Au Brésil, l’opposition au Mondial de foot monte en puissance

jeudi 1er mai 2014.
 

En France, la presse est obnubilée par un patriotisme de substitution derrière la compétition, au Brésil, pays du football, l’opposition à la Coupe du monde gagne un ampleur inédite, dans tous les secteurs. Et si la Coupe du monde était éclipsée par un été très chaud de luttes ?

Ouvriers des chantiers, usagers des transports, habitants des favelas, activistes sociaux, travailleurs de la santé, leur point commun : ils ne veulent pas de ce Mondial.

Alors qu’en 2008, 79 % de la population était favorable à la Coupe du monde, aujourd’hui, en 2014, à quelques semaines de l’ouverture, 54 % de la population brésilienne est opposée à la réalisation du Mondial.

Quatre années de grève dans les stades …

Jamais un Mondial de football n’avait connu une telle agitation sur ses stades. La preuve en est que sur les 12 stades qui devaient être finis au début de l’année 2014, 6 accusaient un retard important et n’étaient pas encore terminés en janvier de cette année.

Les 25 000 ouvriers présents sur les chantiers ont été attirés par les salaires, faibles mais séduisants pour des migrants ruraux – entre 150 et 400 € comme rémunération de base – avec des écarts importants entre les régions.

En échange, ils ont été soumis à des conditions de travail extrêmes : mépris des normes de sécurité, travail de nuit, heures supplémentaires non-payées, précarité de l’emploi avec licenciements facilités.

Huit ouvriers sont tout de même morts sur les chantiers du Mondial. Si on atteint pas les records morbides du mondial au Qatar, c’est déjà quatre fois plus qu’en Afrique du sud en 2010.

Ces conditions de travail et la prise de conscience de l’exploitation salariale ont conduit les ouvriers à développer 26 mouvements de grève, l’équivalent de 1 145 heures de travail d’après le Syndicat du bâtiment brésilien. Aucun stade n’a été épargné.

Des victoires ont été conquises. Selon la Fédération internationale des travailleurs du bâtiment, les ouvriers ont obtenu entre 2009 et 2013 des augmentations comprises entre 0,78 et 7,35 points de pourcentage, la moyenne se chiffrant par exemple à 4,10 points pour l’année 2012.

Les travailleurs des chantiers ont obtenu au cas par cas diverses améliorations : paiement majoré des heures supplémentaires, avantages sociaux liés au logement, à la santé, droit à des congés pour voir sa famille restée au pays.

Une grève générale demain dans les stades :

« pendant la coupe, il va y avoir des luttes ! »

C’est en tout cas ce qu’annonçait la Folha de Sao Paulo le 13 avril : au moins 16 syndicats catégoriels représentant 4 millions de travailleurs, se préparent à organiser des mobilisations pendant le Mondial pour réclamer des améliorations salariales.

Parmi les secteurs les plus sensibles, celui de l’alimentation, de l’hôtellerie et avant tout les transports qui représentent la moitié des catégories concernées – métro, transport aérien, chemins de fer, bus, taxis.

Parmi les confédérations syndicales qui ont lancé des appels à la mobilisation, on retrouve surtout « Força sindical » (FS), qui n’est pas à proprement parler un syndicat révolutionnaire mais qui reste un syndicat critique du compromis social dominant. Dix catégories réunies dans la FS se sont réunis le 17 avril pour décider des méthodes d’actions pendant le Mondial.

D’autres syndicats adhérant à l’ « Union générale des travailleurs » (UGT), à la « Centrale unique des travailleurs » (CUT) ou à la « Nouvelle centrale syndicale des travailleurs » (NCST) participeront aux manifestations.

La confédération syndicale « Conlutas » (Confédération des luttes), syndicat de lutte et anti-capitaliste, a également lancé un appel à la grève pendant le Mondial sous le titre « Nous allons retourner dans la rue : pendant la Coupe, il y aura des luttes ! ».

