La complicité de la France dans la crise en Centrafrique (point de vue)

vendredi 14 mars 2014.
 

Les lecteurs des médias institutionnels pourraient en déduire que la France porte le "fardeau de l’homme blanc", sans laquelle les Africains sombreraient dans la barbarie. Pourtant, "c’est la France qui est un fardeau pour la RCA et ses anciennes colonies en Afrique, pas le contraire".

"Sans l’Afrique, la France finira au rang d’un pays du Tiers Monde"

A la fin de l’année 2013, “le fardeau de l’homme blanc" s’avérait trop lourd à porter pour la France. Se sentant trop juste en ressources militaires et matérielles, Paris appelait à la rescousse les autres puissances européennes pour faire face à sa "responsabilité" de réprimer la violence, rétablir la paix, l’ordre et la légitimité politique dans son pré carré du Mali et de Centrafrique. Deux pays dans la tourmente, avec les terroristes islamistes liés à Al-Qaïda au Maghreb (Aqmi), Boko Haram au nord du Nigeria, etc., qui sèment actuellement la terreur au nord du Mali et les chrétiens et musulmans qui sont en train de se massacrer en Centrafrique.

La Belgique et les États-Unis ont tous deux répondu présent en fournissant de la logistique et des moyens de transports pour les soldats français et africains.

La France considère ces pays comme sa chasse gardée parce que la République de Centrafrique (la RCA) et d’autres anciennes colonies françaises en Afrique centrale et occidentale constituent ce qu’on appelle la "Françafrique", c’est-à-dire que depuis l’indépendance, il ont gardé des liens étroits avec la France, l’ancienne puissance coloniale, avec laquelle ils sont liés non seulement par des accords de défense, mais également par une monnaie commune, le franc CFA, qui était d’abord indexé sur le franc français, et, donc dépendant du ministère des finances français, puis, à présent sur l’euro.

Comme l’a expliqué Colette Braeckman du quotidien belge "Le Soir", le 31 décembre 2013, si la France abandonne ces anciennes colonies, cela représentera non seulement une démission du point de vue humanitaire, mais également un signe politique indiquant l’affaiblissement de la position de la France sur le plan international.

Et donc, "abandonner" n’est pas exactement le terme ici parce que la France ne peut pas se passer de l’Afrique.

En fait, l’ancien président Jacques Chirac avait reconnu, en 2008, que "sans l’Afrique, la France sombrera au niveau d’un pays du Tiers Monde" (Philippe Leymarie, 2008, Manière de voir, n°79, février-mars 2008).

"La France intervient en Afrique pour assurer sa propre survie en tant que pays et en tant que grande puissance".

François Mitterrand, le prédécesseur de Chirac, avait déjà prédit en 1957 que "sans l’Afrique, la France n’aura pas d’histoire au XXIème (François Mitterrand, Présence française et abandon, 1957, Paris : Plon).

L’ancien ministre des Affaires Etrangères, Jacques Godfrain, avait, pour sa part, confirmé qu’un petit pays [la France], peu puissant, "peut soulever des montagnes grâce aux relations qu’il entretient avec 15 à 20 pays africains".

Cette déclaration est en adéquation avec la politique que la France mène en Afrique, la "Françafrique", et qui a pour objectif de perpétuer les "relations spéciales" qu’elle entretient avec ses anciennes colonies africaines (Thabo Mbeki, dans l’article "Ce que le monde n’a pas compris en Côte d’Ivoire", Foreign Policy. 29 avril 2011).

Et donc, la France intervient en Afrique pour assurer sa propre survie en tant que pays et en tant que grande puissance.

Il est parfaitement justifié de dire que c’est la France qui est un fardeau pour la RCA et ses autres anciennes colonies en Afrique, pas l’inverse. Et donc l’indépendance totale pour la RCA, à la fois politique et économique, signifie la fin de la "Françafrique".

Unis dans la crainte de la Chine

La raison pour laquelle la France compte sur le soutien de l’Europe, c’est que toutes les puissances européennes sont actuellement unies dans leur crainte de la forte présence de la Chine en Afrique.

