Hollande tout nu (politiquement)

samedi 25 janvier 2014.
 

On ne doit pas sous-estimer l’ampleur du virage assumé par François Hollande a l’occasion de sa conférence de presse.

Certes, il est bien le même homme que celui dont j’ai décrypté, dans mon livre « En quête de gauche », le parcours idéologique depuis 1983. Inconnu à l’époque, ses premières tribunes de presse l’alignaient sur ce courant « démocrate », parti des Etats-Unis, qui a connu ensuite une escalade de surenchères libérales. De Tony Blair à Gerhard Schröder, une pente a été prise par la social-démocratie européenne, dont Hollande a été l’instrument en France. Elle s’est déployée jusqu’à la déchéance totale, avec la capitulation de Papandréou en Grèce devant l’assaut de la finance, mais aussi avec les gouvernements de grande coalition à répétition en Allemagne et dans plusieurs pays d’Europe. Certes, la précédente conférence de presse présidentielle, en novembre 2012, avait déjà affiché le paysage mental et sa conversion publique à la « politique de l’offre », caractéristique de la pensée économique de droite. Mais les journalistes ont raison de dire que c’est un franchissement qu’il a opéré cette fois-ci.

C’est le coup de barre à droite le plus violent d’un gouvernant de gauche depuis Guy Mollet, élu pour faire la paix en Algérie, et qui envoya le contingent au combat. Hollande a été élu pour tourner la page de Sarkozy et faire la guerre à la finance. De cela, il ne reste rien. Au contraire. Un journaliste lui fait faire un aveu énorme. Quelle différence avec la politique de Sarkozy ? De sa propre bouche : la différence serait que lui ferait ce que l’autre était incapable de faire en matière de politique économique de droite ! Autrement dit, vu depuis notre balcon, il se vante d’être pire que Nicolas Sarkozy. Dans les chiffres, c’est d’ailleurs vrai. Fillon avait réduit de 15 milliards la dépense publique. Hollande a triplé la soustraction. Quant à « la guerre à la finance »… c’est l’illustration caricaturale de l’adage de Charles Pasqua selon lequel les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Nous, les militants politiques, les citoyens éclairés, nous sommes peu surpris. Nous savions a quoi nous en tenir sur le fond. Mais ce savoir nous égare parfois. Nous croyons que tout le monde sait comme nous et nous sous-estimons les effets de démoralisation collective de tous ceux qui découvrent la réalité, surtout quand ils n’avaient pas envie de la connaître. Et nous sous-estimons la part d’autorité que des personnages comme François Hollande, du fait de leur fonction, peuvent avoir sur l’esprit public. Quand il répète le catéchisme libéral sans démonstration, en assénant comme des évidences des refrains idéologiques pris chez nos adversaires, il conforte l’idéologie dominante et les préjugés de notre temps d’obscurantisme. C’est cela que nous payons le plus cher ensuite. Cela provoque tant de résignation, tant de conformisme.

La pression médiatique et les circonstances ont obtenu cet « outing » du scooteriste masqué. Je crois aussi qu’au PS comme dans notre gauche, nombreux sont ceux qui auraient préféré que l’ambiguïté demeure pour faciliter les petits arrangements. La pression de l’événement privé imposait à Hollande une posture qui démente sa réputation de duplicité permanente et universelle. Les journalistes l’ont cueilli cuit à point. Ils ont obtenu une clarification dont je suis certain que ce roué aurait espéré se dispenser pour mieux continuer à emberlificoter tout le monde. Certes, le fond ne change pas. Mais tout n’est pas égal. Un saut qualitatif a été opéré. Le nouveau pacte blabla donne 15 milliards de plus au MEDEF. Au total, les deux derniers plans blabla offrent 35 milliards d’argent frais au MEDEF, pris intégralement sur la consommation populaire ! Voilà pour les faits. En assumant publiquement le tournant, François Hollande franchit aussi un seuil symbolique. Dans la vie publique, surtout venant du monarque républicain, les mots sont des frontières autant que des passerelles avec le réel ! La conférence de presse de Hollande a mis un point final à la singularité du PS dans la social-démocratie mondiale et européenne. Ce n’est pas tout.

Le coup de force idéologique va devenir un coup de force politique. En demandant un vote de confiance au Parlement, la « gauche du PS » et les Verts doivent valider la brutale formule productiviste et antisociale qui résume tout sur le plan de la philosophie politique : « l’offre créé la demande ». Il va leur falloir l’avaler en plus des cadeaux au patronat, en plus de l’ANI, en plus de la retraite à 66 ans, en plus de… en plus de… Je connais leur gosier de boa, et leur art de manger tout en parlant contre le menu, mais tout de même ! Toute la gauche représentée au Parlement est mise au pied du mur. Ce sera la mesure de la sincérité de bien des joueurs de flûte ! Puisque je suis sur le sujet de la doctrine, encore une précision.