Cet appel marquait la conclusion d’une rencontre entre 2 500 représentants issus de 25 syndicats et collectifs de lutte réunis à Sao Paulo, avec une représentation certaine des syndicats de la Fonction publique, de la santé et et de l’éducation.

La privatisation du pays : profits monstres pour le privé, la facture pour la majorité

Cette coupe du Monde sera la plus chère de l’histoire : 10 milliards d’euros (contre 3 milliards pour celle en Allemagne en 2006). Sur cette somme, 85 % provient de l’Etat ou des collectivités locales, un chiffre qui atteint les 97 % pour la construction ou rénovation des 12 stades du mondial.

Or, sur ces 12 stades financés par les deniers publics, aucun ne sera sous contrôle public.

Trois stades étaient déjà privés avant le Mondial – ceux de Porto Alegre, Curitiba et Sao Paulo – ils le resteront après.

Cinq autres ont été construits sous un PPP (Partenariat public-privé), ce sont ceux de Salvador, Recife, Belo Horizonte, Fortaleza, Natal. Le consortium à l’origine de la construction du stade obtient alors une concession d’exploitation pour une période allant de 20 à 35 ans.

Enfin, les autres stades construits grâce à l’argent public – souvent par des prêts généreusement accordés par la BNDES (Banque nationale pour le développement) qui centralise le financement des monopoles privés au Brésil – vont aussi être concédés à des exploitants privés.

Deux stades ont notamment défrayé la chronique, celui du « Stade national Garrincha » de Brasilia et celui du mythique « Maracana » de Rio de Janeiro.

Le Maracana représente le caractère populaire du football au Brésil. En 1950, il accueillait près de 200 000 personnes pour la finale du Mondial entre l’Uruguay et le Brésil. Aujourd’hui, sa capacité se trouve réduite à 80 000 places.

Surtout, ce stade légendaire sera désormais sous contrôle privé, pour ce qui constitue un scandale national, et qui a déclenché une onde de manifestations sous le mot d’ordre : « Le Maracana est à nous : non à la privatisation ! ».

En effet, selon les estimations du groupe financier IMX du millardaire Eike Batista – gagnant du contrat public – le Maracana rapporte chaque année 4 millions d’euros par an alors que l’État de Rio a signé un contrat de concession se chiffrant à 1,5 millions par an.

Soit 2,5 millions par an au minimum – sans compter les hausses de prix, la marchandisation du stade – directement dans la poche d’un grand groupe privé.

Privatisation des stades et privatisations de toutes les infrastructures, en premier lieu les ports et les aéroports. Six des principaux aéroports du pays ont ainsi été privatisés, sous prétexte de rénovation dans la perspective du Mondial.

Ainsi, en février 2012, trois aéroports majeurs – les deux de Sao Paulo et celui de Brasilia, représentant 30 % du transport de passagers, 57 % du fret – ont été cédés à des opérateurs privés pour la somme de 8 milliards d’€, en échange de concessions d’exploitation sur 20 à 30 ans.

Parmi les vainqueurs des contrats, ce sont avant tout des monopoles brésiliens qui récoltent la mise – Invepar à Sao Paulo, Aeroportos Brasil à Brasilia –, avec la participation d’entreprises françaises (Egis), argentines et sud-africains.

En 2013, trois autres aéroports ont été cédés au privé, dont un dans la région de Natal (Nord-est) qui fut le premier construit à partir de zéro par un opérateur privé.

Deux autres – celui de Belo Horizonte et l’aéroport international de Rio – ont été octroyés encore une fois à des monopoles brésiliens, le premier à Consorcio Aero, le second à Odrebrecht, dans des consortiums montés avec des entreprises allemandes et chinoises.

Le Brésil vend ses joyaux pour des rentrées d’argent ponctuelles, creusant la dette future. Une dette qui grève déjà le budget public : près de la moitié du budget public (48 %), soit 230 milliards d’€, est réservé aux paiements des intérêts de la dette.