Comme l’explique Colette Braeckman dans son article du 31 décembre 2013 : la France compte sur la solidarité des anciennes puissances coloniales (la Grande Bretagne et la Belgique) pour ne pas abandonner le terrain aux nouveaux arrivants (les Chinois, mais également les Coréens, les Turcs ...) dans ces pays potentiellement riches et de plus en plus courtisés (riche en bois, en ressources agricoles et en minerais, dont les diamants, le pétrole et l’uranium, pour ce qui est de la Centrafrique).

C’est ce qui est véritablement en jeu dans les interventions de la France à la fois au Mali, en RCA et en Côte d’Ivoire en 2011, où Sarkozy a fait partir de force Laurent Gbagbo pour installer Alassane Ouattara.

On sait que Gbagbo de Côte d’Ivoire, comme l’ancien président François Bozizé de la RCA, se sont attiré des ennuis avec leur maître – c’est-à-dire, la France – parce qu’ils se sont tournés vers la Chine pour conclure une coopération "gagnant-gagnant". Ils ont été promptement démis de leurs fonctions.

En ce qui concerne la RCA, la France avait choisi Michel Djotodia, chef du Seleka (qui signifie "coalition" en sango), un mouvement centrafricain de forces rebelles opposé au président Bozizé qu’il a renversé en l’espace de quelques semaines.

La France n’était-elle pas au courant, à l’époque, que le Seleka était un mouvement islamiste du nord de la RCA, lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et à Boko Haram du nord du Nigeria ? Paris le savait sûrement ! Mais ces accords sur l’uranium qu’avait conclus Bozizé avec la Chine avaient signé la fin de son régime.

De la "guerre pour changement de régime" à la "guerre de correction”

Le Seleka renversait Bozizé et s’emparait du pouvoir en mars 2013. Cependant, les hommes du Seleka, qui avaient refusé de rendre les armes et d’être confinés dans des casernes, avaient, pendant des mois, multiplié les violences contre la population civile, principalement des chrétiens du sud du pays.

Le 13 septembre 2013, le président intérimaire de la RCA, Michel Djotodia, annonçait que le Seleka avait été dissous. Ces atrocités commises par des gangs du Seleka (composé de Tchadiens, de Soudanais et d’autres "soldats sans frontières") entrainaient l’émergence de milices, d’auto-défense, les "Anti-balaka", constituées de chrétiens, de simples agriculteurs armés de machettes, mais également d’anciens partisans du président destitué François Bozizé (Colette Braeckman, Le Soir, 28 décembre 2013). Au départ, la France avait lancé ce qu’elle avait appelé l’"Operation Sangaris", qui était pour l’essentiel une opération de maintien de l’ordre chargée d’une mission précise : neutraliser les combattants du Seleka.

L’armée française agissait en coordination avec la force d’intervention de la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine), qui succédait à la FOMAC (Force multinationale de l’Afrique centrale) composée de soldats de l’armée de la République du Congo (Brazzaville), du Tchad et du Burundi.

Le 5 décembre 2013, alors que l’"Opération Sangaris" n’en était encore qu’à ses débuts, des éléments des "Anti-Balaka" armés de machettes, attaquaient et massacraient de nombreux musulmans qu’ils accusaient de soutenir le Seleka du nord, majoritairement musulman également. Diviser pour régner, l’héritage du colonialisme français fait des dégâts.

Selon l’hebdomadaire "Jeune Afrique", il ne s’agissait pas seulement de représailles, mais d’une offensive de professionnels de l’armée coordonnée par le fils de l’ancien président Bozizé. Plus de 600 personnes avaient été tuées à Bangui, la capitale.

A partir de là, l’image du conflit s’est brouillée

Alors qu’elles affirment être neutres, les forces françaises sont accusées par les musulmans d’être du côté des chrétiens.

Les relations avec le président intérimaire, Michel Djotodia, se sont détériorées au point d’avoir fait place à la haine (surtout à cause de ce lien avec les islamistes alors que la France combattait les mêmes islamistes au Mali).

Les soldats africains, censés aider à rétablir la paix, étaient accusés d’avoir des objectifs différents.

