La Commune de Paris a bousculé le modèle familial bourgeois 

vendredi 11 avril 2014.
 

Depuis quelques mois s’est déclenchée une offensive réactionnaire contre des libertés et des droits humains universels  : attaques contre le mariage pour tous, remise en cause de l’avortement, etc. Ces attaques trouvent des relais dans les églises, mais aussi dans une partie de l’opinion populaire. Un détour par la Commune de Paris nous permet de voir comment un processus démocratique permet des progrès dans tous les domaines.

Au XIXe siècle, la classe ouvrière naissante a des attitudes contradictoires devant la famille. La brutalité de la révolution industrielle est souvent vécue par la dénonciation du travail des enfants ET des femmes. L’atelier, l’usine exploitent dans des conditions dramatiques la femme et l’enfant. De là une réticence qui se double de la crainte de la concurrence salariale de la femme. Et une tendance, donc, chez de nombreux ouvriers à s’opposer au travail féminin.

Plus largement, la constitution d’une famille semble souvent très difficile aux ouvriers des deux sexes. Beaucoup de couples sont contraints de vivre sans l’horizon du mariage et de la famille. Un certain rêve ouvrier serait d’atteindre le modèle de la famille bourgeoise d’alors, où l’époux subvient seul aux besoins du ménage. On sait que certains philosophes socialistes comme Proudhon partageaient ce point de vue.

Toutefois, la réalité est plus complexe, en particulier dans les villes où la pression cléricale est moins forte. L’idée de vivre hors du mariage est devenue aussi une idée présente dans de nombreuses classes populaires. «  Se marier à la mairie du 13e arrondissement  » n’est plus alors une expression connotée négativement  ! Des socialistes comme Fourier plaident pour une famille libre où femmes et hommes seraient égaux. On voit clairement chez un Varlin une évolution vers une conception libertaire et égalitaire de la famille.

Ces deux schémas de pensée, le rêve de la conquête d’une famille plutôt patriarcale et enfin stable, et l’aspiration à une famille libre et sans chef, coexistent donc de façon complexe dans le Paris populaire des années 1860, tant chez les femmes que chez les hommes.

À bien examiner les textes, on trouve dans la Commune bien des déclarations qui relèvent du premier modèle. Par exemple, le JO de la Commune du 20 mars en appelle «  aux ouvriers qui (avez) ont besoin d’utiliser (vos) leurs bras pour assurer l’existence de vos familles  ». Un groupe de citoyennes, le 11 avril, appelle la femme à agir pour «  sauver ceux qui lui sont chers – le mari qui la soutient…  ».

Mais d’autres opinions s’expriment. Ainsi le JO fait un large écho à une conférence d’Edmond Douay. Pour celui-ci, la famille communarde est une association où «  l’époux et l’épouse doivent être égaux devant la loi et devant la morale  », sans «  chef de famille  ». La famille bourgeoise, la famille fondée sur l’intérêt, la convenance, la dot sont condamnées. Lors du débat sur la restitution des objets gagés au Mont-de-Piété, les anneaux de mariage ne sont pas pris en compte car «  catholiques  »  !

Mais l’essentiel n’est sans doute pas là. C’est dans le processus démocratique, dans l’action que se fabriquent des mesures qui constituent des avancées concrètes et significatives. Évoquons-en quatre.

1. On sait que le divorce était alors interdit. Seule la séparation de corps pouvait être légalisée. La mesure clé de la Commune est le décret qui prévoit que la femme demandant la séparation pourra se voir allouer une pension alimentaire  ; décret voté après que le citoyen Protot eut demandé l’urgence. C’était donner aux femmes les moyens de se libérer d’une domination de leur époux.

2. Des pensions furent accordées en faveur des veuves et des enfants des gardes nationaux. Il y avait là une idée profonde de protection sociale. Le décret précisa que les indemnités devaient être versées autant à la compagne non mariée qu’à l’épouse, autant à l’enfant illégitime qu’à l’enfant légitime. C’était reconnaître l’existence d’un couple moderne et donner, enfin, des droits à l’enfant «  naturel  ». L’exigence d’égalité et l’urgence de la situation se combinent dans cette mesure qui associe droit universel et protection de la famille.

3. À la fois sous la pression de l’Union des femmes qui sut, la première, établir un programme pour la réouverture des ateliers aux femmes, et devant les nécessités liées à la «  misère générale des ouvrières de Paris  » (Frankel), la Commune donna à l’Union des femmes la charge de l’organisation du travail des femmes. Un programme de création de crèches laïques fut aussi envisagé pour donner des conditions plus faciles aux femmes.

4. Qui dit famille, dit enfants. On aurait garde enfin d’oublier le fort attachement des communards à l’avenir de leurs enfants. Le programme scolaire de la Commune constituait aussi une anticipation de la famille ouvrière émancipée. Les écoles primaires seraient gratuites et obligatoires tant pour les filles que pour les garçons  ; des écoles professionnelles féminines sont ouvertes, ce qui indique que la femme n’est pas destinée au seul foyer.

Dans les conditions de son époque, en un temps où la famille patriarcale cléricale était le modèle imposé, la Commune, qui traduisait des conceptions populaires contradictoires, a su prendre des mesures extrêmement en avance sur son temps. L’engagement des femmes de la Commune, le souci des communards de l’égalité et de la liberté, la vivacité de la démocratie communarde expliquent ce phénomène.

(1) Le 18 mars, à 18 heures, au métro Temple, à Paris  : parcours communard organisé par les Amies et Amis de la Commune sur le thème  : «  Vive la Sociale  !  »

Par Jean-Louis Robert, historien, président des Amies et Amis de la Commune (1).


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