Clubs de football professionnel : une identité collective bidon

samedi 26 avril 2014.
 

Toute l’histoire de la philosophie, c’est la réflexion autour de la relation qu’entretiennent le corps et l’esprit !

Exactement ! Et c’est toute ma formation intellectuelle, les humanités, la culture sportive au sens de la vision du corps inséparable de la vie de l’esprit… Dans le sport, le corps est sa propre fin, alors que le propre des philosophies de l’aliénation, est de toujours commencer par séparer le corps de l’esprit, avant de faire du corps l’ennemi de l’esprit… C’est dans la religion catholique qu’on est allé le plus loin dans cette conception de la « haine du corps », avec le spectacle du « corps souffrant » de Dieu. Le capitalisme a ensuite « dressé » les corps, celui des ouvriers, captifs enchaînés à leur tâche répétitive. C’est la raison pour laquelle la révolution commence d’abord par une émancipation physique. Le sport honnête pose la dimension du corps libéré, qui cesse d’être une proie pour les autres ! Dans l’imagerie révolutionnaire, le corps combattant et débridé est partout présent.

Et concrètement, dans la sphère politique, ça passe par quoi ? L’éducation sportive à l’école ?

L’émancipation, c’est la liberté de disposer de soi, donc d’abord de son corps. C’est pour cela que j’ai toujours été un ardent partisan de l’éducation sportive, pas comme enseignement subsidiaire comme ça se passe à l’école aujourd’hui, avec l’art plastique, mais comme une matière qui contribue au perfectionnement de l’être humain ! Dans le sport, le corps est considéré comme sa propre fin dans un objectif de dépassement des limites. Objectif absurde, au final, car nous sommes condamnés à une limite : nous sommes mortels. Mais c’est un objectif qui permet de ne pas être assujetti à un destin biologique. Regardez Lionel Messi, il est tout petit et ça ne l’empêche pas d’être le meilleur joueur du monde. Sa taille est une preuve que l’on n’est pas déterminé totalement par la biologie ! Quand on réclame le droit à l’avortement, c’est la même chose : on doit être maître de son corps. Une condition biologique ne doit pas devenir un destin social…

Le sport est vecteur de normes. Et beaucoup de gamins s’identifient aux stars du football. Est-ce qu’en les érigeant comme « modèles », on n’en demande pas un peu trop aux footballeurs ? Ils sont des sportifs au fond, pas des symboles, bien souvent récupérés par les politiques d’ailleurs…

Tous les êtres humains fonctionnent comme ça. On essaie de s’identifier et donc de reproduire ce qu’on a vu. Le drame commence quand on essaie d’imiter l’autre au point de vouloir être l’autre. C’est la raison pour laquelle les footballeurs doivent être exemplaires sur le plan moral : ils ont une exigence de comportement, une responsabilité, parce que, précisément, ils sont des modèles ! Donc ils ne doivent pas insulter l’arbitre, tricher, s’injurier, se comporter bassement sur un terrain de football. Le sport est dans ses règles autant que dans ses gestes. Ils doivent respecter certaines règles ! Ensuite, il ne faut pas que le football soit le vecteur d’une nouvelle aliénation : le corps triomphant parce qu’il gagne beaucoup d’argent… Le dépassement de soi, voilà la seule exigence du sport. Dès lors, il n’y a pas de différence pour moi entre le gars qui veut courir le 100 mètres le plus rapidement possible et celui qui veut envoyer un être humain dans l’espace ! Sauf que le premier est souvent méprisé.

Pour beaucoup d’entre eux, les footballeurs viennent de milieux peu éduqués, ils n’ont pas pu faire d’études, ont tout sacrifié au sport. C’est assez étrange de vous entendre tenir un discours puritain sur les insultes, les comportements exemplaires : c’est plutôt un discours d’élites bourgeoises qui méprisent le prolo, vous ne trouvez pas ?

