Elections européennes en France : pourquoi le 25 mai est plus grave que le 21 avril

jeudi 29 mai 2014.
 

Analyse. Mesurons l’ampleur du séisme politique des élections européennes en France : le 25 mai 2014 est bien plus grave que le 21 avril 2002. Pour trois raisons. D’abord parce que la victoire historique du FN dans un scrutin national ne provoque pas de réaction collective, comme si l’encéphalogramme démocratique restait désespérément plat, là où le 21 avril avait conduit une partie de la société française, notamment de sa jeunesse, à sortir dans la rue et la gauche à se battre pour permettre la victoire de Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen.

La société française a donc choisi une forme de « laisser-faire ». En conscience. Alors que les sondages annonçaient assez précisément l’ampleur du vote FN, donné à 24 % vendredi soir par l’ultime enquête Ipsos-Steria, les électeurs de la droite et de la gauche républicaine, plus encore, ont laissé le parti d’extrême droite l’emporter.

Là où les électeurs FN se sont mobilisés, par conviction, la « génération » du 21 avril – celle qui a trente ans aujourd’hui – apparaît totalement désabusée, et le FN peut se présenter tranquillement comme le parti leader parmi les 18-35 ans. La stratégie de « dédiabolisation » du Front national, portée par Marine Le Pen, a donc porté ses fruits.

Deuxième raison : le 25 mai marque aussi une nouvelle défaite des partis dits de gouvernement, embourbés dans leurs affaires internes, incapables de se renouveler, déconnectés de la société, pétrifiés par l’ampleur des crises économiques, sociales, démocratiques.

Dans la tectonique des plaques politiques, le mouvement engagé par le FN n’a pas fini de provoquer des répliques et de fracturer ce qui reste de la politique d’« endiguement » de l’extrême droite – dans ce contexte, le « front républicain » n’est plus qu’un lointain souvenir. Après les élections municipales, les européennes, ce seront les régionales, probablement à l’automne 2015, avec une droite profondément divisée, et une gauche anémique, sans réserves, sans idées, sans souffle, et à la limite de la relégation en seconde division politique dans certains territoires, les plus paupérisés, où elle franchit à peine les 10 % de voix.

UNE PAROLE PRÉSIDENTIELLE DÉMONÉTISÉE

Troisième raison, la plus grave. Le 25 mai rend plus illusoire encore la réforme de la société française. Que peut donc faire François Hollande après un désaveu aussi profond ? Comment peut-il gouverner avec une majorité politique aussi fragile ? Comment assumer et porter l’effort de rigueur budgétaire, là où pour l’instant il n’en est resté qu’aux préliminaires ? François Hollande peut-il relancer ce qu’il reste de son quinquennat sur une réforme structurelle ?

Et notamment sur la grande réforme territoriale, désormais présentée comme la mère des batailles pour permettre d’engager la baisse des déficits ? Le chef de l’Etat va devoir s’opposer à ses troupes d’élus, à une droite d’autant plus combative qu’elle va regagner la plupart des pouvoirs locaux, et à tous les lobbies possibles, du BTP aux syndicats de fonctionnaires territoriaux. Il va devoir se plonger dans le Meccano des équilibres locaux, des usines à gaz des collectivités, des identités locales, notamment départementales – très loin des préoccupations exprimées par les Français.

François Hollande peut certes continuer à jouer des mots, notamment sur l’Europe, pour exiger sa réorientation politique et le desserrement des contraintes budgétaires. Mais les paroles du chef de l’Etat n’ont pas plus de poids à l’échelle européenne que sur le territoire français, et ses discours n’impriment plus, nulle part, ni à Bruxelles, ni à l’Assemblée, ni à Forbach, ni à Lille ou Marseille, ni même au sein du Parti socialiste. Dans l’opinion, François Hollande est passé au-delà de la colère, il relève désormais d’une forme d’indifférence – le pire qui puisse aujourd’hui arriver à un homme politique, tant celle-ci signe son impuissance.

Luc Bronner


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message