Ukraine : Les élections présidentielles ne sont pas une solution politique

dimanche 18 mai 2014.
 

Les dirigeants états-uniens et européens, dont François Hollande, appellent d’une seule voix à la tenue des élections présidentielles du 25 mai prochain en Ukraine, en faisant une condition indispensable à l’apaisement dans le pays, et menacent de nouvelles sanctions Moscou si tel n’est pas le cas. Ces déclarations sont absurdes et dangereuses. Pour être libres et démocratiques, de telles élections ne peuvent se tenir dans un contexte de tensions aussi prégnant. De plus, elles ne sont pas une solution politique.

Des tensions fortes, un état de guerre civile

Les violences et le drame d’Odessa du 2 mai dernier sont sans doute le meilleur indicateur de la tension extrêmement forte qui règne dans le pays. C’est en effet une ville multilingue, multiculturelle, au passé tristement célèbre pour ses pogroms, dont la mémoire collective est hantée. Le fait que cette ville paisible et sans doute la plus cosmopolite d’Ukraine ait été touchée aussi violemment nous alerte donc sur le niveau extrêmement avancé du clivage dans la population civile.

Dans le Donbass (constitué des régions de Lughansk et de Donetsk), à l’Est, la présence de troupes « régulières » ayant occupé les bureaux de vote improvisés afin d’empêcher le référendum appelant les habitants à se prononcer sur le statut autonome de la région, a conduit à plusieurs morts civils. Au cours de plusieurs autres incidents l’armée a tiré sur des civils désarmés. Après un vote massif en faveur de l’autonomie, les forces de défense du Donbass ont également fait plusieurs morts dans les rangs de l’armée ukrainienne. Il s’agit donc bien d’une guerre civile.

Et il y a plus inquiétant : deux favoris se disputeront l’élection présidentielle le 25 mai, M. Porochenko et Mme. Timoschenko. Cette dernière, donnée perdante par les sondages a déclaré : « Si le pays choisit un autre président, sachant que je n’ai qu’un seul concurrent aujourd’hui, je crois que nous devrons vivre un troisième cycle de révolution ». Ainsi, l’agenda fou de Mme Timoschenko est de recourir à la violence une nouvelle fois. Récemment, elle a tenté d’instrumentaliser les mineurs des régions de l’est par la voix d’un leader syndical, Mikhaïl Volynets qui est l’un de ses proches. Ce dernier a en effet demandé « des armes à Kiev pour lutter contre les séparatistes ».

Ajoutons à cela la présence de 400 mercenaires de la société américaine Academi (ex-Blakwater), et la récente nomination du fils du vice-président américain à la tête d’une de la plus grosse compagnie pétrolière ukrainienne, et l’on comprend qu’on est bien au-delà de la simple contestation populaire.

La situation est donc extrêmement tendue.

Un flou institutionnel dangereux

Il est également important de prendre la mesure de la mise à mal du cadre institutionnel de l’Ukraine. Le retour récent à la constitution de 2004, qui a permis la destitution de l’ancien président Ianoukovitch, est peu respecté. La destitution de ce dernier n’a par exemple pas été effectuée dans les règles. De plus le président par intérim, M.Turchinov, est présent régulièrement à l’assemblée et mène les débats, ce qui n’est absolument pas prévu par la constitution de 2004. L’exclusion d’une partie des députés de l’assemblée lors de certains débats concernant la situation dans l’Est du pays montre aussi que le pluralisme politique n’est plus garanti à Kiev.

L’envoi de l’armée face à une population civile insurgée n’est pas prévu dans un cadre autre que celui de l’état d’urgence, qui n’a pas été décrété. En effet, cela compromettrait la légalité de l’élection présidentielle. On touche bien là une contradiction flagrante entre un état d’urgence de fait et la tenue d’une élection.

Il semble également plus que probable que les citoyens du Donbass considèreront une éventuelle élection présidentielle tout aussi illégitime que ce que Kiev pense du récent référendum d’autonomie. Dès lors, l’apaisement est impossible.

Dans un pays en guerre civile, des élections présidentielles ne sont donc pas une solution politique

Les faits relatés précédemment montrent que deux problèmes majeurs se posent lors d’un scrutin dans de telles conditions :

Le premier et le plus important est d’ordre institutionnel et démocratique. La construction d’un état-nation repose sur la construction d’un projet commun dans un cadre défini et accepté par une large majorité. Ce cadre est aujourd’hui largement contesté et c’est donc lui qu’il est urgent de redéfinir.

Le second est d’ordre pratique : les soupçons de fraude massive et du vote contraint, quelle qu’en soit la réalité. Ceci débouche inévitablement sur un procès en illégitimité président élu et donc le point de départ d’une nouvelle contestation.

De nombreux précédents illustrant cette réalité existent : Mali, Iraq, République Démocratique du Congo, Afghanistan, Soudan du Sud, pour n’en citer que quelques-uns. Dans une étude de l’institute for security studies, Liesl Louw-Vaudran résume parfaitement ce fait par la phrase « les élections sont un stress-test pour les pays [en conflit], pas une solution magique » et il ajoute que « des élections hâtives post-conflit peuvent masquer des défauts politiques et économiques profonds »

Une assemblée constituante doit donc être élue. Ainsi, en prenant en compte l’autonomie autoproclamée du Donbass et les libertés prises avec la constitution en période électorale, il est indispensable que les ukrainiens s’expriment et construisent le cadre dans lequel le pouvoir suprême doit s’exercer, avant de choisir à qui le confier. C’est par ce processus et uniquement par ce processus que les règles électorales et institutionnelles pourront être redéfinies avec l’objectif commun de tous les ukrainiens : écarter les oligarques corrompus du pouvoir et restaurer la paix.

Frédéric MB, Membre de la commission Europe du Parti de Gauche, référent Ukraine


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