Les prolos ne sont pas ce que vous dites. Les bourgeois sont souvent beaucoup plus brutaux. Et puis ces gens, peu éduqués, comme vous dites, n’ont pas « réussi » brutalement ! Vous vous trompez totalement : ils se sont juste enrichis brutalement ! Et ça n’est pas pareil. Réussir, c’est se construire comme être humain. La confusion vient du fait que l’on considère qu’en s’enrichissant, ils ont réussi. « Réussir » comme eux, c’est proposer comme idéal une catégorie entre le Père Noël et le gagnant du Loto, entre le pur hasard et le don du ciel. N’importe qui pourrait être un brillant footballeur ! Et donc n’importe qui pourrait gagner des sommes incroyables, sans cause réelle. C’est scandaleux que Franck Ribéry gagne un SMIC toutes les quarante minutes ! Et quoi ? Il en est au même point que n’importe quel être humain : le matin il se lève, va se laver et boire un café…

Insulter des journalistes, c’est pas bien grave, c’est d’ailleurs un des reproches qu’on vous fait souvent ! Samir Nasri et vous, c’est la même chose au fond ?

Ce qui est différent, c’est que moi, je ne suis pas censé être dans une arène ! Pourquoi devrais-je accepter qu’un médiacrate s’amuse de moi ? J’incarne une cause face à ses ennemis. Je réplique en rendant les coups…

Les footballeurs aussi, non ?

Non, ce n’est pas pareil ! Ils ont une obligation d’exemplarité dans le domaine de leurs règles. Ils ne sont pas des combattants. La vraie question est : qui marche devant dans l’humanité ? Je pense que c’est le poète, le chercheur, l’auteur d’un exploit physique. Ceux-là sont dans la gratuité du geste humain : ils donnent contre rien en échange. Le gratuit est la signature de ce qui est radicalement humain. Tout le reste, c’est de l’instinct, certes socialisé, mais juste de l’instinct : la hiérarchie sociale, la réussite par l’argent… Chercher à courir plus vite, par exemple, à l’inverse, c’est quelque chose de profondément humain : ça ne sert absolument à rien ! Je suis donc pour la gratuité fondamentale du geste sportif, c’est celui-là que je respecte, comme celui qui donne de l’amour, en échange de rien… Quand le sportif entre dans la sphère marchande, il sort de la gratuité. Le héros devient alors un bouffon.

Mais le football a-t-il un jour échappé à des contraintes économiques, a-t-il été un jour purement « gratuit », censé exprimé une éthique sportive déconnectée de l’univers marchand ? Vous êtes d’accord avec Pierre de Coubertin alors, l’important c’est de participer…

Je me méfie un peu de Pierre de Coubertin, vous ne m’en voudrez pas trop, parce que derrière ce sportif-là, le facho n’est pas loin… Je connais aussi les limites du culte du corps, ça peut finir très mal, ces choses-là… Mais je ne juge pas du football en général, je juge du contexte en particulier, celui des conditions de notre époque. Et le football y est transformé, comme tout le reste, par son intégration au système financier mondial qui sera un jour la raison d’une catastrophe de notre civilisation. D’ailleurs, la bulle financière du football qui repose sur un enrichissement sans cause, une création de monnaie sans réalité matérielle et provoque une dette impayable, sera peut-être le déclencheur de la crise financière mondiale. Ça m’amuserait beaucoup.

Vous parlez du système des transferts par exemple ?

On fait comme si les millions donnés pour le transfert d’un joueur faisaient partie des actifs du club. Or c’est faux, cette valeur n’existe pas ! Le joueur n’est que l’intermédiaire d’un échange entre zéro valeur ! Un club va s’endetter avec comme garantie la valeur du joueur. Illusion. Cette valeur ne sera jamais compensée matériellement : on est donc dans la création d’une bulle ! N’oublions pas non plus que des clubs sportifs sont aussi de grandes blanchisseuses pour les oligarques pourris et des émirs corrompus… Mais, le plus drôle, c’est qu’ils vont peut-être eux même faire exploser le système.

Vous parlez du Qatar par exemple ? Où est le problème quand le Qatar rachète le PSG : c’est plutôt rassurant, au moins on sait d’où vient l’argent, non ?

