vise à éradiquer les « barrières » freinant les flux de marchandises entre les deux continents. Objectif : faciliter la possibilité pour les entreprises de choisir les lieux d’implantation de leurs sites de production en fonction des « coûts », notamment sociaux. Or les droits de participation des travailleurs — comme l’information et la consultation des comités d’entreprise — continueront à s’arrêter aux frontières. Le rapprochement transatlantique équivaudrait donc à un affaiblissement du droit des travailleurs, pourtant garanti dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

3. Allégement des normes et standards techniques. Dans ce domaine, l’approche européenne de normalisation se distingue largement de celle des Etats-Unis. En Europe, le principe de précaution s’impose : la mise sur le marché d’un produit dépend d’une évaluation préalable des risques qu’il présente. Les Etats-Unis procèdent à rebours. L’évaluation s’effectue postérieurement et s’accompagne d’une garantie de prise en charge des conséquences de tout problème rencontré après la mise sur le marché (possibilité de recours collectifs ou class action, indemnisation pécuniaire). En Europe, les risques pris en considération ne se limitent pas aux dangers encourus par les consommateurs. Ils incluent ceux liés aux conditions de travail, ainsi qu’à la santé et à la sécurité professionnelle, même s’ils ne sont pas toujours respectés. Les Etats-Unis, eux, les ignorent superbement.

L’harmonisation qui enchante tant les lobby patronaux comporte plusieurs dangers : affaiblissement du principe de précaution (sans prise en charge postérieure) ; possibilité d’émergence d’un double système dans lequel les entreprises pourraient choisir tel ou tel dispositif de normalisation ; recul de la protection des salariés sur leur lieu de travail. La perspective de création d’un « conseil de coopération réglementaire » transatlantique échappant largement au contrôle démocratique et au regard des syndicats n’a donc rien de rassurant (lire l’article de Martin Pigeon, « Silence, on négocie pour vous »).

4. Restriction de la liberté de circulation des personnes. La circulation des personnes n’est envisagée que sous forme de prestation de service dite « mode 4 », c’est-à-dire, « par la présence de personnes physiques d’un pays sur le territoire d’un autre pays (1) ». Un dispositif également appelé « détachement de travailleurs », qui concourt au dumping social au sein de l’Union (2).

Dans les négociations en cours, la mobilité et la migration ne sont considérées que sous l’angle de l’intérêt économique ; le droit fondamental à la liberté de circulation n’apparaît pas. On aurait pourtant pu imaginer qu’une harmonisation du droit et des législations du travail permette aux personnes de bénéficier des mêmes libertés et garanties que les marchandises et les capitaux...

5. Absence de sanctions contre les abus. Les traités de libre-échange comportent traditionnellement un chapitre dit de « développement durable », qui englobe des dispositions relatives au droit social et du travail, à l’écologie, à la protection du climat et du droit des animaux, ainsi qu’au monde rural. Contrairement aux autres, ces chapitres ne prévoient en général aucun mécanisme de résolution des conflits ni aucune possibilité de sanction en cas de violation. Alors que les articles traitant des domaines économique et technique se caractérisent par des juridictions très précises et la possibilité de sanctions, ceux concernant le droit social restent flous, et les sanctions prévues n’offrent que peu de possibilités d’invocation devant les juridictions.

6. Disparition progressive des services publics. Les négociations s’orientent vers une ouverture à la privatisation des services publics par la technique dite de « liste négative ». Celle-ci consiste à répertorier l’ensemble des services publics fermés à la privatisation, sous-entendant que le cas contraire fait figure de norme. Là encore, l’expérience suggère que des problèmes de définition ou de formulation ouvrent des portes dérobées facilitant les privatisations au-delà du cadre initialement prévu. Par ailleurs, tout type de service qui émergerait pour répondre à des besoins nouveaux serait automatiquement considéré comme appartement au secteur privé.

7. Accroissement du chômage. Au sein de l’Union, les entreprises non européennes peuvent bénéficier de marchés publics. Beaucoup moins aux Etats-Unis, où les règles visant à garantir un minimum de « contenu local » sont très répandues. Résultat : un élargissement des marchés accessibles aux entreprises américaines, sans contrepartie pour leurs homologues européennes, avec des conséquences néfastes sur l’emploi au sein de l’Union.

8. Perte de confidentialité des données personnelles. Les peuples européens tiennent traditionnellement à la protection de leurs données personnelles. Les réglementations américaines suggèrent un attachement moins grand de la population outre-Atlantique. Dans un contexte de libéralisation des services, la garantie de cette protection devient hypothétique : comment déterminer le lieu du stockage et le droit applicable quand les données se trouvent dans un « nuage » ?

9. Soumission des populations à la défense de la propriété intellectuelle. Ce qu’un effort concerté des syndicats et des organisations politiques ou associatives européennes a permis d’éviter lors du débat sur l’accord commercial anti-contrefaçon risque de revenir sur la table avec le GMT. Les dispositions de protection de la propriété intellectuelle et industrielle font actuellement l’objet de négociations et pourraient menacer la liberté sur Internet, priver les auteurs de la liberté de choix dans la diffusion de leurs œuvres ou encore limiter l’accès aux médicaments génériques.

10. Et, bien sûr, soumission des Etats à un droit taillé sur mesure pour les multinationales (lire « Des tribunaux pour détrousser les Etats »).

Wolf Jäcklein

(1) Site Internet de la direction générale du commerce, www.europarl-europa.eu

(2) Lire Gilles Balbastre, « Travail détaché, travailleurs enchaînés », Le Monde diplomatique, avril 2014


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message