Hollande accepte l’étiquette « social démocrate ». C’est une usurpation de plus. Il y a, bien sûr, les raisons de fond propre au paysage et à l’histoire de la gauche française. La social démocratie est une forme d’organisation de la gauche où le parti et le syndicat sont intimement liés. Ils le sont non seulement dans l’action mais par les structures et par l’histoire. D’ailleurs tantôt c’est le parti qui a créé le syndicat tantôt c’est l’inverse. Tel est le cas dans tous les pays de l’Europe du nord et en Angleterre. Rien de cela n’a jamais pu exister en France. A mes yeux c’est tant mieux. Donc qu’est-ce que cette social démocratie à la Hollande où syndicat et parti se tournent le dos ? Elle n’existe pas. Quoiqu’il en soit admettons au moins que la social-démocratie c’est une méthode ou les avancées combinent les rapports de forces sociaux et la négociation pour finir avec des compromis. Il n’y a pas trace de rapport de force, de négociation ni d’un compromis propre à la social-démocratie d’autrefois dans la méthode Hollande. Lui fait des cadeaux « secs » aux actionnaires. Aucune contre-partie, aussi ferme et chiffrée que le sont ces cadeaux, n’est exigée du grand patronat. Où est l’espace de « négociation » avec des méthodes de concession préalable, unilatérale et sans condition comme ce fut le cas pour l’ANI, la retraite à 66 ans et à présent ? Ou est le rapport de force si le gouvernement trace les concessions avant le début de la discussion ? Ce n’est pas tout. Cette vidéo a été consultée 293 fois

L’idée social-démocrate c’est « le partage des fruits de la croissance ». Illusion productiviste lamentable, certes, qui suppose un monde en croissance permanente sans limite dans un monde limité. Mais du moins s’agit-il de partage de la richesse. Ici, il n’y a aucun partage. C’est 15 milliards donnés d’un côté, et de l’autre, dans le meilleur des cas, des promesses de « création d’emploi ». A supposer qu’elles se traduisent dans les faits, ce dont nous n’avons pas le premier indice, quel genre d’échange est-ce là ? De la richesse cédée aux uns en échange, pour les autres, du droit de produire encore plus de richesses a répartir tout aussi inégalitairement ! Et quel est le contenu de ces emplois « offerts en contrepartie » ? Ce sont des emplois socialement dégradés à faible prix pour permettre le paiement des 15 milliards de cadeaux. Des emplois à moindre pouvoir d’achat car les économies de dépenses publiques sont des dépenses privées supplémentaires des ménages. Et voilà Hollande, feignant de s’indigner contre ceux qui pensent voir dans sa politique une suite de cadeaux à la finance ! Il oublie de rappeler que (presque) rien de ce torrent d’argent donné au grand patronat ne se retrouve en investissement. Mais beaucoup repart en dividendes. Tout cela, les chiffres le montrent.

Ce que fait Hollande c’est du social-libéralisme. Ce vocable, pourtant approximatif, décrit bien la nouvelle matrice où sont collées bout à bout la priorité donnée au marché, la concurrence libre et non faussée européenne, et « les valeurs » sociétales mais a-sociales des classes moyennes supérieures urbaines. Telle est la ligne « démocrate » en cours depuis les années quatre-vingt dans l’Internationale socialiste.

Depuis le début de l’offensive « démocrate » en France, le danger est qu’il n’y ait plus de gauche politique dans notre pays, comme c’est le cas en Italie, laboratoire de pointe de la nouvelle orientation du mouvement social-démocrate. C’est cette issue dont nous avons coupé la route avec la création du Front de gauche. D’où l’acharnement des solfériniens à le briser par tous les moyens. Je n’en dis pas davantage. Mes lecteurs sont assez avertis pour rapporter cette affirmation au contexte. Ainsi donc, non, il ne s’agit pas d’une « gueguerre » ou d’une « bisbille », comme disent certains commentateurs au front bas. Il n’y a aucun problème de personne au Front de gauche. Personnellement, je n’éprouve ni jalousie ni frustration. Mais il y a un lourd problème d’orientation. C’est un débat stratégique de fond. L’indépendance politique à l’égard du PS est une question fondatrice que n’évacuent pas de simples simagrées sur « la gauche rassemblée » et autres balivernes qui servent de bouée de sauvetage au naufrage des solfériniens. Que certains secteurs du PCF assument leur orientation et s’allient s’ils le jugent utile avec les solfériniens dès le premier tour. C’est leur droit. Il doit être respecté. Mais qu’il n’implique pas les autres composantes de force dans leurs choix. Notre droit aussi doit être respecté. Nous ne voulons pas être impliqués. Nous ne le serons pas.

Tout au contraire, sous un sigle sans compromission, il faut travailler à la formation d’une opposition de gauche dont le vote de confiance peut être le point de départ. Elle ne peut se résumer au Front de gauche. Et elle ne peut non plus se gargariser de rencontres et « convergences » avec les secteurs du PS trop bien nourris pour pousser l’audace au-delà du coup de gueule médiatique inoffensif et sans conséquence pratique. Tous ceux qui prétendaient qu’on est « plus utile dedans que dehors » au PS, qu’ils l’aient réellement cru ou pas, sont placés devant le choix entre les mots et les actes. Ceux qui ont voulu donner a l’écologie politique sa chance gouvernementale voient bien aussi que la frontière entre le compromis et le reniement est atteinte.


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