Euh… non ! Vous ne savez rien du tout : on ne sait rien du tout sur la fortune de ces princes qataris et vous savez pourquoi ? Parce que personne ne peut leur demander de comptes ! C’est incroyable. Enfin bon, laissons le Qatar de côté pour l’instant…

C’est un peu la même chose quand on dit : « C’est la faute de l’Europe » : si l’Europe agit mal, c’est parce que les États lui ont laissé la possibilité de le faire en lui déléguant le pouvoir. C’est pareil pour le Qatar ! C’est vous qui le dites.

Pourquoi, on ne peut pas parler du Qatar ?

Si, on peut en parler. Ça comporte des risques, mais pas plus que d’autres choses. Remarquez une chose : on ne parle jamais de la politique du Qatar. On va discuter de celle de Cuba, du Venezuela… On reproche même au Venezuela de distribuer l’argent du pétrole : pourquoi, devrait-on faire l’inverse ? On doit critiquer le Qatar ! Pas pour ses activités sportives, mais pour ses activités politiques et économiques.

Elles permettent à une infime partie de la population de s’enrichir sur le dos de tous les autres et surtout de leurs quasi-esclaves ouvriers immigrés. Ce qui est intéressant, c’est de constater à quel point le sport a pris un virage dément avec l’investissement de pays comme le Qatar dans le football. Un stade climatisé dans le désert, il fallait le faire !

Olivier Besancenot qui supporte le PSG, c’est un peu comme si on découvrait que votre écrivain préféré, c’est Céline ?

(Rires) Ça pourrait être Céline ! Mais sur ce sujet, je suis très sévère : je ne pardonne pas. Je pense que le racisme et l’antisémitisme sont au-delà de la limite absolue du supportable. Du coup, j’ai beaucoup de mal à faire la lecture de gens qui véhiculent ce genre de pensées. Crève Céline plutôt qu’un principe ! Je pense que Besancenot aime le football, c’est sa génération, sa culture. Il doit sans doute avoir aussi un peu de recul sur tout ça. Mais après, tout le monde n’est pas obligé de faire de la philosophie et je ne suis pas le curé de service pour dire aux autres ce qu’ils doivent faire. En fait, je ne comprends pas comment on peut être fan d’un club : ceux qui ont le plus d’argent achètent des joueurs qui changent de maillot chaque saison… Comment s’identifier à une histoire dans ce cas-là ? Au fond, vous êtes fan de quoi ? D’un nom, d’un fanion ? Une identité collective bidon. Je trouve ça aussi louche que le communautarisme !

On peut être attaché à une histoire, surtout quand elle se mêle à une identité sociale, qu’elle crée du lien social par exemple…

Autrefois ! Même quelqu’un comme moi sait ce que c’est que « les Verts » ! Pourquoi ? Parce que c’étaient les prolos de Saint-Étienne et qu’ils avaient triomphé de tout le monde. Ce qu’on aimait chez les Verts, c’était leur côté prolos héroïques. Mais là, aujourd’hui, c’est quoi ? L’argent ? Le brio ? Il n’y a pas plus de mérite à admirer une équipe de milliardaires courir derrière un ballon qu’à tirer le bon alignement au bandit manchot. Le PSG a mis sept ou huit stars qui poussent bien le ballon et c’est tout !

Vous croyez que c’est pareil en politique, alors : il suffit d’aligner les stars au gouvernement pour faire une bonne politique, efficace et cohérente ?

Ça n’existe pas, ça : si ça marchait, on l’aurait déjà fait ! Le gouvernement des meilleurs, ça s’appelle l’aristocratie. On s’est aperçu que ça tournait encore plus mal que quand on pouvait les changer de temps à autre…

Jean-Luc Mélenchon, il serait quoi sur le terrain ? Un numéro 10 : un peu perso mais qui a une bonne vista ?

Ce que j’aime au rugby, c’est que le type qui est devant passe la balle derrière. Déjà c’est symbolique. Dans le football, je vois bien qu’il faut un stratège, donc ça me rapproche de la politique. Le stratège, c’est celui qui va avoir le talent d’interpréter les situations par rapport au but ! Si c’est ça alors oui, je pense, je serais le numéro 10. Un bon, j’espère…

Derrière, il faut une équipe, ça vous rapproche du football ça aussi, comme en politique. Vous avez les communistes avec vous, ça fait une bonne équipe ça, avec de l’expérience ?

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