De quoi Hollande est-il le nom ? Social-démocrate ? Même pas

mercredi 22 janvier 2014.
 

La conférence de presse de François Hollande, grâce à des questions pertinentes de journalistes, fut celle d’une déclaration franche, sorte d’outing présidentiel, qui sur le plan idéologique a son poids : il n’est pas socialiste, il ne se réclame pas du socialisme, ce n’est pas son objectif ni son horizon. J’exagère ? Je suis de mauvaise foi ? Détrompez-vous, sinon, vous l’avez mal écouté.

Pour dissimuler cet état de fait (qui certes, n’est pas un scoop en soi à la différence de sa vie privée.. que je respecte), il se réclame ouvertement de la « social-démocratie », mot fourre-tout aux contours flous qui fait assurément plus chic dans les soirées mondaines. Le lecteur peu habitué à ses débats froncera les sourcils et s’interrogera : la social-démocratie, késaco ? Socialiste ou social-démocrate, quelles différences ? Vastes questions. Allons à l’essentiel pour tenter d’y répondre. En France, quand on n’est pas, ou plus, socialiste, c’est-à-dire quand on a abandonné le corpus historique des idées qui ont fondé ce mouvement, (marqué dans l’hexagone par la figure de Jean Jaurès, mais aussi celle Jules Guesdes et l’adhésion majoritaire de la SFIO à la IIIe Internationale en 1920), particulièrement depuis 1905 naissance de la SFIO, et 1969 renaissance du Parti Socialiste (sans parler du Congrès d’Epinay en 1971 et l’orientation très marquée à gauche jusqu’en 1981 que lui impose François Mitterrand), que l’on a honte de dire que dans la longue controverse historique qui a opposé la droite et la gauche sur le plan économique on pense que c’est la droite qui avait raison, on dit en prenant la pause pour avoir l’air intelligent que l’on est « social-démocrate ».

De façon plus contemporaine, en gros, être social-démocrate en 2014 cela signifie rejeter toute référence au marxisme, et aux contradictions d’intérêts de classe qu’il observe, et que l’on donne raison aux désormais vieilles politiques de Tony Blair en GB, Zapatero en Espagne et Gérard Schröeder en Allemagne, qui se sont soumis au nouvel âge du capitalisme, qui ont échoué et pourtant fait tant de mal à leurs pays. Aussi, en réalité, le terme exact pour qualifier les idées de notre président de la République François Hollande, est « social-libéral » ou « Démocrate », à l’image du Parti Démocrate aux Etats-Unis. Et surtout, « social-démocrate » dans l’esprit de notre président revient à dire qu’il faut en France s’aligner sur les voisins et faire comme les autres partis sociaux-démocrates européens qui dans 12 pays européens (!) dirigent avec la droite, à commencer par l’Allemagne, le pays de Martin Schultz qui sera candidat du PS français à la présidence de la Commission européenne.Ainsi, va la vie, en France le PS prétend s’opposer à la droite, mais soutient en Europe un homme dont le parti (le SPD) dirige avec Mme Angela Merkel.

