Le massacre de Kunming, le Xinjiang et la « question ouïgoure » en Chine

mercredi 27 décembre 2017.
 

Le 1er mars, 29 personnes ont été tuées à l’arme blanche à Kunming, la capitale du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine. Les autorités dénoncent les « séparatistes ouïgours »…

Une dizaine d’hommes et de femmes, vêtus de noir, armés de dagues et couteaux se sont attaqués aux personnes rassemblées dans un hall de gare – quatre d’entre eux auraient été tués par la police et un autre arrêté. Il s’agirait d’Ouïgours, des musulmans peuplant le Turkestan oriental – à savoir la Région autonome ouïgoure du Xinjiang, l’une des cinq régions autonomes ayant en Chine un statut spécial, à l’instar du Tibet ou de la Mongolie intérieure.

L’attaque aurait coûté la vie à 29 personnes, frappées au hasard, 143 autres étant blessées, parfois gravement. Les autorités font porter la responsabilité de cette meurtrière action (pour l’heure non revendiquée) au Mouvement islamique du Turkestan oriental (Etim).

Le Xinjiang se trouve fort loin de Kunming, dans le Grand Ouest de la Chine, cependant des actions « terroristes » attribuées par les autorités aux Ouïgours ont déjà été menées jusque dans la capitale, Pékin, le 28 octobre 2013, quand un 4x4 piégé a explosé place Tien Anmen, tuant les passagers et 5 autres personnes.

On ne peut cependant pas exclure dans de tels incidents des manipulations montées par les services secrets chinois. Par ailleurs, les attentats ne sont pas nécessairement le fait de véritables mouvements séparatistes proprement dits : ils peuvent être des actes de révolte ou de désespoirs de la part de membres d’une seule famille, agissant indépendamment de toute organisation.

Le rejet des Ouïgours envers le pouvoir est en effet profond. Ils se sentent discriminés et progressivement dépossédés de leur propre pays : les Hans (ethnie majoritaire en Chine) ne représentaient que 10% de la population du Turkestan oriental il y a une cinquantaine d’années et 40% aujourd’hui. Sur une population d’environ 20 millions d’habitants, les Ouïgours turcophones ne sont donc plus que 45% du total, les 15% restant étant notamment composés d’autres ethnies de religion musulmane.

Les tensions nées de cette « sinisation » organisée du Xinjiang se sont brutalement manifestées en juillet 2009. En réaction, notamment, à l’interdiction d’une manifestation étudiante, des émeutes d’une très grande violence avaient éclaté à Urumqi, capitale de la région autonome, faisant, selon les chiffres officiels, 197 morts et près de 2 000 blessés. Le lendemain, une contre-émeute avait été menée par des Hans à l’encontre des Ouïgours. Une sorte de blocus avait été alors été imposé par les autorités sur le territoire.

Bien que la situation se soit depuis « normalisée », l’an dernier encore de très nombreux incidents se sont produits dans le sud de la région, à grande majorité ouïgoure, faisant plus de cent morts chez ces derniers.

De violents incidents peuvent aussi éclater à l’encontre d’ouvriers et d’ouvrières ouïgours employés dans des usines loin de chez eux. Ce fut le cas à Shaoguan, au nord de la province du Guangdong (sud de la Chine), dans l’entreprise de jouets Early Light aux capitaux hongkongais. A la suite à une simple rumeur de viol d’une intérimaire han, dans la nuit du 25 au 26 juin 2009, des centaines de travailleurs hans ont lynché des Ouïgours dans les dortoirs, laissant au moins deux morts sur le carreau. La diffusion sur Internet de ce lynchage aurait contribué au déclenchement des émeutes le mois de juillet suivant à Urumqi.

L’attaque du 1er mars 2014 – l’un des attentats les plus meurtriers perpétrés dans le pays – s’est déroulée peu avant l’ouverture de la session annuelle du Parlement chinois, soulignant sa portée politique. Au-delà du Yunnan même, la presse chinoise, jouant l’étouffoir, n’a pas accordé beaucoup de place à l’événement. Cependant, les « faiseurs d’opinions », pour reprendre l’expression de Brice Pedroletti, semblent prendre conscience des enjeux de la « question ouïgoure ». Le « blogueur star » Han Han a ainsi souhaité que « nous ne dirigions pas notre haine contre toute une ethnie et une religion ». Un journaliste chinois originaire du Xinjiang a fait circuler une pétition d’Ouïgours (universitaire, internautes, étudiants, médecins..) condamnant les « actes inhumains » de Kunming, mais demandant au gouvernement de « faire toute la lumière sur ces événements » pour que le drame de 2009 (provoqué par un sentiment de déni de justice) ne se reproduise pas [1].

Pour sa part, le Congrès mondial des Ouïgours a condamné la violence exercée à Kunming tout en demandant au gouvernement chinois de ne pas soumettre les Ouïgours à des représailles indiscriminées [2]

Pour Pékin, les enjeux sont considérables. Le Xinjiang est en effet la plus grande des régions autonomes, représentant à elle seule un sixième du territoire de l’Etat chinois. De plus, il borde huit pays (Mongolie, Russie, Inde, Pakistan, Kirghizistan, Kazakhstan, Afghanistan et Tadjikistan) dans l’une zone géopolitiquement particulièrement instable. La politique de colonisation han impulsée par le pouvoir vise autant à « développer » – en fonction de ses propres besoins – cette zone faiblement peuplée qu’à contrôler un territoire stratégique.

Pierre Rousset


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