La ligne en vigueur à l’Élysée n’a pas de majorité dans le pays

jeudi 3 avril 2014.
 

Quels que seront les résultats des urnes, dimanche soir, ils n’effaceront pas le message exprimé au premier tour, bien souvent «  en creux  », par des citoyens qui, faute de voter, ont laissé la droite s’imposer «  par défaut  », le 23 mars. Et notamment celui-ci  : le social-libéralisme en vigueur à l’Élysée n’a pas de majorité dans le pays.

Déjà perceptible dans les premiers actes du quinquennat avec la signature du traité européen non renégocié, suivie de la priorité affirmée à la réduction du «  coût du travail  » et de la dépense publique, le «  tournant  » social-libéral s’est matérialisé pour le grand public lors des vœux de François Hollande aux Français pour 2014. Évincée du gouvernement quelques mois plus tôt, l’ex-ministre de l’Écologie Delphine Batho (PS) constatait alors qu’«  un mot a disparu, celui de changement. (...) Pour la première fois depuis le début du quinquennat, cette évolution est assumée  ».

Mais celle-ci était déjà théorisée et à l’œuvre auparavant. Dans une tribune publiée dans le Monde du 4 janvier 2013, le premier ministre faisait la synthèse de cette politique qui, tout en conservant quelques références rhétoriques vaguement de gauche, vante les chances d’une «  mondialisation (qui) est aussi l’occasion d’élargir la diffusion de nos produits, d’attirer des entreprises et des emplois  ». Plutôt que d’«  accuser la libéralisation des échanges commerciaux et financiers, la concurrence des pays à bas coûts et les politiques conduites en Europe  », Jean-Marc Ayrault invitait alors les Français à accepter les «  réformes nécessaires  » pour diminuer les «  coûts de production  », comme dans «  les pays scandinaves et (en) Allemagne  ».

Des propos en contradiction flagrante non seulement avec les promesses de «  changement  » et d’affrontement avec «  le monde de la finance  » qui ont fait le succès du candidat Hollande à la présidentielle, mais aussi avec l’impuissance manifeste du gouvernement à «  inverser la courbe du chômage  » et à stopper les délocalisations et fermetures d’entreprises. Ce décalage entre, d’une part, le rêve enchanté d’une «  mondialisation gagnante  » pour les peuples sans changement de ses règles ni des traités européens, et, d’autre part, la brutalité de la réalité a nourri la désespérance et la défiance politiques. Bien avant le scrutin de dimanche dernier, des études avaient mesuré la profondeur du décrochage populaire vis-à-vis de ces fondamentaux du social-libéralisme. Selon une enquête OpinionWay-Cevipof de décembre dernier, les Français n’étaient ainsi plus que 35 % (– 12 points en deux ans) à estimer que «  faire partie de l’Union européenne est une bonne chose  », mais ils étaient 47 % (+ 17 points en quatre ans) à réclamer que «  la France se protège davantage du monde d’aujourd’hui  ».

Moins qu’une déferlante réactionnaire qui ne s’est pas exprimée dans les urnes dimanche dernier (la droite et l’extrême droite ont obtenu 51,26 % des voix, 49,16 % en 2008), c’est le désespoir vis-à-vis de la politique qui s’installe (60 % n’ont confiance ni en la gauche ni en la droite, + 8 en un an), offrant un terrain favorable aux idées de repli sur soi, faute d’une alternative crédible et identifiable à gauche qui peine à émerger.

Sébastien Crépel, L’Humanité, 28 mars 2014


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