Dans le même temps, le Brésil accumule les budgets d’austérité, en particulier depuis 2011. Ainsi, en 2014, les coupes dans le budget des services publics s’élèvent à 15 milliards d’euros (soit 10 %).

Depuis 2011, ce sont 60 milliards d’économies qui ont été réalisées dans les dépenses publiques, dont 5 milliards dans les budgets de la santé et de l’éducation, « sanctuarisés » depuis l’an dernier.

Or, ce n’est pas que le Brésil ait atteint les objectifs de développement humain pour l’éducation et la santé.

Encore 3,6 millions d’enfants et d’adolescents sont exclus du système scolaire. Ils auraient besoin de 9 000 établissements scolaires pour étudier, pour un coût de construction de 9 milliards d’euros, la somme dépensée pour ce mondial au Brésil.

La santé privatisée au Brésil se révèle incapable d’améliorer sensiblement les indicateurs du pays, au point que la 6 ème économie du monde a été contrainte récemment d’appeler aux médecins cubains pour assister les médecins locaux dans les régions en difficulté.

On comprend mieux le slogan phare des manifestants : « Nous voulons des écoles, des hôpitaux dans l’accord avec la FIFA ! ».

Sachant que dans le même temps, l’Etat brésilien a du accorder (dans la « Loi générale sur la Coupe du monde ») à la FIFA un accord exclusif concernant la vente de produits dérivés liés au Mondial à proximité des sites de la Coupe du monde.

La FIFA bénéficie également d’une exonération fiscale se chiffrant à 400 millions d’euros

Pendant que les travailleurs brésiliens subissent la hausse des tarifs, les coupes dans les services sociaux, les plus riches brésiliens ne connaissent pas la crise : le pays devrait connaître 17 293 nouveaux millionnaires en 2014, un chiffre en hausse de 9 %, s’ajoutant aux 195 000 existants.

Les 300 plus grandes entreprises brésiliennes ont engrangé 45 milliards d’euros de profits. Sur les 10 entreprises les plus profitables, 5 sont des banques.

La militarisation du pays : la réponse aux résistances populaires

Ces scandales de privatisation, de pillage des fonds publics ont suscité des manifestations dans toutes les villes du pays.

Les opérations de rénovation-gentrification dans les quartiers, accompagnés de déplacements forcés, d’expulsions, d’opérations de police musclés suscitent désormais des émeutes qui ont touché avant-hier une favela de Copacabana, à Rio.

Depuis 2008, la « guerre contre le crime organisé » à Rio s’est transformée en une véritable chasse aux populations des favelas, avec les méthodes para-militaires employées par la police, dans le cadre des UPP (« Unité de police pacificatrice »).

L’Etat brésilien entame, avec la coupe du Monde, une véritable militarisation du pays. Sur les 170 000 agents de sécurité mobilisés pour la Coupe du monde, 57 000 seront des militaires – le plus grand contingent militaire jamais utilisé pour un événement au Brésil.

L’Etat brésilien se réserve également le recours à une force ponctuelle composée de 21 000 militaires en « cas d’urgence », visant avant tout d’éventuelles grèves paralysant certains États pendant le Mondial.

Le gouvernement s’apprête également à voter une « loi anti-terrorisme » où le délit de terrorisme serait identifié à la « provocation d’une panique généralisée, par une tentative de porter atteinte à la vie, à l’intégrité physique, la santé ou la liberté d’une personne ».

Une définition vague qui permettrait de déchaîner une vague de répression contre le mouvement social au Brésil. Une répression déléguée aux unités de police, à l’armée mais aussi aux organismes de sécurité privés.

Il faut savoir que les dépenses privées de sécurité désormais dépassent celles publiques – se chiffrant à 20 milliards d’euros par an. Il y a officiellement 2,3 millions d’agents de sécurité privés … contre 400 000 policiers publics.

Que la coupe du Monde au Brésil donne le coup d’envoi d’un été chaud, un été de luttes, de ce côté-ci de l’Atlantique également !


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