Ainsi, il se disait que les Tchadiens protégeaient le Seleka (qui comprend des ressortissants de leur pays) alors que les soldats du Congo-Brazzaville et du Burundi se sentent plus proches des populations chrétiennes, à tel point qu’il y a eu un échange de coups de feu entre les "soldats de la paix" du Burundi et leurs homologues tchadiens à Bangui. La tension était telle qu’il avait été décidé finalement qu’il avait fallu transférer les Tchadiens au nord du pays (Colette Braeckman, Le Soir, 28 décembre 2013).

Craignant que la crise ne s’étende à la RDC (comme cela s’était produit pour le Rwanda en 1994 ; en fait la RDC avait déjà accueilli des milliers de refugiés de la RCA, avec laquelle elle a une frontière commune, longue mais poreuse), Kinshasa avait annoncé le déploiement de 850 soldats en Centrafrique pour sécuriser la frontière.

De façon étonnante, le Rwanda, qui est en guerre avec la République Démocratique du Congo, a également annoncé qu’il allait fournir à l’Union Africaine un contingent de 800 hommes (apparemment, les soldats rwandais s’en vont traquer les Hutus "auteurs de génocide" qui se cacheraient en RCA).

Plus d’un millier de personnes ont été assassinées en l’espace de quelques jours au cours des premières semaines de 2014 et l’UNICEF dit que deux enfants ont été décapités et que des atrocités d’une "violence inouïe" ont été commises contre les enfants.

On estime à 935.000 le nombre de personnes déplacées dans tout le pays (AP, 13 janvier 2014). 150.000 personnes déplacées à l’intérieur du pays sont encore, après des mois, entassées dans des abris de fortune à l’aéroport international de Mpoko.

La France était déterminée à "corriger l’erreur" qu’elle avait faite en soutenant Michel Djotodia. Dans la mesure où les relations de l’armée française avec le président par intérim Michel Djotodia avaient viré à la haine, il était hors de question que ce dernier continue à diriger le pays. Il était vite devenu un boulet.

Le président par intérim, ainsi que le premier ministre du gouvernement de transition, Nicolas Tiangaye, étaient forcés de démissionner le 9 janvier 2014 lors d’un sommet extraordinaire des dirigeants de la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale.) réuni à Ndjamena, la capitale du Tchad, à l’initiative du président du Tchad, Idriss Déby Itno (le principal allié de Djotodia).

Deby avait compris que la France ne voulait plus de Djotodia

Selon l’AFP, Djotodia était accusé par la "communauté internationale" (lire : la France) d’inertie face aux violences sectaires qui s’étaient transformées en carnages. La paralysie complète de Bangui avait également inquiété les pays voisins de la RCA. La France, qui voulait le départ de Djotodia (actuellement en exil au Benin), avait demandé au parlement de transition, composé de 135 membres nommés après la prise de pouvoir de Djotodia, et issus de différents partis politiques, du Seleka, de la société civile et d’institutions publiques, de choisir le plus tôt possible un nouveau président de transition.

La France fait toujours la loi en Centrafrique

Pour l’instant, la RCA a un "président de la république intérimaire", Alexander Ferdinand Nguendet, le président actuel du Conseil National de Transition. M. Nguendet a déjà promis que l’élection aurait lieu dans les conditions prévues par la Charte de Transition.

A ce jour, les violences se poursuivent sans relâche et la situation reste très tendue. Le dirigeant par intérim nouvellement élu va avoir la tâche difficile de pacifier le pays, de remettre sur pied une administration complètement paralysée et de permettre à des centaines de milliers de personnes déplacées de rentrer chez elles.

La France a également indiqué qu’elle souhaitait que des élections générales se tiennent "avant la fin de 2014".

On suppose que tous les contrats sur les mines signés par Djotodia seront probablement annulés.

C’est la France qui fait la loi. Ce n’est pas une surprise !

Quelle indépendance ont les pays africains ? Nouvelle année, nouvelles guerres en Afrique. Même le Sud Soudan, le plus jeune pays d’Afrique n’a pas pu ne pas suivre le chemin le plus emprunté par ses aînés.

La vérité, c’est que derrière chaque guerre pour le contrôle des ressources en Afrique, il y a des mains qui tirent les ficelles.

Antoine Roger Lokongo

Complément d’information : La guerre menée par la France en République centrafricaine intensifie la crise humanitaire


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