_soc_demo_m.jpg D’où vient ce terme de « social-démocratie » ? Son origine n’est pas honteuse. C’est sans doute dans les révolutions européennes de 1848, qui mettent le socialisme sur le devant de la scène politique qu’on la trouve pour commencer Le premier mouvement social-démocrate à proprement parler est constitué en France, par la Montagne, le groupe des républicains « démocrates-socialistes » se réclamant du jacobinisme. Karl Marx décrit ainsi le contexte de l’époque dans son ouvrage Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (publié en 1852) : « une coalition entre petits-bourgeois et ouvriers […] enleva aux revendications sociales du prolétariat leur pointe révolutionnaire et […] leur donna une tournure démocratique. On enleva aux revendications démocratiques de la petite-bourgeoisie leur forme purement politique et on fit ressortir leur pointe socialiste. C’est ainsi que fut créée la social-démocratie. ». À cette époque, où le mouvement socialiste et ouvrier n’existe pas encore réellement, le terme social-démocrate apparaît pour désigner ceux qui ajoutent, à la revendication de la démocratie politique - soit l’instauration du suffrage universel - la revendication « sociale », soit l’amélioration de la condition de la classe ouvrière. Mais, on ne peut en rester à cette définition primaire, presque préhistorique du socialisme, car au cours des 19e et 20e siècles, dans beaucoup de pays le terme de « social-démocratie » va être un quasi synonyme avec celui de socialisme. Notamment car c’est le nom avec lequel on désigne la puissante section de l’Internationale socialiste en Allemagne. Mais, ce terme n’a pas la signification que veut lui donner Hollande aujourd’hui, à tel point par exemple qu’en Russie, le Parti Bolchevik de Vladimir Illitch Lénine qui se définissait comme un parti révolutionnaire se réclamant du marxisme (comme tous ses homologues en Europe d’ailleurs), avait pour vrai nom : le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR).

Plus sérieusement, pour distinguer la social-démocratie, très présente en Europe du Nord, avec d’autres partis comme le PS français, on soulignait généralement que « les sociaux-démocrates » avaient donné naissance aux organisations syndicales de leurs pays et maintenaient des relations quasi organiques avec elles, et à l’inverse « les socialistes », plus politiques, étaient indépendants ou même parfois issues du mouvement syndical. Etre « social-démocrate », dans le jargon de certains, était donc une quasi fusion entre le parti et le syndicat. Pour revenir une nouvelle fois à François Hollande, il n’y a donc rien de social-démocrate dans sa politique présentée le 15 janvier, totalement en faveur du patronat, qui actuellement se heurte aux aspirations des principales organisations syndicales de salariés, si j’ai bien entendu les déclarations de la CGT, de FO et même de la CFDT si l’on tend l’oreille. La syntaxe ayant son importance, je souligne également que jamais, au cours de 3 heures de sa conférence de presse, le Président de la République n’a utilisé les mots de « salarié », « travailleur », « augmentation de salaire », etc… A l’Elysée, on ne dit pas de gros mots devant les journalistes.

On me dira, tu chipotes et ce que veut dire François Hollande est qu’il est Réformiste, alors que vous au Front de Gauche, vous êtes Révolutionnaires. Ecran de fumée que cela. Je ne crois même plus à la pertinence de ce débat assez artificiel. Pour ma part, je suis favorable à toute forme de Réforme favorable aux salariés. Toute. Je suis pour soutenir toutes les réformes qui améliorent (même un tout petit peu) le rapport de force entre capital et travail, qui ne cesse de se dégrader au profit du premier depuis 30 ans. Le moindre pas en avant, je prends. La moindre inflexion, je soutiens. Le moindre rapport de force, j’applaudis. Mais, ici, que viennent de gagner les millions de salariés qui viennent de se faire faire les poches de 35 milliards sa salaires différés que sont les cotisations familiales ? Rien. Lutter contre la finance, exige pourtant d’engager un rapport de force… Ici, c’est l’inverse, Hollande sourit et cajole. Et c’est là que se loge l’essentiel du désaccord avec Hollande et le siens. De ce point de vue, il n’est même pas social-démocrate pour qui il faut construire un rapport de force avec le capital pour trouver le meilleur compromis social possible. Mais, les gens comme Hollande ne croient plus aux contradictions d’intérêts entre capital et travail. En un mot, il ne croit pas à la lutte des classes. En cette année 2014, centenaire de la mort de Jean Jaurès, c’est une nouvelle façon de l’assassiner, ou du moins de tirer sur son cadavre.

