Les deux maladies ataviques de l’Europe : l’ethnie et la frontière (Edgar Morin)

vendredi 6 juin 2014.
 

Extraits d’un interview d’Edgar Morin dans Ouest France en mars 2014.

Citoyen du monde ?

Mais on a plusieurs patries. La France est ma patrie. L’Europe est ma patrie. La Méditerranée, est ma patrie. Tout ceci n’est pas incompatible, c’est au contraire nécessaire de les joindre. L’Europe a toujours eu un humanisme. Sa vertu, c’est un humanisme ouvert sur le reste du monde. C’est une compréhension des autres cultures, c’est cela la vertu de l’Europe. C’est ce qu’il faut développer.

Les sondages annoncent plutôt une affirmation des partis dits populistes. Craignez-vous un retour du nationalisme ?

On en voit des symptômes. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est qu’on a eu en même temps la psychose anti-Rom, l’islamophobie, le phénomène autour de Dieudonné. Donc, on a bien des signes d’un malaise profond, qui se fixe sur l’autre. C’est inquiétant. J’ai vécu une période de somnambulisme entre 1930 et 1940, on allait à la guerre sans se rendre compte de rien. J’ai un peu le sentiment de vivre une nouvelle époque de somnambulisme.

Vous parlez des deux maladies ataviques de l’Europe : l’ethnie et la frontière

Oui, les deux maladies infantiles des nations. D’un côté, la purification ethnique ou religieuse. Cela a commencé par la religion en Espagne en 1492, puis en Angleterre. C’est l’idée de se retrancher sur une identité pure. Alors que le propre des nations européennes, c’est qu’elles n’ont pas d’identités pures. L’Espagne, entre la Catalogne, l’Andalousie et le Pays Basque, n’a pas d’identité pure. La France et l’Angleterre non plus. Le mythe d’une pseudo-pureté est en train de renaître, avec la théorie du remplacement selon laquelle on n’est plus chez soi, on n’est plus nous-mêmes, on va perdre notre identité.

La deuxième maladie ?

C’était la sacralisation des frontières. Elle a fort heureusement disparu, notamment avec le passeport européen ou Schengen, mais on tend à nouveau à vouloir renfermer les nations. Certains prônent le retour au franc, la sortie de l’Europe. Si on le fait, on ressuscite des frontières. Or, une culture forte, c’est une culture capable d’assimiler et de s’enrichir. Alors qu’une culture faible ne peut plus assimiler, elle se détruit. Moi je pense que nous avons une culture forte. La France est un pays multiculturel, mais elle doit rester une république Une. Jusqu’à présent, sa diversité a toujours été un enrichissement.

Vous-mêmes avez assimilé la culture française ?

Moi, je suis fils d’immigré, heureusement. Dans ma famille, on venait de Salonique qui est une cité, et pas une nation. Mais je suis devenu français en assimilant l’histoire de France, même son histoire mythique comme Vercingétorix. L’histoire de France est en moi. Et malheureusement aujourd’hui l’école n’arrive pas à reproduire ce processus d’intégration. Parce que la politique n’arrive pas à faire comprendre cette réalité : unité et diversité multiculturelle. Ce problème français, c’est exactement le problème européen.


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