Ukraine Une intoxication médiatique permanente

samedi 17 mai 2014.
 

« La menace d’une guerre civile est chaque jour moins farfelue », titrait « Le Monde » récemment. Ceci est malheureusement plus que vrai. Et c’est est en grande partie le résultat d’une surenchère de l’information par un traitement biaisé des médias de masse dont ce quotidien français est loin d’être exempt. Les événements violents qui se succèdent en Ukraine font évidemment l’objet de traitements médiatiques partisans, se basant sur une exagération voire une invention des faits, des omissions, un champ lexical insidieux jouant sur l’aspect émotionnel et radicalisant de jour en jour un peu plus l’opinion.

La construction médiatique de la haine

Il est important de rappeler que la haine entre ukrainiens de l’Ouest et de l’Est n’existait pas auparavant (mis à part quelques groupes nationalistes). Chaque jour, d’anciens amis deviennent ennemis, chaque jour le matraquage des médias et des réseaux sociaux opposent des frères et brisent des familles. Ainsi, dans le journal commons, Oleg Yasink écrit : « Hier encore, nous nous serions amusé de nos différences politiques. Aujourd’hui je ne peux même plus recevoir mes plus proches amis autour d’une même table. Et je n’ai jamais imaginé que j’entendrai de leur part ce que j’entends aujourd’hui. »

Tadeusz Mazowiecki, dans un rapport pour l’ONU de 1992, avait dénoncé « le rôle négatif des médias dans l’ex-Yougoslavie, qui donnent des informations mensongères et incendiaires et attisent le climat de haine et les préjugés mutuels qui alimentent le conflit en Bosnie. Les médias ont attisé la haine en utilisant des stéréotypes, bien sûr négatifs, pour parler de la partie adverse. C’est ainsi que tous les Croates sont devenus des oustachis et les Serbes des tchetniks. Cela se répétait chaque jour. Seuls les crimes commis par l’autre camp étaient mentionnés. En Serbie, les médias parlaient abondamment d’une conspiration internationale présumée contre les Serbes, les médias croates sont obsédés par le syndrome de l’unité nationale et la nécessité de s’opposer à l’ennemi. En disant cela, je me réfère plus précisément à la presse locale qui a incité à la haine envers des concitoyens d’une nationalité différente ou qui était directement responsable de la purification ethnique. »

Des mots qui reconstruisent la réalité

Prenons l’exemple du champ lexical utilisé. Les médias ukrainiens parlent de « terroristes », de « séparatistes », alors que les manifestants - favorables au gouvernement de transition - sont toujours « pacifiques ». Côté russe, et dans l’est de l’Ukraine, on peut entendre parler de la « junte » de Kiev, de « hordes de néo-nazis ». Ces mots matraqués tous les jours attisent fortement la haine entre les populations civiles résidant dans la partie est et ouest de l’Ukraine. De plus, le pouvoir des vidéos-amateur choquantes, montées et arrangées, diffusées en masse sur les réseaux sociaux sont également un facteur de l’augmentation dramatique du ressentiment que les uns éprouvent pour les autres.

Ces artifices peuvent nous paraitre grossiers, mais malgré la distance et le recul que nos journalistes français pourraient avoir, nous sommes loin d’être épargnés par l’utilisation des lexiques abusifs : les termes « séparatistes » et « pro-russe » utilisés par tous nos médias ne recouvrent absolument aucune réalité. Ils sous-entendent un désir de rattachement à la Russie, l’opposition à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et donc par extension désignent directement ces groupes comme les responsables des troubles. Ces groupes se définissent au contraire par l’appellation « anti-maïdan » (c’est-à-dire opposés au gouvernement non élu de Kiev). Jamais ce terme n’est utilisé dans les journaux français qui ne parlent que de « pro-russes » alors qu’une infime minorité seulement revendique un rattachement à la Russie.

Indignation à géométrie variable

L’exemple de la couverture de la tragédie d’Odessa est particulièrement criant. En effet, alors que 48 personnes du camp anti-maïdan ont trouvé la mort, lemonde.fr titrait dans l’urgence que « suite à l’attaque d’une manifestation pacifique « pro ukrainienne », 40 personnes avaient péri dans un incendie criminel. » La lecture de ce chapeau pouvait même porter à confusion sur les victimes. Quand la presse va plus vite que l’événement, le recul nécessaire à cette opération essentielle du métier qu’est le recoupement de l’information disparaît. Cet article a depuis été édité, mais à l’heure de l’information instantanée, le mal est fait.

Presse alignée, presse aveugle

La France est depuis 2007 de retour dans le commandement intégré de l’OTAN, organisation largement responsable de la déstabilisation ukrainienne, et nos médias ne sont pas épargnés par un réflexe, un mécanisme qu’Arnaud Mercier* a bien résumé à propos du second conflit irakien : « De façon générale, on peut dire que la tendance dominante chez les journalistes est de céder au réflexe patriotique, comme l’a prouvé la chaîne américaine Fox News en 2003. Toute critique de l’intervention américaine provenant de confrères ou de l’opinion publique, pendant et après la guerre, était immédiatement assimilée à l’antenne à une trahison. L’amalgame a été porté à son comble quand le fait de critiquer les raisons avancées par George W. Bush était systématiquement tenu pour la preuve d’un soutien au camp de Ben Laden. »

De même, lorsque Jean-Luc Mélenchon exprimait ses réserves sur le gouvernement de transition de Kiev, toute la presse lui attribuait un soutien sans faille à Vladimir Poutine, qui pourtant emprisonne et réprime nos camarades en Russie. L’omission et la minimisation par nos médias de la composante néo-nazie du nouveau gouvernement et du fait inacceptable pour la Russie d’une potentielle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est également une illustration directe de ce mécanisme. Il est urgent d’en sortir afin que l’opinion pousse notre diplomatie à sortir de son suivisme et son mutisme si dangereux pour la paix en Europe.

Frédéric MB, membre de la commission Europe du Parti de Gauche, référent Ukraine

* professeur à l’université Paul Verlaine de Metz et Directeur du Laboratoire « Communication et Politique » au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique)


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