Pauvre Jaurès ! Quelques mots à ton sujet, et au sujet de « la lutte des classes », car cette année sans doute, nombreux au PS vont se draper dans le linceul du célèbre député du Tarn. Lors de la campagne présidentielle de 2012, cédant à ce qui n’est, dans les faits, que pure rhétorique, le candidat François Hollande a tenu symboliquement à faire son dernier meeting à Carmaux. A cette occa­sion, il a affirmé : « Je me réclame de la synthèse de Jaurès ». Celle disait-il « entre la radicalité et la respon­sabilité » pour éviter ce qu’il considère « comme les deux périls de la gauche : l’excès d’idéalisme et l’excès d’opportunisme ». Drôle de vision des choses. Avec le recul du temps, chacun pourra juger auquel de ces deux « excès » le président de la République actuel a le plus lourdement cédé. A la lumière de ses actes, on mesure la valeur de cette prétendue « synthèse », pratiquement toujours au profit du même camp. Cette synthèse, ou encore « ligne réformiste » sans réforme réelle, n’est je répète, en réalité qu’une capitulation face au monde de la finance, de la part de celui qui n’aura été son adversaire, que le temps d’un meeting de campagne au Bourget. Dans la bouche de Hollande, le mot « synthèse » est devenu le synonyme de « renoncement », une astuce pour démo­biliser le monde du travail.

Pour s’en convaincre, il y a la politique du gouverne­ment qui se coule dans les exigences du MEDEF qui fut présentée lors de sa conférence de presse. Mais prenons d’autres exemples. Comment tolérer qu’un ministre du Budget qui se prétendait socialiste, pièce maîtresse de la réalisation du programme économique du candidat Hollande, en l’occurrence Jérôme Cahuzac, ose rétorquer le 7 janvier 2013 à Jean-Luc Mélenchon lors d’un débat télévisé : « La lutte des classes, au fond, ça résume notre réelle divergence. Vous, vous y croyez toujours et moi je n’y ai jamais cru. » Une telle formule ne peut être effacée par ses seuls mensonges à propos de comptes en Suisse, dont les révélations publiques feront scandales quelques semaines après ce débat. Elle a bien été prononcée par un homme qui représente alors le gouvernement présidé par François Hollande et sur le moment, aucun des dirigeants du PS ne s’en est indigné. Pire, plusieurs se sont alors félicités bruyam­ment de la prestation de leur collègue. Pour Jaurès, par contre, « la lutte des classes est le principe, la base, la loi même de notre parti. Ceux qui n’admettent pas la lutte des classes peuvent être républicains, démocrates, radicaux ou mieux radicaux socialistes, ils ne sont pas socialistes. » Tout est dit.

Pour conclure sur ce point, cette distinction subtile entre social-démocratie et socialisme est surtout empruntées à un monde qui n’existe quasiment plus. Celui issu de l’ordre de Yalta, où le mouvement socialiste avait à se déterminé face au puissant bloc communiste, ayant face à lui de puissants partis communistes. La social-démocratie, pensée par des intellectuels des années 70, c’était aussi une façon de dire, et d’essayer de penser, un « socialisme démocratique ». A cette époque, le stalinisme, et ses variations dans les pays de l’Est, mettait en doute la possibilité de concilier socialisme et démocratie. Mais, quel est la pertinence de ces débats aujourd’hui ? Le mur de Berlin est tombé. Les sociaux-démocrates ont approuvé et impulsé l’Union européenne actuelle. Voilà le monde du 21e siècle. Voilà les nouveaux défis. Comment faire face à l’hyper puissance américaine ? Comment construire un monde multi polaire ? Comment défendre une industrie ? Comment forger un protectionnisme solidaire ? Comment assurer la transition écologique ? Etc. Voilà des questions d’une brûlante actualité. Hollande en voulant faire moderne est en vérité lui aussi un homme du passé, face à la mondialisation libérale contre laquelle il est désarmée, et qui pour s’en sortir fait des pirouettes avec des mots… En réalité, ce dont François Hollande est le nom c’est l’impuissance totale et absolue de tout politique qui refuse d’engager le moindre rapport de force face à la mondialisation libérale.


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