Firmi -39 Médecine libérale oui, néolibérale non (Pierre Micheletti président de Médecins du monde)

mercredi 21 février 2007.
 

Parmi les multiples chantiers qui attendent nos futurs dirigeants, deux mesures concrètes peuvent contribuer à relever les défis auxquels fait face notre système de santé : la lutte contre la désertification médicale de certains territoires et la réforme des études médicales sur les questions liées à la précarité. De ce point de vue, la médecine libérale, actrice majeure de l’offre de soins, doit évoluer au service de plus d’équité.

Le corps médical a aujourd’hui, dans une certaine mesure, perdu la dimension sociale qui était l’apanage de cette profession, au profit d’une hyperspécialisation technique toujours plus poussée, entretenue par la progression exponentielle des connaissances. Ainsi a-t-on récemment constaté le refus de soins par un certain nombre de médecins à l’égard des bénéficiaires de la couverture maladie universelle et de l’aide médicale d’Etat. Cette situation repose sur un double mécanisme : l’absence de formation et de sensibilisation du corps médical dans la prise en compte des dimensions sociales de la santé, et le déficit de régulation par l’Etat de ces questions, aboutissant aux comportements inacceptables de certains praticiens.

Il est urgent de réformer le cursus de formation des médecins et de réinjecter dans les formations initiales et complémentaires obligatoires des modules traitant des inégalités de santé en fonction des catégories sociales, et abordant les aspects particuliers de la prise en charge des populations les plus précaires dans les dimensions administratives et juridiques, psychologiques et somatiques.

Quant à la liberté d’installation, elle aboutit à des déséquilibres aigus dans la répartition géographique de l’offre de soins libérale. Ainsi, dans une ville comme Grenoble, où ces questions ont été plus particulièrement étudiées (sans constituer une situation isolée), les densités médicales pour 1 000 habitants varient en fonction du niveau de développement socio-économique des quartiers qui composent la ville.

Pour les médecins généralistes, les densités sont deux fois et demie plus importantes dans les quartiers les plus favorisés. Pour les dentistes, les densités varient dans une proportion de 1 à 10. Pour les psychiatres libéraux, les proportions varient dans un rapport de 1 à 12... En milieu rural, le phénomène est encore plus aigu : les médecins généralistes sont aujourd’hui confrontés à une pression, à des rythmes, à des horaires de travail et à une absence de possibilité de trouver des remplaçants qui deviennent insupportables pour nombre d’entre eux. Ces conditions d’exercice entraînent des départs qui accélèrent le processus de désertification médicale dans ces zones. Les médecins spécialistes en sont quasiment absents.

L’Etat doit reprendre la main afin de créer des conditions qui, dès la formation, soient favorables à la correction de ces déséquilibres. La formation des jeunes médecins constitue en effet un moment privilégié pour les sensibiliser aux questions sociales et éthiques qui sous-tendent leur implication auprès des populations les plus fragiles ou isolées.

Ainsi l’université peut-elle créer de meilleures conditions pour que devienne audible, pour les médecins de demain, la mise en oeuvre de politiques publiques plus contraignantes en matière d’offre de soins et de liberté d’installation.

Au fond, l’Etat doit réaffirmer son rôle de chef d’orchestre et de garant d’une contribution des acteurs de la santé à une certaine équité sociale en France. Autrement dit, oui à une médecine libérale, non à une médecine néolibérale.

Aujourd’hui, le silence des principaux candidats est remarquable sur ces questions qui touchent de près une large part de la population. Pourtant, ces mesures, mises en oeuvre progressivement vis-à-vis des générations futures de médecins, constitueraient un engagement social fort sans une trop grande prise de risque politique et électoral, tant les constats et besoins en la matière font consensus entre citoyens et professionnels réellement confrontés aux inégalités dans notre pays...

C’est dans ce contexte que dans les prochaines semaines, Médecins du monde interpellera les candidats à la présidentielle sur des problématiques plus larges auxquelles nos équipes sont quotidiennement confrontées.


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