Interdire les lobbys

vendredi 11 avril 2014.
 

Gabriel Amard*, candidat du Parti de Gauche aux élections européennes, dénonce la puissance des lobbys. Il estime que leur pouvoir met directement en danger les fondements de la démocratie et l’Union européenne.

Le système institutionnel européen exclut le peuple. La Commission toute puissante n’est pas démocratique, et le Parlement n’a pas de réel poids politique. L’Union se caractérise par son opacité. Qui prend les décisions au sein de cette technostructure ? Les dirigeants nationaux au Conseil européen, la Commission, ou des technocrates au-dessus de tout ? L’absence de médiatisation de la politique européenne n’incite pas ses dirigeants aux pratiques transparentes. Ce système opaque encourage et permet l’emprise des lobbys sur les institutions.

Les lobbys promeuvent une législation européenne au service d’une oligarchie, dominée par les multinationales et la finance. Ils sont toujours entendus et leurs intérêts sont toujours satisfaits, si bien que le processus législatif est biaisé. Intervenant auprès de toutes les institutions, ils abreuvent de conseils les parlementaires, les fonctionnaires et les dirigeants politiques : études, notes, textes de directives, de motions, d’amendements sont livrés clef en main et très souvent repris sans distance critique.

Des millions d’euros dépensés par les multinationales

Les lobbys ont pignon sur rue dans le quartier européen. Déjeuners, dîners, colloques, tous frais payés sont légion. Il faut dire qu’ils ne lésinent pas sur les moyens. Ce sont des centaines de milliers, voire des millions d’euros que dépensent les multinationales et les financiers pour obtenir gain de cause auprès des décideurs européens. Parfois à court d’arguments, ils montrent un autre visage : la corruption, le trafic d’influence et l’intimidation s’invitent à la table des négociations.

En réalité, les lobbys bénéficient d’une présomption de compétence, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, parce que nombre de hauts fonctionnaires, de dirigeants et de parlementaires européens soi-disant « experts » sont intimement liés aux lobbys.

Soit qu’ils viennent des multinationales ou des grandes banques, comme Mario Draghi, issu de Goldman Sachs, soit qu’ils espèrent bien passer de l’autre côté ou pantoufler incessamment. Ils ont donc intérêt à présenter la myriade de lobbyistes officiels ou non déclarés comme des experts.

Ensuite en raison de la vision libérale qu’ont les dirigeants européens. La société civile est perçue comme bénéfique, et prendre en compte ses intérêts est vu comme un signe de bonne gouvernance. Cependant, la société civile est un espace de conflit.

Inégalité entre Veolia et Greenpeace

Les stakeholders, qu’ils soient Monsanto, Véolia ou Arcelor Mittal font-ils partie de la même société civile que Amnesty International, Greenpeace ou Transparency International ? Et ces ONG et associations qui défendent l’intérêt général humain et environnemental bénéficient-elles de la même influence que ces multinationales ? A l’évidence, non. La Commission estime pourtant que les premiers font partie de la société civile. Ayant bien plus de moyens pour faire entendre leurs voix auprès des décideurs européens, ils sont en permanence plus écoutés et parviennent toujours ou presque à leurs fins, contrairement aux associations et aux ONG.

Mais le pire est qu’ils réussissent par proximité idéologique. Lobbyistes et dirigeants européens sont des croque-mitaines néolibéraux. Ils estiment que l’État doit être réduit à ses fonctions régaliennes et ne peut que réguler, au mieux, le marché, sans intervention économique.

Tous ou presque partagent l’orthodoxie budgétaire la plus sévère, et abhorrent l’inflation, comme les grands argentiers allemands. Tous ou presque vouent un culte aux politiques d’austérité : réduire drastiquement les dépenses publiques, baisser les impôts sur les sociétés, procéder à des réformes structurelles - dans le but baisser le coût du travail, de privatiser tout ou partie du système social qui fait l’identité et la particularité des pays européens-, sont leur obsession.

Pourquoi ? Parce que ces mesures assurent des débouchés toujours plus grands aux multinationales. En détruisant la puissance publique, elles rendent l’État et les collectivités incapables d’assurer les services publics et sociaux par leurs propres moyens. Par conséquent, le recours au privé devient obligatoire.

C’est alors que les biens communs, exclus du domaine capitaliste, deviennent des marchandises comme les autres. L’exemple de l’eau avec l’échec de la première initiative citoyenne européenne Right2Water est lourd d’enseignement.

Interdire les lobbys

L’action et la réussite des lobbys entrent donc directement en contradiction avec l’idéal de démocratie que chacun se fait. Les lobbys corrompent de l’intérieur les institutions européennes avec la complicité de leurs dirigeants. De fait, la souveraineté des peuples est spoliée par les lobbys. En s’accaparant de manière indirecte la décision politique, ils participent activement à la constitution d’une oligarchie, dont les intérêts sont opposés aux intérêts populaires. Le peuple, ni ses représentants ne décident de rien, si faibles qu’ils sont face au mur de l’argent.

C’est pourquoi je prône purement et simplement leur interdiction. Aujourd’hui, c’est une position réglementariste faible qui domine : il existe un registre des lobbys non obligatoire, et les dirigeants européens consultent de manière permanente les représentants patronaux, des multinationales, de la finance.

Il faut retrouver la souveraineté qui nous a été usurpée. Ce réveil politique passe par l’interdiction des lobbys, sans quoi rien d’autre ne sera possible. Les dirigeants, les députés, les fonctionnaires doivent agir dans le sens de l’intérêt général incarné par la puissance publique. Ni l’État, ni les institutions européennes ne doivent devenir l’instrument que l’oligarchie utilise à ses propres fins.

*Gabriel Amard est l’auteur de "Le grand trafic néolibéral. Les lobbys en Europe", paru aux éditions Bruno Leprince


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